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La Lettre d'Expression Médicale
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 N° 644
 
 
       15 mars 2010  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Le médecin à travers les âges

Photo auteur ;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;; Docteur Cécile Bour, lui écrire

xxx    Si vos pas vous mènent un jour à Beaune, vous visiterez l’Hôtel- Dieu, qui, outre sa toiture de tuiles multicolores en terre cuite émaillée, sa salle commune des « pôvres », son polyptyque de l’artiste flamand Rogier van der Weyden du XVème siècle, comporte également une pittoresque apothicairerie. Le contenu des pots alignés sur les étagères de bois, datant de 1782, laisse pantois  : yeux d’écrevisses, poudre de cloportes, argile ocreuse, poudre d’ipécauanha, alcoolat thériacal, et là vous vous dites que, nom d’un alambic, on l’a échappé belle, surtout s’il fallait faire avaler ce genre de produit à nos têtes blondes…
La période avant Hippocrate se caractérise par une médecine primitive sacerdotale s’exerçant dans les temples (Égyptiens, Grecs, Hébreux, Romains), agrémentée de quelques notions empiriques (recettes contre morsures de serpents, contre les maladies des yeux). Dans l’Antiquité, le prêtre était aussi médecin, et officiait à l’aide de rituels pour appeler la guérison.
Hippocrate(460 av JC) codifie les connaissances, créé l’humorisme (bile jaune, bile noire, sang, pituite) et invente le naturisme. Le médecin doit se garder de contrarier l’effort de la nature en intervenant. Ce n’est que si elle ne suffit pas à vaincre que le médecin doit aider, et favoriser l’élimination des humeurs (action des contraires), donc par des saignées, purgatifs, évacuants, pour éliminer les humeurs nuisibles. La diète était préconisée au maximum du mal, et l’alimentation dans la phase de déclin . Tout cela avait vraisemblablement l’effet d’affaiblir et d’achever plus efficacement le malade ; autrement dit, le médecin contribuait à la sélection naturelle des constitutions les plus résistantes.


