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N° 679

 
 

     15 novembre 2010
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Le but des salles de shoot

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Nicole Bétrencourt, lui écrire

( Illustration de Cécile Bour 2010)

 

 

   Depuis cet été, nos élus débattent de l'utilité d'ouvrir des «salles de shoot» dans notre pays. Ce nom trivial désigne un Centre d'Injection Supervisé (CIS) encore appelé Salle de Consommation à Moindre Risque (SCMR). Dans cette structure, le toxicomane peut venir s'injecter sa dose sous la surveillance d'un personnel qualifié. Les CIS s'inscrivent dans le cadre d'une politique de réduction des risques liée à la toxicomanie qui fut au départ développée dans des pays à forte tradition de santé publique.

retrouver la confiance

   Les défenseurs des CIS disent que « ça marche et comme ça se fait dans certains pays européens », alors pourquoi pas chez nous, « car on ne peut pas laisser les gens se droguer dans la rue. » Et il y a des preuves scientifiques !
On les croit sur parole, si ce n'est que lorsqu'on se penche sur la dite littérature scientifique, on constate qu'elle se compose d'articles absents (ou mal répertoriés) sur les CIS dans la base de données Medline, de notes gouvernementales et d'enquêtes. Par contre La littérature scientifique est prolixe sur les risques de transmission du VIH/HIC par le matériel d'injection. L'absence de données suivant les règles de l'Evidence Based Medecine ne signifie pas qu'il faille jeter les CIS aux orties...
   Car l'idée des CIS a fait son petit bonhomme de chemin. En octobre dernier, le Conseil de Paris a voté la création d'une Salle expérimentale de Consommation à Moindre Risque. La somme de vingt-six mille euros euros (26 000 euros) avait été allouée l'année dernière à l'association Elus Santé Publique et Territoires (ESPT) pour étudier ce projet. Pour ceux qui ne la connaissent pas, l'association ESPT, créée en 2005, regroupe des élus locaux et des regroupements en charge de la Santé, désireux d'œuvrer avec les pouvoirs publics pour que la santé devienne l'un des champs des politiques municipales, et s'engagent dans des programmes de santé publique. Elle travaille avec une vingtaine de partenaires dont figurent parmi eux la Direction Générale de la Santé, le réseau des villes et santé OMS, l'Association des maires de France et l'INSERM citée plus loin dans cette LEM.

restaurer la conscience

   Avant de sauter comme un cabri et de crier haro sur le concept des CIS, décryptons en le mécanisme !
L'idée des CIS à la parisienne n'a pas germée toute seule dans les têtes de politiciens libertaires. Les CIS existent en Europe depuis plusieurs années. Huit pays européens à l'instar de l'Allemagne, l'Angleterre, l'Espagne, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas et la Suisse s'en sont dotées. D'autres continents, en disposent comme l'Australie et le Canada. Il ne s'en trouve pas à tous les coins de rue et ils sont installés dans des quartiers sensibles où les ravages de la drogue sévissent et où la délinquance est forte.
Comment un CIS marche-t-il ? Le centre Insite (Vancouver) au Canada va l'illustrer. Son protocole est le suivant : l'anonymat est la règle. L'usager de drogues sonne à sa porte sécurisée, donne son prénom et sa date de naissance. Patte blanche montrée, l'usager de drogues s'installe dans une cabine, fait son mélange lui-même et s'injecte sa dose sous la supervision du personnel.
L'engouement des CIS en France s'appuie principalement sur le rapport de l'INSERM sur «La Réduction des risques chez les usagers de drogues» qui passe en revue les données françaises et européennes de la politique de réduction des risques sanitaires et sociaux : actions, dispositifs particuliers, programmes d'échanges de seringues, médicaments, outils, dépistages, milieu carcéral, etc..
À son sujet, les nombreux commentaires parus dans les médias et sur la blogosphère citoyenne et politique sont dithyrambiques et s'appuient sur de larges extraits du rapport de l'INSERM. En les lisant, on a vraiment l'impression que les CIS sont incontournables et, ô surprise, on reste sur sa faim lorsqu'on voit qu'ils n'occupent que trois pages et demies sur la soixantaine1 du rapport.
   Cette focalisation sur les CIS, à la limite de la propagande, en font la panacée de la réduction des risques chez les usagers de drogues. Or, les CIS ne sont que l'un des dispositifs de prévention étudiés pour lutter contre la toxicomanie. D'autres solutions existent qui n'ont pas été relevées par les politiques mais il est vrai qu'elles parlent le même langage que les professionnels de la santé : accompagnement psychosocial, projet thérapeutique. L'INSERM insiste bien sur la relation médecin/usager de drogues qui reste tout de même l'axe central des différentes étapes d'un traitement pour décrocher de la drogue.
Allez, pour faire plaisir aux défenseurs des CIS, continuons à être bons joueurs ! On lit effectivement noir sur blanc sur le rapport de l'INSERM que les salles de consommation contrôlée d'opiacés, ou Centres d'Injection Supervisée (CIS), sont jugées positivement.
Les études montrent que les CIS « assurent une promotion de l'hygiène de l'injection (lavage des mains, désinfection). Ces structures permettent de diminuer les morts par overdose et des maladies liées à l'injection, les risques de transmission du VIH/VHC chez les usagers, avec « une probable influence plus large sur la communauté des usagers. »
   En orientant les usagers vers d'autres structures de soins et d'aide sociale, ils sont des structures complémentaires au traitement de la dépendance. L'argent du contribuable est économisé en évitant les morts par overdose, et aucune augmentation de consommation de la drogue n'y aurait été constatée, et « les études font état d'une diminution rapportée de l'injection en public ainsi que d'une diminution du matériel d'injection et des déchets abandonnés dans l'espace public. »
Force est de constater que les défenseurs des CIS n'évoquent que les qualités des CIS. Manque d'impartialité ?
Dommage que les faiblesses ne soient pas mentionnées ! Comme, par exemple, déplorer l'absence d'études relatives à l'arrêt de la toxicomanie, sur le suivi au long cours des «repentis» de la toxicomanie (hors la réduction des risques) via ces merveilleux et libertaires CIS !

