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La Lettre d'Expression Médicale
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 N° 664
 
 
       2 août 2010  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Le prix du mépris

Photo auteur ;;;; ;;;;;; Docteur François-Marie Michaut, lui écrire

     Lorsqu'au milieu des années 1960 je disais à mes amis externes des hôpitaux de Paris ( ce modeste titre - auquel accédait en gros, sur concours, la moitié d'une promotion - existait encore ) que je voulais exercer la médecine générale à la campagne, je passais déjà pour un fou en ne sautant pas sur une spécialisation comme ils le faisaient pratiquement tous.
Pardonnez-moi cet élément personnel, mais quand on parle de la désaffection vis à vis de la médecine la plus proche de chacun ( vilainement dite << de proximité>> ), on ne fait que parler d'un phénomène qui évolue à bas bruit depuis des dizaines d'années sans que cela ait gravement troublé quelque responsable que ce soit ! Je n'hésite pas une seconde à le nommer comme il le mérite : le temps du mépris.
   La médecine technoscientifique triomphante a engrangé tous les lauriers sans se soucier une seconde de ce qui pouvait se passer hors des citadelles hospitalo-universitaires.


retrouver la confiance

   Elisabeth Hubert, qui fut 14 ans généraliste près de Nantes avant de devenir députée, puis discrètement secrétaire d'état à la santé dans les années 1980, le socialisme antérieur ayant décidé que la santé ne méritait pas un ministère indépendant. A la demande du Chef de l'état, la voici chargée maintenant de prendre le pouls des médecins d'exercice personnel ( dits libéraux par étrange ironie, ou de proximité par approximation sémantique) qui fuient en masse les cabinets de généralistes comme de certaines spécialités médicales. La fuite attentiste vers des occupations salariées ou de remplacements ponctuels, le désintérêt évident des internes pour les services non spécialisés et le phénomène dit de << déplaquage >> des praticiens encore en exercice sont autant de faits qui en disent plus long que tous les discours. On est bien bien au delà de la << lassitude >> invoquée dans les médias ( Figaro économie du 29 juillet 2010).
Les médecins, vieux comme jeunes, n'ont tout simplement plus aucune confiance dans la manière dont ils peuvent avoir ou conserver encore leur place dans notre système de santé.

restaurer la conscience

   Les questions concernant notre santé sont devenues au fil du temps, et c'est une nouveauté dans notre société, une des préoccupations majeures des hommes politiques. Ils estiment probablement, présidents de la république en tête, tant aux USA qu'en France, qu'il s'agit là d'une de leurs missions prioritaires. Tentative de se donner une bonne image de marque auprès d'un électorat toujours volatile ?
Les médecins vivent douloureusement d'être éliminés par la puissance publique, au nom d'une nébuleuse << politique de santé >> définie dans de lointains états majors dont ils sont évincés. Aucun débat public pour définir comment nous voulons être soignés, de quoi, par qui et en consacrant quelle part de notre richesse nationale (PIB). Aucune écoute soigneuse de ce que vivent les professionnels du soin, de ce qu'ils veulent et de ce qu'ils refusent dans leur vie quotidienne.
 Au lieu de ce contact direct, les praticiens ne passent guère de mois sans apprendre par une presse, qui ne brille pas par son indépendance, la création d'un haut comité, d'une instance de pilotage, d'une haute autorité, de lois, règlements, contrôles, commissions, rapports d'experts ( liste non exhaustive ). Et à chaque fois, c'est un pan de leur champ d'action de professionnel responsable de haut niveau dont ils se trouvent amputés par des intermédiaires.
<< Médecins (ou toute autre catégorie de blouse blanche ), nous savons mieux que vous ce qui est le meilleur pour vous, et comme vous avez la tête dure, nous allons utiliser tous les moyens dont nous disposons pour vous contraindre à obéïr à nos ordres >>. Dit plus crûment, l'air du temps semble nous dire : << Contentez-vous de soigner selon nos instructions, tout le reste n'est pas de votre domaine >>.
 Alors, vous vous étonnez que nous manifestions notre démotivation extrême, non pas en descendant dans les rues ou en cassant des bâtiments publics comme le font d'autres citoyens ? Il est vrai que nous avons une façon bien à nous de cesser de subir ce qui nous est devenu insupportable à vivre : nous nous suicidons deux fois plus souvent que les autres personnes. Discrètement en plus. Cela ne fait jamais les gros titres dans la presse.
 Nous avons pris collectivement , et depuis l'école primaire, la détestable habitude de ne pas nous exprimer, des endroits comme celui où vous lisez ces propos demeurent, hélas,exceptionnels. Oui, beaucoup d'entre nous craignent des représailles s'ils osent écrire quelque chose sur la Toile. Vous rendez-vous compte dans quel état psychologique digne d'une dictature nous en sommes réduits ?
Mais cela ne veut pas dire que nous n'avons rien à exprimer, rien à proposer pour qu'à nouveau soigner les autres soit un des plus beaux métiers de notre société.