retrouver la confiance

xxxJusqu’au bas Moyen-Âge, la profession médicale a une auréole de terreur et de mystère, elle est assimilée au sacré. Globalement, le Moyen-Âge est caractérisé par la défiance de l’homme du peuple vis à vis du médecin. On ne se fait pas d’illusion sur l’efficacité de son traitement. On le raille, par exemple dans la mode de la danse macabre, dès 1442, ou le médecin est représenté côtoyant la mort, et c’est elle qui mène la danse, suivie d’autres personnes, le pape, même, en tête. De toute façon la mort est sans importance, puisque c’est la vie après la mort qui compte.
Toutefois,vers les XIIème/ XIII ème siècles on assiste, sur le pourtour méditerranéen, à une professionnalisation de la médecine, avec mise en place de collèges de praticiens, création de facultés et grandes écoles organisées en corporations, n’admettant parmi les professionnels que ceux détenant les titres universitaires ( en 1120 Bologne et Paris sont les premières universités), dont le savoir est positivement accueilli par la population lettrée. Des manuels médicaux de l’époque parlent de la nécessaire obéissance du patient, et de la confiance qu’il doit témoigner au médecin, que celui-ci doit inspirer (discours encore moderne), et codifient les relations malade-médecin par les « pactes de guérison » apparaissant au XII ème siècle. La guérison , dont dépend la rétribution du médecin, peut être toute relative, avec juste une amélioration d’un état maladif de départ. La responsabilité du médecin n’est pas dans une obligation de résultat, mais plutôt dans une fonction d’observation du malade avec une capacité de pronostiquer l’issue, ce qui pouvait être plus ou moins facile selon l’expérience et les pathologies courantes de l’époque (lèpre, peste, variole). Le médecin, incapable de soigner véritablement ces fléaux, s’attache plus à prendre en charge l’individu globalement, en se basant sur sa complexion et en prescrivant régimes et clystères (lavements), toujours en faisant appel à l’autorité d’Hippocrate, Galien, Avicenne, Averoés etc, pour légitimer et renforcer ainsi sa fonction. Et puis après, on invoque la volonté divine , selon laquelle l’épidémie évolue, car le Très-Haut a créé la médecine dans sa grande générosité, mais lui seul guérit le mal, et ce subterfuge garantit au praticien un pouvoir de conviction auprès de la « patientèle » illettrée et ignorante. Mentionnons encore que l’époque donne naissance aux premiers « hôpitaux », et que l’on voit fleurir les Hôtel-Dieu et les hôpitaux dits de Charité.
Au XVIème siècle, le médecin jouit d’un statut supérieur à celui du chirurgien ou du barbier. On combat encore les maladies par des méthodes entre remèdes populaires de bonne renommée et recherches alchimistes. La syphilis par exemple se traite par le vif argent (mercure), du bois de gayac, de la salsepareille . La médecine se définit encore comme la pratique de la philosophie naturelle sur le corps humain en se référant à Hippocrate, et Rabelais, médecin et humaniste, est une figure phare de l’époque. Le médecin est en butte à des attaques acerbes et poèmes satiriques à l’instar de la « Nef des Fous » de Sébastien Brant (La Nef des Folz, 1498) (1). La simple raillerie devient attaque haineuse, d’autant plus que l’espoir en le pouvoir du médecin est profond. La médecine fait néanmoins beaucoup de progrès, on remet en question les connaissances anatomiques et physiologiques admises jusque là, il existe une soif de connaissances , les dissections, quoiqu’encore rarement, sont permises, mais, de tous ces progrès dans les connaissances, la masse paysanne profite peu.
Sous Molière , la médecine rentre dans les mœurs, la vie devient le bien le plus précieux de l’homme , une fin en soi. La pensée du malade ne va pas vers la mort mais vers le médecin qui accompagne l’homme. La spécialisation croissante entraîne une nouvelle hiérarchie sociale dont le médecin et l’apothicaire occupent le sommet. A cette époque les maux de l’homme provenaient ou du ventre ou de la tête.  L’opération « de la pierre » où l’on incisait la région de la mastoïde et extrayait des cailloux était très à la mode. En témoignent les tableaux de Jean Steen (« les pierres de tête » au XVIIème siècle) ou la gravure de Breughel montrant « l’extraction de la pierre de FOLIE «  (XVIème siècle), l’extraction étant une sorte de jonglerie, car les médecins savaient déjà que beaucoup de névropathes ou déséquilibrés dépeignent d’étranges douleurs céphaliques, et ainsi quelques peu scrupuleux médicastres abusaient de la crédulité des malades par une habile mise en scène. D’un autre point de vue, ces médecins apportaient vraisemblablement un soulagement réel, par une sorte d’effet placebo. On trouvait dans le jargon et les explications des médecins un mariage intime de la morale et de la médecine , par exemple les vices de l’incontinence qui « corrompent l’âme », « compromettent le salut », comme un avant-goût des châtiments de l’au-delà. Au fur et à mesure que la science médicale avance, trouve des relations dans le monde des maux, leurs causes et leurs remèdes, le sentiment populaire de l’injustice universelle trouvait de nouvelles raisons de moquerie et de haine. L’issue de comportements amoraux est la maladie ; parallèlement Molière met en lumière la morgue du médecin, son jargon, destinés à impressionner le malade par l’apparence, quand il est incapable de compter sur les résultats réels de ses traitements.

   


restaurer la conscience

xxxAu XVIII ème siècle, l’art de guérir et de prolonger la vie se transforme en une science, avec ses aléas et ses incertitudes. Et l’évolution de la science se révèle à l’homme dans ce qui le touche le plus directement : la médecine. Elle fait de grands progrès, les hommes n’ont plus peur des épidémies, qui ne s’accompagnent plus de terreur mais sont considérées de sang-froid. La maladie n’est plus un fléau envoyé de Dieu, fait relevant de la religion , mais une simple calamité physiologique. Elle perd son prestige auréolé de superstition et retombe au rang des viles choses méprisables dont s’occupent médecins et physiologistes avec des succès affirmés (Scarpa et ses découvertes anatomiques, Jenner qui procède à la première vaccination, Daviel qui effectuera l’opération de la cataracte par extraction du cristallin, Laënnec et sa méthode de l’auscultation, Lavoisier et sa théorie sur la respiration ...). La médecine est admirée, elle réunit la fascination de la science, de l’art et du roman-feuilleton. On éprouve du plaisir à se soigner et l’intérêt de la médecine va croissant. Qui, jusqu’à nos jours, ignore encore la signification des mots « microbe », << tumeur », « vitamines » ?
Du XIXème siècle à nos jours, la figure du médecin devient une image fascinante dans l’imaginaire collectif, de par sa « maîtrise » des secrets de la vie, son pouvoir sur les vicissitudes du corps, mais aussi en raison de l’ambiguïté du statut de la médecine en tant que science, mais science tangible, reliée étroitement à l’homme. Par ailleurs, on notera que le médecin du XIXème siècle n’est pas seulement homme de science, mais aussi homme de pensées, un humaniste, à l’instar de Claude-Bernard (« leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux », 1878), ou de Cabanis (« rapport du moral et du physique de l’homme », 1802). Il existe un respect de la personne omnisciente, dont on peut affirmer, sans caricaturer, sa mise à mal de nos jours. L’accessibilité de l’information médicale sur le net et sa vulgarisation dans la presse écrite y sont certainement pour beaucoup, avec de façon concommittente, la dégradation générale des valeurs du savoir, dont l’étude des causes pourrait constituer un bon sujet d’exploration… L’homme d’aujourd’hui veut , et même prétend savoir autant que le professionnel, parce que la facilité d’accès à l’information et la délivrance parcellaire d’icelle lui donnent l’impression que la médecine est chose peu complexe, d’autant que le praticien d’aujourd’hui est aidé par une technicité grandissante. Les revendications vis à vis du médecin, d’être traité et guéri, d’être informé (lois Kouchner sur l’accès au dossier médical), vont croissant, avec leurs dérives, où l’erreur médicale inhérente à l’état humain du médecin est très vite requalifiée en « faute médicale », nourrissant l’appétit des médias, pour jeter l’opprobre sur une profession jugée trop puissante et trop nantie.


