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 N° 615
 
 
 
      24 août 2009  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Sans noblesse

fmm François-Marie Michaut lui écrire

xxxL’origine du mot snob demeure obscure et discutée. Il semblerait qu’il s’agisse d’une invention de nos amis britanniques peu après leur victoire de Waterloo. La révolution industrielle bat son plein, et les écoles les plus prestigieuses comme Cambridge ou Eton doivent ouvrir leurs portes à des jeunes gens issus de la nouvelle bourgeoisie. Les cadets des familles aristocratiques ne voient pas d’un oeil favorable cette intrusion roturière. L’administration scolaire a pris l’habitude de faire suivre le patronyme de ces nouveaux élèves de l’abréviation : s.nob , traduisant un sine nobilitate ( sans noblesse ) catégorique.
D’autres prétendent qu’il s’agirait de la déformation du mot cordonnier snab des Écossais.
En France, c’est Marcel Proust, le fils du très célèbre - en son temps - Adrien Proust, professeur d’Hygiène de la Faculté de Médecine de Paris, qui semble avoir le mieux analysé ce qu’on nomme le snobisme. << Se dit de quelqu’un qui affecte les manières, le mode de vie et le parler d’un milieu qui lui semble plus distingué que le sien et qu’il imite sans discernement >> précise le dictionnaire Hachette 2006.

retrouver la confiance

xxxImitation sans discernement, voilà qui fait dresser l’oreille aux lecteurs attentifs de René Girard toujours à l’affût des expressions de la rivalité mimétique. Voilà aussi qui nous ramène à une chanson de Boris Vian qui eut beaucoup de succès : << J’suis snob >> et aux histoires de Marie-Chantal de Jacques Chazot dans les années 1960.
Mais que faisons-nous donc d’autre durant nos longues études que de chercher à imiter au mieux ceux que nous considérons, de gré ou de force, comme nos maîtres ? Plus largement dans nos sociétés où les choses ne sont reconnues que lorsqu’elles deviennent du spectacle, de l’art à la politique, en passant par la religion, le technique et la science, ne sommes-nous pas incités, communication publicitaire oblige, à nous couler dans le moule de toutes les modes qui passent ?
Comme des enfants, nous ne le cachons pas, nous adorons nous déguiser en Zorro en espérant secrètement devenir l’invincible vengeur masqué.

restaurer la conscience

xxxMais la noblesse, dans tout cela ? Alors que dans la patrie linguistique du snobisme, bien illustré par le Livre des snobs de Thackeray en 1848, reprenant ses articles publiés par le magazine homoristique Punch, les contemporains les plus éminents dans leur domaine, de la science aux arts et au sport continuent d’être anoblis par la Reine, la noblesse en France n’est plus qu’un vestige d’un passé mort. Ce qui ne veut pas dire que les faits et gestes des familles à particule ne continuent pas de passionner les foules et d’alimenter quelques gazettes à grand tirage.
C’est une autre noblesse qui nous intéresse ici. Elle est peut-être plus de l’ordre de la chimie que de notre histoire nationale. On parle en effets des métaux nobles pour désigner des substances rares comme l’or, le platine ou l’argent. Chez les humains, qu’est-ce qui peut faire cette rareté ? Il n’est pas impossible d’imaginer que ceux qui ont réussi à prendre le pouvoir sur les autres ont été, au bon moment, les plus forts physiquement ou ... les plus malins. Allons un peu plus loin.
Une fois de plus, auscultons les mots et leur origine. Noble possède un cousinage frappant avec le verbe latin noscere, qui signifie connaître.
Ainsi est noble ce, ou celui, qui est connu et reconnu. Connaissance et noblesse, voilà une alliance étrange.

renforcer la compétence

xxxIl est intéressant de soutenir que le fait de connaître, par lui-même, est noble. Ou plus exactement qu’il ennoblit ceux qui consacrent leur énergie pour que progressent nos connaissances, avec toutes les embûches, les fausses routes et la permanente et indispensable remise en question que cela comporte. Connaître est un verbe dont la force initiale semble, hélas, bien émoussée en nos époques de scolarisation de masse obligatoire. La connaissance n’est rien moins que la naissance avec. Mazette, ce n’est pas rien pour les pauvres petits mortels que nous sommes.
La connaissance est un bien immatériel, et la transformer en moyen de s’approprier des pouvoirs, des objets ou de l’argent est un exercice aussi courant, et valorisé socialement, que dangereux pour notre humanité. Affirmation gratuite ?
Sondons encore un dernier mot pour parachever notre ronde. L’adjectif, toujours très fort, d’ignoble. Cela veut dire clairement non noble, sans noblesse ! Même voisinage, bien entendu, avec le verbe noscere. L’ignominie, soeur jumelle de l’ignorance.
Le propos n’est pas nouveau, Voltaire sut en son temps l’illustrer de façon brillante. Puissions-nous ne pas oublier complètement ce message, en ces temps de rentrée scolaire pour des millions de gens qui ont cette chance inouïe de pouvoir avoir accès à la connaissance.
Contrepoison indispensable, et unique, à la domination apparente de toutes nos valeurs par le dieu argent.


NDLR : Cette lettre illustre l’article 17 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :

-  17°) Je participerai à la transmission des connaissances et des savoirs acquis.




Os court :<< Dans la vie, tout est mélangé, le profond et l’insignifiant, le sublime et le ridicule. >>
Anton Tchekhov, médecin russe, 1860-1896


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