renforcer la compétence

   Pour en savoir plus sur ce qui ne va pas, il faut se tourner vers un rapport émanant du ministère de la santé du Canada sur le centre d'Insite (Vancouver) de 2008. Les points forts d' Insite rejoignent indiscutablement le rapport de l'INSERM mais le rapport canadien a le mérite de mettre sur le tapis les failles de nature méthodologique. Ainsi, la modélisation mathématique se révèle hasardeuse par l'absence de données chiffrées qui rend impossible la fiabilité de la méthodologie. De même qu'il existe très peu de données sur place sur la fréquence des injections et du partage des aiguilles. Les observations relevées à Insite ne permettront pas les études longitudinales et aucune étude ne compare Insite avec d'autres méthodes de réduction des risques.
À partir de ce constat sur la littérature généraliste et le centre Insite, on est en droit de le transposer avec les CIS d'Europe !
Mais il ne faut pas perdre de vue que la création d'un CIS n'est pas un choix médical. C'est d'abord un choix politique avec ses propres lois et ses propres recommandations au-dessus de celles des sociétés savantes et scientifiques et des spécialistes de l'addictologie.
   En France, les CIS divisent les spécialistes de la toxicomanie. Ainsi, le Dr Brahini de l'hôpital Marmottan de Paris (spécialisé dans le soin et l'accompagnement des pratiques addictives) se prononce en leur faveur : « c'est une mesure très positive qui rentre dans le cadre de la politique de réduction des risques infectieux et des overdoses. La prise en charge des toxicomanes est basée sur le lien et avec ce dispositif, on peut amener les gens à consulter. C'est ça l'intérêt. »
Cette réaction du spécialiste de Marmottan s'explique par l'historique idéologique de Marmottan. Influencé par le mouvement de l'antipsychiatrie, cet hôpital fût créé en 1971 pour éviter les overdoses et offrait à l'époque une structure innovante en matière de prise en charge des toxicomanes. Le mouvement de l'antipsychiatrie a contribué à l'idée de protéger le toxicomane, et a inspiré les structures d'accueil autour de la drogue où l'anonymat est la règle.
Également, avis favorable du Dr El Ghozi, président de l'association ESPT et conseiller municipal de Nanterre, qui pense que « les salles d'injection sont des outils de pacification.» Il reconnaît que « ce genre d'établissement ne peut ouvrir sans le soutien des collectivités locales. Il est nécessaire de consulter les élus et d'obtenir leur accord. En ce qui concerne le voisinage, l'expérience montre que les centres servent à pacifier les relations entre les habitants et les usagers de drogues. Moins de bagarres, moins de seringues qui traînent par terre, un environnement plus sain. Enfin, à chaque centre est attaché un régulateur.»
D'autres spécialistes se montrent carrément réservés sur ce dispositif. Xavier Laqueille, chef du service d'addictologie ( Hôpital Sainte-Anne, Paris), a des doutes.« La politique française de substitution et de distribution de seringues a été très efficace». Pour lui, c'est une dépense d'argent inutile alors qu'il faudrait surtout débloquer de l'argent pour hospitaliser les toxicomanes.
   En matière de santé publique, la priorité reste la création de lits spécialisés en addictologie afin d'éviter d'envoyer les toxicomanes en psychiatrie ou en prison. La loi HPTS va-t-elle permettre de débloquer des sous à l'heure des coupes budgétaires qui touchent la santé ? Cette loi permettra-t-elle de séparer les toxicomanes des personnes souffrant d'autres addictions ? De nombreux addictologues s'inquiètent déjà que des toxicomanes soient mélangés avec des personnes souffrant d'addictions diverses. Car ce n'est pas tout à fait la même prise en charge !
La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie MILDT se montre, elle aussi, tiède sur les CIS. Son président, Etienne Apaire, se dit «contre l'idée de cacher les toxicomanes dans des centres sous couvert de prise en charge médicale...C'est faciliter les usages, et c'est une forme de désespérance. »
Selon la MILDT, la politique de réduction des risques est inscrite dans la loi et s'était concrétisée par la vente et la distribution de seringues stériles, les traitements de substitution, les structures d'accueil et d'accompagnement médico-social. Ces actions ont permis de diminuer les décès par overdose qui sont supérieurs 4 à 5 fois en Allemagne, et 6 à 7 fois au Royaume Uni, la diminution significative de l'usage de l'héroïne, et la réduction importante du VIH.
Frank Zobel, de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, pratique la neutralité bienveillante à leur sujet. Selon lui, cela n'aurait qu'un impact limité sur le nombre d'héroïnomanes en France. C'est sous-estimer les nouvelles habitudes de consommation d'autres drogues évoquées par l'INSERM.

