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 N° 554
 
 
 
     23 juin 2008
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Cultivons notre soignitude

Photo de l'auteur Docteur François-Marie Michaut lui écrire

Soignitude ? Voilà un mot bien étranger au langage commun comme à la langue des médecins. Pour dire vrai, cette notion a été imaginée par l'auteur pour parler du livre très récent de Bernard Hoerni dont le titre La relation médecin-malade , l'évolution des échanges patient-soignant (1) montre bien mal la richesse exceptionnelle et l'importance des perspectives d'avenir qu'il laisse entrevoir. Car la question dont il s'agit est celle dite souvent de la qualité des soins. Le plus souvent, hélas, on ne se préoccupe que du seul aspect de la qualité purement technique des soins de santé. La soignitude suppose acquise cette qualité facilement mesurable, mais attire notre attention sur quelque chose de vécu au jour le jour, comme une " soignant-attitude " pour parodier un de nos vieux chanteurs de rock. Précisons-bien que tout au long de cette lettre, l'adjectif médical concerne absolument toutes les professions de la santé sans distinction, tant somatique que psychologique, et pas seulement les seuls médecins.

retrouver la confiance

Le point de vue de Hoerni se situe avec beaucoup de pertinence dans une perspective historique extrêmement bien documentée comme tout l'ouvrage ( 344 références, hélas non numérotées dans le livre ) . La relation soignante est en constante évolution, et ce n'est pas fini. Au début du 20 ème siècle, on comptait un médecin pour quatre ou cinq soignants. On en est actuellement à un pour quinze ou vingt ! En une semaine d'hôpital un patient actuel rencontre 80 personnes différentes. Donc 80 rencontres dont la soignitude, pour reprendre notre titre, peut varier pour le soigné de moins de zéro à l'infini.
C'est en resituant le "colloque singulier" ( Georges Duhamel 1935) aux deux sens de l'adjectif dans tous ses aspects que l'auteur nous permet de prendre la dimension unique et complexe de cette relation régulièrement caricaturée à l'extrême tant dans la littérature médicale obsédée par les technosciences que dans les médias de vulgarisation médicale destinés au grand public.

restaurer la conscience

L'exposé en 19 chapitres permet certes une vision assez complète des multiples points de vue sur la relation soigné soignant . Il faut cependant au lecteur à la fois une certaine application, et déjà une culture générale bien assise, pour comprendre correctement afin d' aller au delà de l'aspect académique de la démonstration. Bernard Hoerni , personne ne peut lui en faire grief, ne peut pas renier son métier de professeur de cancérologie et son engagement personnel de président de l'académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux.
En ce sens, ces 277 pages, d'une typographie un peu trop serrée pour être de lecture confortable, constituent une véritable somme (2) des aspects strictement humains de cette " rencontre singulière" selon le philosophe Paul Ricoeur ( citation de B.Hoerni).
On peut simplement déplorer dans un tableau aussi exhaustif la faible place occupée par le domaine si particulier de la psychiatrie, et de ses évolutions récentes.
Il est probable que la presse, aussi embarrassée par ce livre que l'ont été les nombreux éditeurs qui en ont refusé la publication, va demeurer muette, ou se contenter du petit coup d'encensoir qu'il est convenu d'accorder poliment à celui qui a été il y a quelques années le président de l'ordre des médecins.
Or ce livre constitue un très solide outil de travail pour tous ceux qui ont une quelconque responsabilité, grande ou petite dans le domaine de la santé, et dans son évolution. Qui ne l'a pas lu, surtout chez les non soignants, politiques, administrateurs, journalistes, syndicalistes, intellectuels, juristes et esprits curieux ne peut pas se faire une idée aussi précise de la complexité unique de toute relation de soins. Soigner les humains est une activité qui se situe en dehors des schémas de n'importe quel autre métier. La réduire à sa seule dimension technoscientifique par souci de simplification est une erreur aussi fréquente que lourde de conséquences dont les patients sont les premières victimes. Je me souviens, au début des années 2000 de la mine effarée et des bras levés en l'air de Jean-Marie Spaeth, grand patron de la sécurité sociale, quand je lui avais expliqué cette dimension de la médecine. " mais, vous n'êtes pas un métier comme les autres, vous les médecins, alors comment peut-on bien faire ?".

