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 N° 627
 
 
 
      16 novembre 2009  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Voyage au Centre de la douleur

Odette Taltavull Odette Taltawull lui écrire

xxxxDepuis 1998 la douleur est définie par les pouvoirs publics comme une priorité de Santé Publique et, au fil des années, des comités de lutte conte la douleur (les CLUD) sont nés en France. Peu à peu les patients ont vu leur douleur mieux prise en charge à l’hôpital, et surtout davantage considérée. Depuis, afin de traiter des douleurs de forte intensité ou devenues chroniques, de plus en plus d’hôpitaux publics ont vu s’ouvrir des Centres de la douleur (parfois improprement appelés Centre « anti-douleur ») dans lesquels le patient est avant tout accueilli, écouté et entendu.
Outre le fait qu’elle souffre énormément, ce qui accable une personne dont la douleur a envahi l’existence c’est de ne pas être prise au sérieux dans ce qu’elle exprime. Il fallait un endroit où elle puisse parler sans crainte d’être niée dans sa souffrance.
N’étant ni médecin ni gestionnaire, c’est en tant que patiente que j’engage une réflexion sur l’existence et l’utilité de ces Centres de la douleur, ces services hospitaliers à part, dans lesquels des équipes pluridisciplinaires s’emploient collégialement à soulager des douleurs complexes, puissantes, et récurrentes.

retrouver la confiance

xxxLe plus souvent ce sont des médecins spécialistes ou des chirurgiens qui adressent un patient dans un Centre de la douleur. Il arrive que ce dernier y soit envoyé par son médecin généraliste après que celui-ci ait tenté plusieurs années durant de trouver un traitement antalgique efficace à tous points de vue. Pour la plupart, ces patients souffrent de lésions consécutives à une intervention chirurgicale ou à un accident, ou bien de pathologies lourdes et douloureuses. Mais il arrive aussi que certains n’aient aucune lésion organique décelable. Ils ont juste très mal, au quotidien ; leurs douleurs sont précises et ils peuvent les décrire parfaitement (de quoi faire sourire bien des médecins encore de nos jours !).
Si depuis les années 60 il est admis par le corps médical qu’une souffrance psychique (un deuil, un traumatisme) puisse être à l’origine de douleurs somatiques (donc du corps) sans substrat anatomique, il est également reconnu qu’une douleur physique intense en continu, ayant une cause lésionnelle définie, puisse provoquer une véritable souffrance morale chez celui qui l’éprouve. La douleur chronique devient souffrance. Puis elle finit par s’installer littéralement dans la vie du patient. Usante, exténuante, irritante, elle peut devenir au fil du temps une dévoreuse de vie.
Mais à quel moment douleur et souffrance se sont-elles croisées, puis entrecroisées jusqu’à ce qu’à ne faire plus qu’une, l’une amplifiant l’autre ? Malgré les bons soins prodigués par son médecin, par quel processus la douleur s’est-elle enkystée dans le corps d’un patient ? Quel circuit prend-elle ? Pourquoi devient-elle un jour invivable chez untel, au point certains jours qu’il veuille mourir non pour cesser de vivre mais pour arrêter de souffrir ?
Le médecin de famille a-t-il à lui seul le temps, les moyens, et les compétences pour aller explorer tant de contrées ?
Outre l’appellation du lieu, un « Centre de la douleur » n’est-il pas pour le patient une sorte de respiration et la possibilité d’accéder au centre - donc au cœur - de SA douleur ?

restaurer la conscience

xxx  Dans un Centre de la douleur, le soin commence par la rencontre entre deux personnes. Durant une heure, celui qui a mal et le médecin-algologue vont dialoguer concernant cette douleur tellement puissante qu’elle a poussé le patient jusque là. Il importe de faire le point entre un état dépressif induit par l’action d’avoir mal en continu, et la douleur résultant de la lésion originelle. Même une douleur bien définie sur le plan organique est difficile à appréhender une fois pour toutes, tant ses rouages sont imbriqués les uns dans les autres.
D’ailleurs dans son sens étymologique le mot latin « dolor » signifie aussi bien douleur et mal, que peine et affliction. Pourquoi vouloir les séparer ? Certains pensent qu’il est possible de souffrir d’une souffrance morale (un deuil par exemple) sans pour autant avoir mal physiquement, et que souffrir physiquement en continu n’implique pas forcément un état dépressif. Pourtant il est admis que certaines douleurs physiques inexpliquées médicalement puissent prendre leur source dans le vécu d’évènements dramatiques … De même il parait psychologiquement inconcevable de vivre sereinement en permanence avec une douleur chronique intense, sans jamais manifester de tristesse, de colère, et même de désespoir.
Ce qui a changé, c’est la possibilité de mettre des mots sur les maux, et dans ce sens les mentalités ont évolué depuis une trentaine d’années. Historien de la Médecine et anthropologue, Jean-Pierre Peter, auteur de nombreux livres sur la douleur, explique comment avec l’arrivée du Sida dans les années 80, « les médecins ont vu des malades qui se comportaient en acteurs de leur propre santé, et non en sujets souffrants. Des personnes qui demandaient à comprendre les procédures de traitement et exigeaient que leurs douleurs soient prises en charge attentivement. Des patients qui n’étaient plus ignorants devant le savoir professionnel* ».

renforcer la compétence

xxxx   Les avancées thérapeutiques et techniques en matière de douleur sont évidentes, et un médecin dispose plus facilement qu’autrefois d’antalgiques puissants pour la soulager. Pourtant, lorsqu’elle se chronicise et contamine complètement les forces vives d’un patient, le médecin (y compris le médecin généraliste) peut trouver utile et nécessaire de confier celui-ci à un Centre de la douleur pour une prise en charge qui englobe les paramètres médicaux, personnels et familiaux. Quant à la dimension socio-économique, elle a également une importance non négligeable dans souffrance chronique.
Toutefois, gardons à l’esprit que l’optique d’une telle prise en charge de la douleur place les soignants (ceux des Centres de la douleur bien entendu, mais pas seulement), dans l’« être » et non dans l’« avoir ». Face à la douleur, le besoin de reconnaissance et d’humanisme est fondamental. Or dans notre société qui censure encore trop la souffrance et la mort, et qui de surcroît survalorise les valeurs matérielles, la personne soignée représente un objet de soins sensé générer des dépenses et des recettes. Que nous le voulions ou non, l’hôpital fonctionne de nos jours sur le modèle d’une industrie, avec manager et contrôles de qualité. Comment dans ce cas trouver le juste équilibre entre impératifs économiques et service rendu à l’humain ?
Malgré les plans gouvernementaux qui ont permis aux Centres de la Douleur d’être reconnus d’intérêt général et donc de percevoir des dotations, le président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur, le Dr Jean Bruxelle, annonce clairement que « les hôpitaux ne reversent pas toujours aux services douleur la totalité de ces dotations, qui sert en général à combler les déficits des autres services ou activités* ».
Comment alors feront ces Centres pour perdurer et offrir aux patients une prise en charge si bien adaptée au handicap qu’ils vivent ?
S’il s’agit de gérer et d’administrer, il faut également trouver l’équilibre entre gestion et compassion afin de donner du sens au soin, et de la vie à la vie.

* Citations en italiques : Journal « L’Express » octobre 2009



NDLR : Cette lettre illustre l'article 4 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :

- 4°) Je résisterai aux pressions extérieures qui me détourneraient de ma fonction, et je resterai avec objectivité du côté de la personne malade.


Os court :<< Une personne qui n'a jamais commis d'erreurs n'a jamais tenté d'innover.>>
Albert Einstein


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