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La Lettre d'Expression Médicale
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 N° 669
 
 
    

  6 septembre 2010  


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Qui range les chaussettes ?

Photo auteur

 

 

 

Docteur Françoise Dencuff, lui écrire
Illustration docteur Cécile Bour

 

 

 

     Que viennent donc faire des chaussettes sur un site d'expression médicale ?
En lisant le livre de Molinier, Laugier et Paperman : Qu'est ce que le care ? (1), il m'a semblé y trouver bon nombre de réponses aux difficultés que traverse actuellement le monde des soins de santé. Et le monde en général.


retrouver la confiance

   La définition du mot anglais care est encore sujette à discussion. Il ne s'agit pas seulement de prendre soin. La conception la plus large est celle de Joan Tronto et Berenice Fischer : une activité caractéristique de l'espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, continuer ou de réparer notre « monde » de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde inclut nos corps, nos individualités et notre environnement, que nous cherchons à tisser ensemble dans un maillage complexe qui soutient la vie.
Cette activité est sous tendue par des exigences morales spécifiques en fonction du type de « care » auquel nous faisons référence :


- Le fait de se soucier de quelqu'un ou de quelque chose (caring about) nécessite d'être attentif à l'autre
- Prendre soin de quelqu'un (caring for) suppose d'assumer la responsabilité du travail de « care »
- Soigner quelqu'un (care giving) exige des compétences
- Être objet de soin (care receiving) demande de la réactivité, une capacité de réponse.


Le plus important dans ce « souci de l'autre » est qu'il reste encore très attaché à la sphère privée. Autrement dit, on se soucie surtout des siens, et c'est le plus souvent la femme qui « se soucie ». Quand le care passe dans la sphère publique, il renvoie à des métiers essentiellement exercés par des femmes (ou des immigrés) et mal payés.
Donc il reste évident qu'une large majorité de femmes continuent à « ranger les chaussettes » et le développement des métiers de service est la preuve incontestable d'une « féminisation » de la société.


restaurer la conscience

    Le care n'a pas de prix… donc il est facilement dévalorisable. Ne dit-on pas d'une femme qui s'occupe du foyer qu'elle est sans profession. Le care n'est pas « professionnel », il est avant tout une attitude, même s'il exige des compétences. Comment chiffrer sa valeur ?
A la lecture de ces quelques lignes vous devez vous dire qu'il s'agit encore d'un discours féministe. Il n'en n'est rien. Surtout que le féminisme politicien n'a fait qu'imiter les comportements masculins.
Les questions que soulève une société qui demande du respect, de l'attention et continue à penser que le soin « va de soi », qu'il n'a pas la même valeur que les compétences qu'il sous-tend, sont essentielles pour aborder le profond changement des comportements.
Il n'y a pas de modèles féminin ou masculin rigides. Seulement des habitudes, de moins en moins pertinentes au regard des attentes humaines.
Loin de moi la pensée que les femmes sont « opprimées » par les hommes. Elles sont responsables de considérer que la rémunération de leur travail est une sorte de « roue de secours » pour leur foyer, ou pire encore, au cas où elles se retrouveraient seules. Écoutez les médias et les résultats des instituts de sondage, les femmes travaillent parce que le revenu de leur compagnon n'est pas suffisant. Hallucinant, d'autant que les jeunes générations ne font pas mieux que les anciennes. Le regard sur les femmes qui occupent des postes importants reste suspicieux. Mauvaise mère (il est évident qu'on ne peut pas être partout), promotion canapé (seule la capacité de séduction est une valeur féminine reconnue et monnayable)…
Bref, on ne sort pas de la confusion entre état et rôle. Lorsque vous demandez à une femme : qu'est-ce qu'être une femme, elle va vous décrire ses rôles : mère, amante, épouse… mais aucune ne vous dira simplement : un être humain. D'ailleurs, a-t-on même l'idée de demander à un homme ce qu'il est ?

