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 N° 590
 
 
 
    2 mars 2009
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Les dessous pas toujours chics des CHU

Photo de l'auteurDocteur Bruno Blaive et François-Marie Michaut leur écrire

xxxNotre confrère Marc Zaffran, plus connu du public sous le nom de Martin Winkler, auteur à succès de La maladie de Sachs ( POL 19998), vient de s’installer au Québec comme professeur de médecine. Juste avant de partir, ce généraliste a publié dans Le Monde.fr du 13 février 2009 un article expliquant pour quelles raisons il a été amené à s’expatrier ainsi (1). Voici son titre : << La caste hospitalo universitaire est l’ennemie du système de santé >>.
Beaucoup de ces constats ont déjà été faits sur ce site et dans nombre de nos LEM. Il nous faut maintenant aller plus loin dans un examen clinique sans concession de notre vénérable alma mater tricolore.

retrouver la confiance

xxxNous sommes dans un pays où le corps professoral médical, par obligation statutaire de serviteur de l’état, exerce, simultanément trois fonctions. L’enseignement, cela va de soi, mais en même temps les soins aux patients et la recherche médicale.
Cette concentration de pouvoir dans une seule main avait été voulue par le professeur Robert Debré père fondateur des Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) en 1958. La dynamique créée par cette réforme fondamentale des hôpitaux allait permettre à la médecine française de rattraper son retard en une dizaine d’années. Mais il est remarquable de constater que, depuis sa création, cette nouvelle entité exemplaire ne donnait lieu à aucune évaluation objective de ses missions
Pourtant la plupart des CHU tardaient à mettre en place la recherche clinique, notamment les petites structures, peu motivées et peu attractives pour les Centres de recherches (INSERM Institut national de la santé et de la recherche médicale ), CNRS Centre national de la recherche scientifique).
A la différence d’une majorité de pays de l’hémisphère nord,et d’autres, dans lesquels un même poste est occupé par un professeur qui enseigne, par un chercheur qui cherche et par un médecin qui soigne. Dans ces pays, l’effectif d’encadrement est donc supérieur à celui d’une structure équivalente en France. Ce personnel est par ailleurs régulièrement évalué, plus mobile dans le temps et dans l’espace, incité à valoriser dans son cursus ses capacités aux changements de fonctions et de responsabilités. Le statut de nos << professeurs >> est totalement différent : pérenne dans la fonction mais sans obligations d’évaluation externe, inamovible à vie mais sans réels moyens d’action, astreint à une triple responsabilité contraignante mais sans contreparties.
Ces conditions d’exercice ont conduit progressivement de nombreux hospitalo-universitaires à se fonctionnariser et à privilégier une seule mission : les soins aux patients. Cette << démission >> allait avoir de lourdes conséquences : car elle ne permettait plus de différencier nettement la spécificité des médecins des hôpitaux universitaires par rapport à ceux des hôpitaux généraux, elle traduisait aussi la perte du pouvoir des mandarins au sein du monde hospitalier et universitaire et accélérait l’inégalité initiale entre les CHU.

restaurer la conscience

xxxConcentrer le pouvoir du corps professoral pour lui permettre d’assurer rapidement ses missions était probablement à l’origine judicieux mais :
-ne pas définir de priorité, ne pas choisir de système d’évaluation, ne pas dégager de lignes budgétaires spécifiques à chaque mission devait conduire inévitablement les responsables hospitalo universitaires à faire des choix
La mission de soins était de fait privilégiée dans une majorité de CHU au détriment de l’enseignement et de la recherche Pour assurer ces deux missions spécifiques des CHU (par rapport aux structures privées et aux hôpitaux généraux) la quête de financements allait devenir un enjeu essentiel pour les CHU les plus dynamiques et les nouveaux managers qui acceptaient de les diriger.
Initialement l’industrie pharmaceutique a été le partenaire unique de la recherche médicale hospitalière par le biais des essais thérapeutiques.
Cette source de financement souvent critiquée, a cependant permis pendant de nombreuses années d’acquérir des matériels pour la recherche mais également pour le diagnostic ou le traitement des patients. Elle a permis aussi d’assurer la formation à l’étranger de nombreux jeunes chercheurs, et de mettre en place les premières formations médicales continues (FMC).
Aujourd’hui un large éventail de bourses et de fonds européens permet de financer la recherche médicale. Cependant concourir pour ces financements nécessite un vrai savoir faire, et demande de renouveler les appels à projet plusieurs fois dans l’année car ces fonds sont aléatoires et limités dans le temps. La chance d’obtenir un financement de projet ne dépend pas uniquement de sa qualité scientifique mais aussi du professionnalisme de l’équipe à le monter, de sa notoriété, de son opportunité par rapport aux attentes, des coopérations impliquées etc.
Dans ce contexte il faut savoir que la capacité d’action et de réaction de nos 32 CHU est singulière, car leur histoire, leur environnement et leur moyens sont très différents. Ainsi pour une même discipline, et à charge de travail identique, l’encadrement hospitalo-universitaire des CHU peut varier d’un rapport de 1 à 4.
Aujourd’hui, il existe des critères précis permettant d’évaluer l’activité des services et des médecins, mais ils ne sont pas utilisés pour justifier ces différences ou les corriger. L’administration hospitalière, en évitant les conflits entre et avec les médecins , garde, au prix de quelques compromis, la paix au sein des établissements. Ceci lui permet d’assurer ses objectifs propres et le plan de carrière de ses directeurs mais surtout de reprendre progressivement le pouvoir aux médecins
Le doyen de la Faculté de médecine et le directeur général du CHU, le président de la CME ( commission médicale d’établissement ) recrutent les personnels hospitalo-universitaires après avis favorable du Conseil National des Universités (CNU) (2) et de la Commission Médicale d’Etablissement .