renforcer la compétence

XXXEn comparaison avec les époques passées, pourtant, on s’aperçoit aisément que les pathologies codifiées étaient moins complexes du fait d’une moindre technicité de diagnostic, une lésion qu’on croyait bénigne était tout simplement « devenue » maligne. Actuellement on sait d’emblée que la tumeur maligne qualifiée de bénigne aura été tout bonnement « ratée », la complexité des techniques médicales revendiquées pour connaître avec certitude l’affection ne laisse pas de place au doute, le médecin ne pourra plus dissimuler ou inventer une explication. Ce problème de la responsabilité médicale de plus en plus pesante intervient durement sur la confiance entre médecin et patient.
Le patient contemporain, humblement, devrait considérer son privilège d’être soigné et pris en charge dans nos temps modernes, par rapport à des situations d’époques antérieures, où les investigations et les traitements étaient inopérants pour des affections aussi graves que le cancer, par exemple, il y a seulement vingt ans en arrière. A quoi bon , réellement, regretter un temps où le médecin était plus disponible, certes, mais bien moins efficace ? Que veut-on, que revendique la société moderne ? Un médecin qui vous tienne la main et vous écoute des heures durant, comme nos grand-parents le connurent, possédant une grande disponibilité de temps, ou bien un praticien efficace, moins disponible du fait de la pénurie médicale actuelle, mais, comme nos jeunes confrères actuels, allant droit au but, travaillant effectivement plus, davantage au fait des nouvelles techniques, renseigné sur les thérapeutiques les plus récentes, formé dans des congrès, ayant une vision moderne de la prise en charge de la pathologie ?
Ou préférez-vous vraiment, patients, voir administrer un enfumage iodé pour le traitement de l’otite à votre enfant, ou bien absorber de l’arséniate de soude, du souffre colloïdal, du iodure de lithine et du mésothorium pour votre rhumatisme, le tout agrémenté de baume de Fioravanti en enveloppement local et de clystères matin et soir ? (Larousse Médical, 1924)

 

(1) NDLR : voir à ce sujet le dessin de Cécile Bour La nef des fous ( Ainsi va la démographie médicale ) du 23 au 25 mars 2007 à http://www.exmed.org/humour/humorCO2.html



 


Notre Charte d’Hippocrate est consultable à la page
http://www.exmed.org/archives08/circu532.html
Cette lettre en illustre l’article 16
J’entretiendrai et perfectionnerai sans relâche mes compétences tout au long de ma vie .


Os court : << Qu’est-ce que le passé, sinon du présent qui est en retard ? >>
Pierre Dac


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Lire la LEM 643  Liberté, Égalité, Fraternité ! ?, Françoise Dencuff

Lire la LEM 642
 La philosophie de la médecine , François-Marie Michaut

Lire la LEM 641   Bien vieillir, Nicole Bétrencourt

Lire la LEM 640   L’être-médecin, l’être humain et Exmed, Philippe Deharvengt

Lire la LEM 639
  L'hôpital public en péril , Bruno Blaive