 


renforcer la compétence

   Pourquoi introduire cette réflexion dans le domaine de la santé ?
Nul ne contestera que les infirmières et aides soignantes sont beaucoup plus nombreuses que leurs homologues masculins et ce depuis fort longtemps. Par contre, il y a peu, les médecins étaient presque exclusivement des hommes. La féminisation de notre profession entraine des transformations profondes, tant au niveau du prendre soin que du soigner. Et la compétition entre les soignantes medecin et d'autres métiers est encore plus farouche.
Le regard distancié que le médecin avait la réputation de porter sur le patient, la relation particulière et rassurante qu'il avait avec les infirmières, (en caricaturant on pourrait dire : j'ordonne, tu exécutes), la volonté de rester dans le domaine des techniques et du rationnel…etc., sont mis à mal dans une société devenue schizophrène. Elle exige de plus en plus de care : attention, responsabilité, compétences mais reste encore très attachée à l'image « d'autorité distante » que représente le médecin.
Plus encore, il est à se demander si la pression permanente du politique sur les médecins n'est pas en lien avec la féminisation ? Autrement dit, pour parler sans langue de bois (je ne serai jamais une « bonne politique »), la diminution des revenus des médecins, surtout généralistes, serait-elle en lien avec le nombre croissant de femmes exerçant cette profession ? Elle est en tout cas certainement en lien avec la dévalorisation constante du care.
Pas de féminin pour le mot médecin, ou plutôt pas de féminin pour le métier de médecin. Mais la médecine n'est-elle pas justement cette alliance entre savoir et savoir être, le prendre soin à travers nos compétences et nos savoirs ? Ne serait-il pas opportun maintenant de cesser de nous mettre en échec sous prétexte que nous avons le redoutable privilège de l'enfantement et donc des congés maternité ? Que nous sommes plus nombreuses à rester près de nos enfants (ou parents) malades que nos chers moitiés ?
Nous ne résoudrons rien tant que nous n'imposerons pas notre façon à nous d'exercer notre métier, tant que nous continuerons à nous arrêter parce que nous pensons devoir tout concilier, tant que nous continuerons à nous vivre comme « accessoire ». Jolis accessoires au demeurant… ! Les << femmes médecines >> sont parfaitement à leur place à condition qu'elles résistent simplement à la contamination du savoir faire ou du savoir être masculin.
Si nous reprenons la définition du care de Joan Tronto il est évident qu'un médecin femme est toute désignée pour « maintenir, continuer et réparer le monde » et ce faisant « soutenir la vie ».
Ces réflexions n'ont pas vocation à entretenir la polémique masculin-féminin mais plus simplement à mettre en évidence le fait que nous, femmes, sommes responsables de ce que nous sommes, de ce que nous voulons, de ce que nous faisons. Et c'est bien là le problème car il est beaucoup plus facile de se cantonner dans la position de victime.

   Au moment où la société revendique une « humanisation » des soins, le prendre soin, le souci de l'autre, la capacité à « toujours savoir où sont rangées les chaussettes », ne sont-elles pas des compétences que nous possédons ? Au moins autant que les hommes ?
 A nous de les faire reconnaître, tant au niveau économique que dans notre exercice. Et de participer activement à une refonte des études médicales capable de prendre en compte cette dimension de nos métiers.

 

.(1) Qu'est ce que le care ?, Souci des autres, sensibilité, responsabilité.
Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman. Petite bibliothèque Payot

 

 

Cette lettre illustre l'article 13 de notre Charte d'Hippocrate. Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
- 13°) Je prendrai le temps et la peine d' écouter les malades et les familles, leurs demandes, de m' assurer de leur compréhension et d' utiliser la communication et le dialogue tout au long de la démarche de soin.


Os court :
<< Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.>>
Albert Einstein


Recherche sur le site Exmed.org par mot clé :

______________________
Lire la LEM 668 Vice congénital de construction, Jean-François Huet

Lire la LEM 667 L'éducation thérapeutique par le web , Bruno Blaive

Lire la LEM 666 Pour qu'il y ait encore des médecins demain, François-Marie Michaut

Lire la LEM 665
Sur un air de chanson, Gabriel Nahmani

Lire la LEM 664 Le prix du mépris, François-Marie Michaut

Lire la LEM 663 Prenons la mer avec Jacques Grieu, François-Marie Michaut

Lire la LEM 662 Ralentir. Enfance, Max Dorra