renforcer la compétence

xxxxxS’il existait une réelle volonté d’atteindre l’objectif fixé aux CHU, il faudrait d’abord définir les critères d’évaluation de la mission initiale et reposer quelques questions :
-existe-t-il des indicateurs qui permettent d’évaluer l’activité des soins et, dans ce cas, sont-ils pertinents ?
-existe-t-il des indicateurs qui permettent d’évaluer les connaissances médicales et sont-ils adaptées aux besoins des patients, des médecins  de la médecine de demain ?
- existe-t-il des indicateurs qui permettent d’analyser l’éducation et l’observance thérapeutique des patients et correspondent-ils aux pathologies les plus fréquentes, invalidantes et coûteuses actuelles ? Malgré quelques progrès récents réalisés dans le domaine de l’évaluation des pratiques, celle-ci tarde à se mettre en place. Il suffit pour s’en persuader de regarder les contestations qui accompagnent les tentatives de réforme de l’université (autonomie) et des universitaires (évaluation). Au nom du respect de la liberté individuelle des chercheurs (que nul ne conteste), on maintient un “flou artistique’’ sur le fonctionnement et les performances réelles de nos Universités. Nos concitoyens on le droit de connaître la vérité sur la qualité et les défauts de leur université ou de leur système de santé. La vérité sur nos CHU?
Selon le rapport du Pr Philippe Even réalisé à la demande du ministère de la santé par l’Institut Necker (3) plus de la moitié des 32 CHU de France ne seraient pas au niveau européen.
Nous disposons, pour des raisons historiques et politiques de deux fois plus d’établissements de ce type qu’à l’étranger. Or, aujourd’hui rien ne peut se faire sans regrouper d’importants moyens financiers et humains ; ce qui est vrai pour l’aménagement du territoire (régions) l’est pour la recherche médicale.
Ph. Even établit un classement sur un certain nombre de critères objectifs pour évaluer la qualité des universités médicales. On peut certes en discuter la pertinence, mais le bilan est éloquent. Seuls trois CHU parisiens peuvent prétendre à un niveau d’excellence sur le plan international et 8 CHU provinciaux d’être d’un bon niveau . Ce constat justifie-t- il de maintenir encore 20 CHU sous perfusion ? Ou de les aider à se réorganiser dans un nouveau contexte (aménagement du territoire et des régions) ?
Sans un effort d’évaluation, de réorganisation , de changement de comportement, tout notre système de santé hospitalo-universitaire risque, en dehors de quelques pôles d’excellence, d’être rapidement paupérisé et médiocrisé.
Dans cette prise de conscience il ne faut pas se tromper d’ennemi car les premières victimes seront les patients et les médecins.

Références :
(1) http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/02/13/la-caste-hospitalo-universitaire-est-l-ennemie-du-systeme-de-sante-par-martin-winckler_1155048_3232.html
(2) http://91.121.210.124:8080/cpcnu/accueil.htm
(3) http://www.uspsy.fr/spip.php?article581&var_recherche=Philippe%20Even



NDLR : Cette lettre illustre l’article 18 de notre
CHARTE D'HIPPOCRATE
. Lien
-  18°) Je conserverai  en mémoire l'obligation de surtout ne pas nuire aux malades et les limites de ma compétence que constitue l'état actuel de la science.


Os court :<< Quelques phrases ont la forme d'une chandelle. Elles en ont aussi le pouvoir éclairant. >>
Alphonse Allais


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Lire la LEM 589 Internet de santé de qualité - Nicole Bétrencourt

Lire la LEM 588 Le << syndrome méditerranéen >> en question - Cécile Bour

Lire la LEM 587 Où sont donc nos élites ?- François-Marie Michaut