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 N° 446
 
 
 
    2 mai 2006

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Le carré des cliniciens perdus

Docteur François-Marie Michaut Lui écrire

Le clin d’œil au film à succès « le cercle des poètes disparus » n’échappe à personne. Mais ici, il ne s’agit pas de la gentillette histoire d’un groupe d’adolescents initié par leur professeur charismatique à une dimension de la réalité humaine négligée par le système scolaire à l’américaine. C’est de santé, comme chaque semaine, que nous parlons ici.

retrouver la confiance

Il s’agit effectivement d’un carré . Nous ne sommes plus, hélas, devant un aimable cercle, dénué de tout angle qui puisse être de contact agressif, et dont le diamètre peut varier librement à l’infini de l’imaginaire de chacun. Oui, c’est bien un carré que nous décrivons, absolument conforme à l’image d’Épinal que nous conservons de la vieille garde se regroupant ainsi pour protéger leur vénéré empereur Napoléon à Waterloo. Même s’il n’y aucun souverain en cause dans ce propos. Nous ne naviguons pas dans une atmosphère légère et édulcorée de fiction à visée initiatique, mais, nous sommes les premiers à le regretter, dans ce qui ressemble fort à une opération militaire où la mort est au rendez-vous.

restaurer la conscience

De quelle mort est-il question ici ? De celle des cliniciens, nous l’avons annoncé en titre. Dans un but de simplification, il n’est question ici que des seuls médecins. Dans notre esprit, il est indispensable de le préciser, tous les autres soignants cliniciens, qu’ils soient infirmiers, sage-femmes, psychologues cliniciens, kinésithérapeutes etc... sont exactement dans le même bateau ... en perdition. C’est donc pour tous que nous nous exprimons. Si le terme de clinicien a été choisi, c’est par volonté de ne pas tomber dans le piège des divisions du monde de la santé et de la médecine en disciplines si volontiers opposées entre elles ... pour mieux les museler. Nous reprenons simplement à notre compte la distinction de François Dagonet entre d’une part les hypertechniciens ( Odile Marcel à Exmed parle de technoscientifiques) et d’autre part les cliniciens. En première approche, les spécialistes - et surtout à l’hôpital - constituent le bataillon principal de cette première orientation, largement dominante de la médecine d’aujourd’hui. Les cliniciens, majoritairement, et du fait des contraintes spécifiques de leur exercice ambulatoire sont représentés par les médecins généralistes. Il faut signaler, pour être complet, qu’il existe aussi des spécialistes qui se comportent en véritable cliniciens, et des généralistes qui rêvent d’être considérés comme des hypertechniciens.

renforcer la compétence

L’organisation actuelle des études médicales, la rigidité immuable du statut du corps professoral entièrement aux mains des fonctionnaires de l’Etat, et la pression idéologique et financière des adorateurs et profiteurs de la technoscience ( encore Odile Marcel) que toute la formation des futurs médecins n’est confiée, à quelques rares et remarquables exceptions près, qu ‘aux plus hypertechniciens des hypertechniciens que nous formons à la chaîne depuis ... 1958. Excusez du peu. Héritage de De Gaulle et Robert Debré associés. La technique, elle, s’évalue, se mesure, se perfectionne sans cesse de moyens spectaculaires. Disons-le tout net : elle est facile à enseigner, sa formation est aisée à chiffrer en notes d’allure objective et ... classantes. La clinique, on en parle depuis le début du 17ème siècle. L’origine grecque du mot klinikos est évocatrice : qui visite les malades au lit . Contact direct avec le malade, d’humain à humain, sans la moindre interposition technique. Expérience humaine à chaque fois unique et renouvelée, variable d’un sujet à un autre, d’un clinicien à un autre, d’un moment à un autre. On conçoit dès lors la difficulté extrême de la transmission de ce qui est, avant tout, une façon d’être taillée à chaque fois sur mesure, et sans cesse affinée tout au long d’une vie. Royaume de la subjectivité, de la responsabilité personnelle, de la fragilité et de l’erreur humaine, de la non systématisation, de la non standardisation, en un mot qui fait horreur actuellement : du talent personnel. Que voilà un univers qui se plie mal à notre monde industriel où tout objet ( dont un soignant considéré comme une unité de production) doit être fabriqué de façon rentable, rapide, calibrée, normalisée, et aussi peu onéreuse que possible.
Alors que les cliniciens, après une lente agonie de plus d’un demi siècle, soient devenus une espèce perdue ( car rendue incapable de se reproduire ) parce que personne n’a jugé utile de donner aux étudiants les vrais moyens de se former à la clinique, faut-il s’en étonner ? Ce serait tellement plus simple de ne plus faire semblant qu’elle existe encore, cette formation clinique, si on voulait vraiment que les patients soient clairement informés de la réalité de la médecine.
L’homme étant tellement bizarre, ne verra-t-on pas un jour fleurir une organisation militante de sauvegarde des cliniciens perdus ? Après tout, on l’a déjà fait pour les pandas et les baleines bleues. Ce serait quand même savoureux de rencontrer un jour de jeunes et beaux torses arborant fièrement dans tous les lieux publics des maillots portant un slogan du genre : “ Nos cliniciens, on y tient “.
Naturellement, privilège de la jeunesse, sans avoir conscience de la haine destructrice qu’entraîne obligatoirement chez les puissants l’existence de gens qu’il est impossible de faire marcher au pas.


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FMM, webmestre.

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :« J ‘appelle techniciens ceux qui se trompent selon les règles.»
Paul Valéry


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