renforcer la compétence

   Plus que jamais, la question de la compétence des soignants tout comme des représentants de la collectivité demeure centrale. Plutôt que de nous sonder, avec une apparence de sollicitude brouillonne, le coeur et les reins pour tenter de renflouer notre bateau qui est en train de couler, c'est la place même de la médecine dans la société qui doit ENFIN être définie. Nous avons juste besoin de savoir ce que nos contemporains, et non leurs seuls représentants élus, attendent de nous. Nous sommes assez grands garçons pour leur répondre alors individuellement et collectivement si c'est possible ou non, et à quelles conditions en moyens humains, intellectuels, scientifiques et financiers, c'est réalisable.
A ce moment là, et à ce moment seulement, des contrats équitables et respectueux de tous peuvent être signés, avec de bonnes chances d'être respectés. Nous ne sommes plus alors dans un jeu de dupes.
Si je me permets d'insister sur cette méthode, qui va dangereusement à l'encontre de tous ces tics technocratiques, dont nous continuons à mesurer les échecs chroniques, c'est parce que le temps des annonces de mesurettes spectaculaires pour traiter des problèmes systémiques lancé par Valéry Giscard d'Estaing au siècle dernier est définitivement passé. De grâce, ne nous infligez-plus les dix, vingt, trente mesures pour lutter contre ceci ou cela.
Non seulement nous n'y croyons plus depuis belle lurette, mais cette façon de ne jamais traiter un dossier en se focalisant sur quelques détails nous enfonce dans notre sentiment d'être méprisés, de ne pas être respectés.
 Le temps des règlements de comptes est venu. Que vous le vouliez ou non, et d'une façon ou d'une autre, ce mépris à notre égard vous devrez en payer le prix.
Sans vous, nos dirigeants, nous pouvons continuer à vivre : il y aura toujours des malades et des soignants.
Sans nous et notre soutien, notamment financier, vous n'existez tout simplement plus et les hommes continuent de vivre et de mourir un jour.
 Les médecins n'ont pas l'habitude de vous interpeller sans ménagement ? Vous en voyez plutôt les courbettes serviles ? N'en tirez aucune conclusion sur le pouvoir que vous auriez sur eux. Vos conseillers, en bons courtisans, vous leurrent pour vous complaire sur la réalité de nos relations détestables avec vous.
Demandez-vous donc pourquoi règne dans nos rangs ce climat de peur qui nous empêche de nous exprimer. Mais pas d'agir avec une résistance passive que vous n'avez aucun moyen d'infléchir, quelles que soient les ruses de vos savants stratèges en chambre.
 Quoi que vous fassiez, vous ne remplirez pas les cabinets désertés. Ils se rempliront tout seuls le jour où nous aurons le sentiment de ne plus être méprisés mais d'être respectés comme notre fonction le mérite et l'impose pour que nous fassions bien notre travail.
Cherchez donc, vous qui adorez les mesures, comment sortir de ce climat de mépris à notre égard qui nous pourrit la vie et agit comme un répulsif puissant pour les nouvelles générations de soignants dont nous avons pourtant tellement besoin.
 Si je peux tenir un tel langage, largement inspiré par des montagnes d'échanges par Internet autour de la santé depuis treize ans, ce n'est que parce que, retraité depuis cinq ans de toute activité clinique, je suis devenu totalement libre de m'exprimer.
N'étant lié à aucun groupe constitué ni à aucun organisme, je ne roule pour personne, je ne brandis aucune bannière et je ne porte pas la moindre revendication personnelle.
Même pas le moindre soupçon du plus petit conflit d'intérêt à l'horizon à vous mettre sous la dent pour disqualifier cette lettre qu'il serait dommage que vos discrets informateurs habituels jugent digne de la poubelle sans autre forme de procès.

 

Cette lettre illustre l'article 1 de notre Charte d'Hippocrate. Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
- 1°) Mon objectif prioritaire sera de rétablir et de préserver la santé physique et psychique des hommes sur le plan individuel et collectif .
Cet objectif prendra en compte le contexte de l'environnement professionnel tout en respectant celui du patient, et du vivant dans son ensemble.


Os court :
<<Courons à l'onde en ressortir vivant. >>
Paul Valéry


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