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 N° 675
 
 
    

  18 octobre 2010  


 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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La langue d'Esope : mensonges, quiproquo, incompréhensions

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Docteur Cécile Bour, lui écrire



( Illustration de Cécile Bour 2010 )

 

 

 

   L'anecdote est vraie, j'en ai même fait la caricature reproduite ci-joint . Un beau jour, une de mes manipulatrices sort en pouffant de rire de la salle d'examen. A la question, systématique, « Avez–vous des antécédents de cancer ? », qu'elle avait posée, la dame un peu sourde, venue pour divers examens répond le plus sérieusement du monde : << Non non, je suis ascendant scorpion, avec la lune dans le premier décan ! » La radiologie, parfois, c'est surréaliste.
Esope prétendait que la langue est ce qu'il y a de meilleur et ce qu'il y a de pire. Cela dépend de ce qu'on en fait. Pas d'Esope, mais de la langue. Elle sert à nous comprendre mutuellement, à nous méprendre, à annoncer des vérités, à mentir aussi.


retrouver la confiance

   Comment savoir si le malade ne ment pas, en prétendant vouloir connaître la vérité ? La plupart du temps, le médecin, sans mentir réellement, travestit la réalité, souvent dans le but de protéger son malade du traumatisme d'un diagnostic trop grave. Ou bien parce qu'il juge son malade peu apte à comprendre des explications trop compliquées. Mais ne serait-ce pas pour se protéger lui-même de questions embarrassantes, et pour ne pas être acculé par le malade à l'avouer, cette terrible vérité, que lui-même, par peur et par maladresse, ne sait communiquer ?
Le « mensonge » revêt plusieurs formes, il s'agit pour la plupart d'un mensonge par simple omission, ou bien de l'utilisation de circonvolutions et euphémismes pour éviter une vérité trop crue, et trop cruelle. L'utilisation du placebo constitue aussi un mensonge thérapeutique...
Le mensonge par omission, le plus fréquent en consultation, concerne autant le médecin que le malade, qui a également parfois intérêt à mentir. Actuellement, avec l'avènement de la vulgarisation médicale dans les médias, et aussi celui de l'internet, il devient assez compliqué de berner grossièrement le patient, qui revendique d'ailleurs ouvertement le droit au savoir. Le malade moderne est aussi loin du malade imaginaire de Molière que le médecin moderne du Dr Knock. La pédanterie et le paternalisme du médecin ont bien cédé du terrain parallèlement à la prise d'autonomie du malade.

 


restaurer la conscience

   Il est de moins en moins vrai de prétendre que le médecin mentira sciemment dans le but d'apeurer son patient et d'obtenir sa compliance aux traitements qu'il veut lui imposer. De nos jours, le malade est bien trop malin pour cela… Justement, et le malade dans tout cela ? Lorsqu'il assure vouloir connaître le verdict médical, dit-il la vérité ? Et lorsqu'il ne réclame rien, cela veut-il dire forcément qu'il ne veut pas savoir ? Le malade aussi ment, dans le but de provoquer certaines réponses chez le médecin, ou bien pour lui cacher un traitement mal conduit ou une auto-médication, ou bien la consultation chez un autre confrère, quand ce n'est pas pour dissimuler des consultations auprès de thérapeutes plus ou moins doux, à la mode, et qui ne sortent pas vraiment de la faculté de médecine...
On voit à quel point la relation médecin-malade peut être complexe entre les dits et les non-dits, les interprétations du comportement du malade par le médecin et les interprétations du discours médical par le malade. On ne peut passer sous silence non plus les facteurs émotionnels et affectifs qui conduisent à un dialogue qui ne sera pas le même d'un patient à l'autre, qui différera selon le contexte, et selon la complicité entre médecin et patient. Et d'ailleurs, cette connivence, cette complicité, ne sera pas établie de la même façon selon la gravité même de la pathologie. La perspective de la mort peut amener le patient à inciter le praticien au mensonge ; l'échec thérapeutique lui, peut amener le médecin à masquer son sentiment d'impuissance et ses incertitudes par un travestissement ou une dissimulation de la vérité. Lui aussi n'est qu'un humain après tout, mû par des facteurs autant rationnels qu'affectifs. Le malade se ment parfois à lui-même d'ailleurs, et ce en dépit d'un discours médical structuré.

renforcer la compétence

   Lors d'une annonce de pathologie très grave, après une longue explication qu'on a voulue complète, détaillée, « loyale, claire et appropriée », selon l'article 35 du code de la santé publique, combien de fois n'a-t on pas entendu le malade s'exclamer : »ah, bon, mais ce n'est pas un cancer, quand-même ! », alors que c'est justement cela qu'on voulait faire comprendre, et cela qu'au fond de lui le malade a fort bien compris…
Ce jeu de vérité-mensonge peut très bien évoluer dans le temps, au fil des consultations, selon l'évolution même de la maladie ou de la guérison.

Le problème devient encore plus délicat lors de la consultation d'un patient étranger, qui ne comprend pas toutes les subtilités linguistiques et dont la culture et/ou la religion lui font entrevoir la maladie et la mort de façon très différente. On ne dispose pas toujours d'un interprète sous la main….Là aussi, il faudra beaucoup de patience au praticien pour aborder cette personne peut-être plus fragile encore avec toute l'humanité et le doigté qui conviennent.
La communication ne peut être saine, claire et adaptée que si la consultation laisse le temps aux deux protagonistes, malade et médecin, de se jauger, au bon sens du terme. Le médecin doit notamment éviter de tomber dans des préjugés sur la capacité de compréhension du malade en fonction de son origine sociale, et dédaigner une explication vraie sous prétexte que le patient ne la comprendra pas.
Enfin, restons simple, nous médecins, adaptons notre discours, évitons de demander à une enfant de cinq ans si les boutons sur sa peau sont « prurigineux », et lorsqu'un hispanophone se plaint de sa « techitoure », n'allons pas examiner ses cordes vocales en pensant à un problème de « tessiture », le souci se situant….beaucoup plus bas et nécessitant non pas une laryngoscopie mais une échographie scrotale (inspiré de faits réels).

 

Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html


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Alphonse Allais


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