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 N° 607
 
 
 
     29 juin 2009
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Art caritatif, assez

Dr Cécile Bour Docteur Cécile Bour lui écrire

xxxEn avez-vous assez, comme moi, d’entendre brailler les « Enfoirés » depuis vingt ans ? Avez-vous rigolé, vous aussi, devant le ridicule, hélas non mortel, de la chanson de Barbelivien et Siry « le Tibet c’est nous » , qui a insulté nos oreilles en avril 2008 ? Et là, bondissez-vous lorsque vous apprenez que Justin Timberlake sera sur scène en septembre pour chanter au profit de la Fondation « stand up to cancer » ? Plus fort encore, et c’est le cas de le dire, l’artiste Christophe Fort prévoit d’ériger des lettres colossales au-dessus de Marseille, à l’instar de celles d’ Hollywood, mettant en avant des motivations humanitaires et caritatives.

retrouver la confiance

xxxLes lettres devraient être acquises par des mécènes, et « l’argent sera reversé à un grand centre de lutte contre le cancer et aux hôpitaux de Marseille. C’est cet aspect humain qui a séduit la mairie ». Ouf !!! MAIS QUEL BONHEUR CE CANCER ! Qui permet de faire passer n’importe quelle pilule ! Voilà de quoi river le clou même aux défenseurs de l’environnement qui osent, ces mécréants inhumains, invoquer des risques sur faune et flore.
Hollywood a son chewing-gum, Marseille son savon, ce qui mérite bien sûr d’être inscrit en grand sur la montagne, surtout quand c’est pour une grande cause, le cancer . Bon, blague à part, on en a sérieusement marre, les cancéreux, d’avoir honte de ces désastres musicaux et monumentaux en tous genres mis sur notre dos, de nous sentir responsables de catastrophes musicales d’artistes qui chantent que le cancer c’est pas bien, dans des rimes d’une indigence littéraire qui ferait vomir même sans chimio, montées en un temps record, composées à la va-vite (les artistes s’en vantent même : »on a fait ça en une journée, c’était spontané… »). Stop les gars, oubliez-nous un peu, là….. On en a ras la perruque.

restaurer la conscience

xxxLe problème , c’est que le cancer n’est pas le seul concerné par cette dégoulinade de bons sentiments ; d’aucuns chantent contre la pauvreté (qui les en blâmerait), d’autres , au hasard de l’actu, pour l’Ethiopie (Renaud en 84), l’Arménie (Aznavour en 88), Bruel ( pour la terre en 2006), le tout accompagné d’une sauce au clip débile, avec des chanteurs habillés tout de blanc (snif, c’est bô), un ou une soliste qui nous envoie des vocalises poignantes dans les tripes ( et nous on est fragiles des tripes), avec en arrière-fond de préférence des petits Noirs à l’air vraiment très malheureux, ou une femme au regard ténébreux tenant un bébé dans ses bras (très porteur le bébé), ou bien encore des vieillards à l’air triste et désabusé reflétant toute la misère du monde (un peu moins porteur le vieillard quand même).
L’hypocrisie du procédé permet, sous un vernis caritatif, de redorer son ego et relancer sa carrière pour bon nombre d’artistes un peu oubliés. Il permet aussi de faire passer n’importe quel projet, sans trop de débat.

renforcer la compétence

xxxD’un point de vue qualitatif, le mauvais goût des clips et la médiocrité des chansons sont-ils vraiment au service des victimes ? On constate que les organismes caritatifs ou humanitaires font de plus en plus appel aux artistes pour porter leur cause, car la noble cause doit être en quelque sorte…esthétisée. Mais à quel point l’artiste inversement ne recherche-t- il pas la bonne cause pour retrouver sa célébrité, à lui ? Œil pour œil, don pour don. La publicité pour l’artiste, autour de la prestation, est immédiate, considérable et pas bien coûteuse….
Du point de vue quantitatif à présent, l’efficacité à récolter des fortunes par toutes ces initiatives « humanitaires » n’est plus à démontrer. Et là, ça devient carrément indécent, le gloss, le strass, le glitz, le bling-bling dans le grand spectacle de la charité, asséné au spectateur, par le fait de grands galas, de stars en Haute Couture, de la jet-set en grande pompe, tout cela n’a plus grand chose à voir avec l’art au service de la cause, mais plutôt de la cause au service du charity-business. Bien éloigné des valeurs qu’il est censé transmettre, dénué de toute modestie, et jouant sur un chantage émotionnel pour la course au don. Les partenaires publicitaires peuvent se frotter les mains, le marché a de l’avenir, car en effet, la pauvreté, la famine , le sida, la mucoviscidose, la myopathie et le cancer ont de beaux jours devant eux. Tous ces fléaux ont-ils reculé depuis l’arrivée de ce cirque médiatico-humanitaire ? Comment se porte donc la recherche dans notre pays ? Les dérives financières, la misère devenant une manne juteuse à des pseudo-philanthropes, constituent les limites décentes du système. On se demande même si ce battage médiatique apporte quoi que ce soit aux intéressés, et ne les prolonge pas dans leur misère. En effet, plus le public donne et prouve ainsi que la mobilisation est efficace, plus l’Etat se désengage. On y assiste très nettement pour les victimes du tsunami, l’aide internationale a permis de parer au plus urgent, nourrir et abriter provisoirement la population affectée ; à présent, au moment où la reconstruction passe par l’intervention des gouvernements et des communautés locales, la situation stagne, les pouvoirs politiques, auxquels incombe la gestion de crise, se déresponsabilise. Résultat chez nous, les Enfoirés sont toujours sur le terrain vingt ans plus tard.
Mais peut-être la conséquence la plus délétère du spectacle caritatif est sa perception par le public, et la conséquence sur son avenir. La réalité des causes défendues est souvent plus complexe qu’il n’est exposé au public; en jouant sur l’anesthésie du public par des méga-shows et sur sa mauvaise conscience par l’appel aux dons et aux records de générosité à battre, le business de la bienfaisance risque de devenir contre-productif. Le malheur se banalise, et le risque que le grand public devienne indifférent , lassé de se voir imposé cette surenchère jusqu’à la nausée sera peut-être le début d’un sentiment de saturation, conduisant à terme vers un désintérêt des bonnes causes, un déclin de cet effet de mode d’art-charity-business, et vers une diminution de la générosité publique.
Évidemment, on m’objectera de proposer autre chose. Comment faire mieux ?.... Je n’en sais fichtre rien, et ce n’est pas mon propos. Moi j’appelle les cancéreux de tout poil à se mobiliser autour d’un disque « Fuck the charity » (en anglais ça fait plus mieux bien), les fonds seront reversés à une entreprise de sabotage des lettres marseillaises, ou bien à l’AECD, l’association pour l’entartage des chanteurs de daube. C’est vrai, au fait, il fait quoi l’entarteur ?



NDLR : Cette lettre illustre l’article 1 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :

- 1°) Mon objectif prioritaire sera de rétablir et de préserver la santé physique et psychique des hommes sur le plan individuel et collectif .
Cet objectif prendra en compte le contexte de l’environnement professionnel tout en respectant celui du patient, et du vivant dans son ensemble.


Os court :<< Deux choses sont infinies : l'Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l'Univers, je n'en ai pas encore acquis la certitude absolue. >>
Albert Einstein


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