  Jusqu'à ce jour, la Haute Autorité de Santé n'a émis aucune recommandation sur les CIS alors qu'elle parle des traitements de substitution. Ils ne sont également pas cités dans les recommandations générales de l'OMS qui préconise une hiérarchie de réduction des risques, centrée sur le toxicomane où l'accompagnement pyschosocial est central.
Ce mois-ci, une mission composée de sénateurs et de députés va débuter ses travaux sur la drogue. On attend avec impatience que nos chers faiseurs de loi passent au peigne fin la récente étude britannique parue dans la revue Lancet où l'alcool serait une drogue plus nocive que le crack ou l'héroïne, et qui propose une nouvelle classification des drogues.
Fort dommage pour les sénateurs car la cave du sénat est décrite comme l'une des plus belles caves à vin de la république. Et c'est également dommage pour les défenseurs des CIS qui devront d'abord faire d'abord la guerre à l'alcool et légiférer sur les estaminets de France et de Navarre avant de vouloir encadrer l'usage de l'héroïne !


Notes et références :

(1)- P 26, 27 et 28, P 46 et 47 de la version courte du rapport de l'INSERM

- Carlson Roberts G, Shooting galleries, spin doctors, an injection doctors, Human organisation, 2000
http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=1149341
- Organisation Mondiale de la Santé
http://www.who.int/fr/
- Association Élus, Santé Publique et Territoires
http://www.espt.asso.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=25&Itemid=43
- MILD T
http://www.drogues.gouv.fr/actualitespresse/decryptage/salles-de-consommation/
- Site de l'hôpital Marmottan
http://www.hopital-marmottan.fr/spip/spip.php?article6
- Santé Canada, Rapport sur Insite
http://www.hc-sc.gc.ca/ahc-asc/pubs/_sites-lieux/insite/index-fra.php
- Les salles d'injection sont "une porte de sortie vers la toxicomanie".
http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/09/24/les-salles-d-injection-sont-une-porte-de-sortie-de-la-toxicomanie_1414806_3224.html

Os court :
<< Mieux vaut encore ne pas avoir l'air que d'avoir l'air de ne pas avoir l'air. >>
Pierre Dac

Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html


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