renforcer la compétence

Renforcer la compétence, comme nous l'affirmons ici chaque semaine ?
Et bien, c'est exactement ce que propose Hoerni à la fin de son ouvrage. Pour cela, il existe déjà de nombreuses méthodes un peu partout. Leur pertinence a été validée. On ne peut certes pas donner, au moyen de quelques recettes toutes faites des leçons de bonne communication médicale. Chaque étudiant dans la médecine est plus ou moins apte au départ à entrer dans une rencontre marquée par une inégalité fondamentale pour la rendre soignante. Ce qui pose encore la question de la sélection initiale, et celui de l'orientation correcte au moment du choix de type d'exercice.
Cette "soignitude" potentielle doit être recherchée, puis développée tout au long des études. Non pas par des cours supplémentaires de " communication médicale" plaqués sur les autres matières enseignées, mais par une formation constante dans toutes les disciplines étudiées.
Le travail ne cesse pas avec l'obtention du diplôme, tout doit être mis en œuvre ( y compris par l'internet, nous l'ajoutons ) pour qu'en mettant en commun, sans égard pour l'âge, l'expérience, la fonction exercée, et même la profession, ce que nous pouvons apprendre des échanges patients-soignants, nous puissions aiguiser en permanence notre qualité de soignants.
C'est là aussi une façon de mettre en acte cet humanisme médical dont nous parlons souvent ici.
Comme il serait vain d'attendre que les institutions en place prennent l'initiative d'une telle révolution, véritablement culturelle, seuls les citoyens peuvent, par leur expression directe et courageuse, dire si, oui ou non, c'est de cette façon qu'ils veulent être soignés, avant tout dans un respect profond de leur unicité.
Nous ne sommes pas sur un terrain purement idéologique. La réalité montre l'urgence de redonner un sens solide à la médecine. Ainsi, le Monde du 7 juin 2008 titre " Le médecin généraliste, une espèce menacée". Jean de Kerdasvoué ( professeur d'économie de la santé), Christian Lehmann, généraliste et écrivain, et Charles Bronner, généraliste syndicaliste sont formels. Les 55000 généralistes de France en 2006 ne seront plus que 25000. Cette année 5000 généralistes cessent leur activité, 1200 s'installent. On attend un tel solde négatif annuel de 3000 jusqu'en 2012, puis de 2000 jusqu'en 2020.
D'autres spécialités sont en voie de désertification comme la gynéco-obstétrique, l'ophtalmologie ou même les soins infirmiers.
Il est grand temps de faire l'effort national, non pas de distribuer stupidement de l'argent pour acheter des gens afin de boucher les trous, mais de donner enfin à la médecine tout son sens, tout son côté absolument unique dans les activités humaines. Oui tout faire pour que l'on aime et perfectionne sans cesse son métier depuis le début de ses études jusqu'à la fin de son exercice professionnel, et même jusqu'à sa propre mort.
Hoerni ne cherche à séduire ni enrôler personne, pas plus qu'à se faire valoir lui-même. Il nous propose juste, en toute modestie, un outil de choix pour mettre en route cette dynamique. Puisse la nation, et donc ses dirigeants, comprendre que c'est dans cette direction là qu'il faut aller sans hésiter pour que nos soignants soient parmi les meilleurs et les plus heureux de faire leur travail si singulier dans le monde de demain. Tout le reste n'est que bricolage ponctuel et circonstanciel promis à l'échec, comme nous le constatons tous avec tristesse.
Et si tout cela vous semble encore un peu de l'ordre de la seule spéculation intellectuelle, demandez-vous donc s'il existe un autre moyen d'éviter les ruineuses redondances tant en consultations et investigations inutiles qu'en prescriptions médicamenteuses aussi inappropriées que dangereuses pour notre santé ? Messieurs les comptables, sortez donc vos calculettes adorées, s'il vous plaît.
Depuis des années nous lançons ici sans grand succès des appels pour que naisse enfin une ouverture systémique de la médecine. Cet ouvrage, même s'il ne le dit pas, et même si son auteur n'en est pas pleinement conscient, est un socle très solide pour une systémique médicale à développer. Systémique théorique, certes, mais surtout clinique, pratique. Le système unique et si particulier que constitue la relation patient soignant, dans tous ses aspects, même les plus intimes et les plus complexes, n'est-ce pas le coeur même d'une telle systémique médicale ?

(1) Bernard Hoerni La relation médecin-malade , l'évolution des échanges patient-soignant, Éditions Imothep MS, imothep@noos.fr , http://www.imothep.com , Diffusion Librairie Médi-sciences http://www.librairie-medisciences.com

(2) Somme : ouvrage rassemblant et résumant tout ce que l'on connaît sur un sujet, selon la définition du dictionnaire Hachette 2006.

NDLR : cet ouvrage a reçu le prix du jury du 19ème festival de la communication médicale à Deauville le 1er juin 2008.

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




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