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N° 681

 
 

     29 novembre 2010
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Illustration LEM





Les hypochondriocrates




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Docteur François-Marie Michaut, lui écrire

( dessin Cécile Bour sept. 2010)

 

 

 


   Ne martyrisez ni votre dictionnaire, ni votre moteur de recherche sur Internet. Il n'ont aucune idée de ce que peuvent bien être les hypochondricrates en question.
Alors, comme à l'école, petite explication de mot. L'hypochondre est un terme d'anatomie qui désigne simplement la partie du tronc qui est au dessous de la cage thoracique.
L'hypochondrie est un état psychique bien particulier décrit par les psychiatres que l'on peut résumer grossièrement ainsi. C'est la conviction intime inébranlable d'être atteint des symptômes d'une maladie qu'aucune investigation médicale aussi poussée et répétée soit-elle ne peut confirmer.

retrouver la confiance

   Pour ceux que rebute le langage médical, ou à qui tout ce qui commence par psy déclenche une allergie aigüe, mais qui ont encore quelques souvenirs scolaires, c'est ce que Molière a mis en scène avec le personnage du malade imaginaire. Vieille histoire, juste pour faire rire un public sur le dos des malades qui ne sont pas malades et des médecins qui tentent de s'en accommoder en les exploitant, dites-vous ? Pas si sûr.
   Hier matin il faisait froid. Sur le marché traditionnel de ma province, tous les acheteurs étaient des vieux. Curieux, car depuis quelques temps on y rencontrait à nouveau et de plus en plus des jeunes parents soucieux de la qualité de leurs nourriture. Et les enfants qui les accompagnaient semblaient apprécier ce contact direct avec des produits ne sortant pas tout emballés d'une usine, dont ils ne connaissent même pas le nom. Mais, sa majesté Météo avait annoncé quelques risques de neige, dont notre littoral capricieux n'a pas vu la couleur.
Risque d'attraper froid, de partager le sort des naufragés de la route glissante ou de ces sans logis traqués par les agents zélés du SAMU social. La télévision nous passe en boucle toutes ces images.
   Alors même pas question de regarder le ciel et de se demander comment se vêtir. Brrrrr.... Restons chez nous, on ne sait jamais, si c'était contagieux. Et reprenons une bonne dose de télévision.
Ce serait bien le diable si on n'y parlait pas de maladie.

restaurer la conscience

 A tout seigneur ( vous prononcez saigneur ?), tout honneur. Dame Publicité ne rate jamais une occasion de nous matraquer. Ô gentiment, elle veut surtout pas nous faire peur, elle ne souhaite que notre bien. Et les margarines qui protègent le coeur, l'eau gazeuse digestive, les nettoyants ménagers qui pulvérisent les microbes et toutes les gourmandises agitées devant nos narines avec de petites mentions bien rabat-joie. Mangez peu, ne restez pas dans votre fauteuil, faites marcher votre cerveau, buvez avec modération.
Quant au tabac, plus personne ne s'aviserait de fumer devant une caméra. Même si la mention en gros des menaces de mort ( ce que la loi nous interdit de proférer à l'égard de quiconque ) rendue obligatoire sur les paquets de cigarettes, et la petite pancarte, parfaitement hypocrite, des bureaux de tabac, nous incitant ( probablement contre espèces sonnantes et trébuchantes ) à nous faire aider pour ne plus fumer, si tout ce matraquage des esprits, donc, ne parvenait pas à nous faire abandonner l'usage de l'herbe à Nicot.
Alors, passons aux fameux journaux télévisés, fièrement auto-proclamées grand-messes, qui sont pour beaucoup un rituel de leur journée.
Là, pas de problème, le menu est copieux. Entre le choléra en Haïti, les enfants mourant de dénutrition en Afrique ou en Asie, les victimes d'attentats, les sinistrés des catastrophes naturelles genre éruption volcanique, vague de froid, inondations, canicules, incendies de forêt, les pollutions en tout genre qui nous menacent, les espèces qui disparaissent, le climat qui fait des cabrioles, quelques attentats et crimes crapuleux pour pimenter la sauce, il y a de quoi trembler en permanence.
Comment ne pas faire en permanence le diagnostic que notre monde est bien, bien malade ? Donc ses habitants aussi.

renforcer la compétence

   Les arguments d'autorité ne sont pas toujours accessibles à l'évaluation critique des citoyens. On se met si facilement au garde à vous devant celui qui est censé savoir mieux que soi. Se rendre compte de l'inanité de slogans comme mangez cinq fruits et légumes par jour, ou en avalant deux yaourts vous serez à l'abri de la perte osseuse liée à l'âge demande une certaine culture scientifique qui, sans aucun reproche, n'est pas à la portée de tous.
Le mythe du risque zéro, de la vie comme une fête permanente et du droit d'ingérence sanitaire (1), car c'est finalement cette idéologie à trois pieds qui règne, est une imposture intellectuelle majeure.
Il me semble, ceci n'engage personne d'autre, que nous qui, par métier et par formation scientifique, avons la possibilité de le constater, nous devons sortir de notre silence. Sinon, nous sommes complices de ce climat général. Notre «terrorisme sanitaire», reculant de moins en moins devant la violence des arguments ( la sécurité routière, par exemple), et la force des contraintes légales sans cesse croissantes, est une plaie de l'esprit et une atteinte à notre liberté d'organiser notre vie à notre guise. Y compris de prendre pour nous-mêmes, en pleine connaissance de cause, des risques pour notre vie. Et pas seulement dans une optique de spectacle médiatiquement valorisé.
Nous assistons clairement à une tentative de faire de chacun de nous un hypochondriaque, nous enfermant dans une dépendance sans cesse croissante à l'égard de tous ceux dont l'intérêt, y compris financier, est que nous soyons en permanence en quête d'une impossible rassurance sur nos maladies possibles. Dépistons, renouvelons, perfectionnons et multiplions sans cesse des investigations généralisées au cas où.
Oui, nous vivons bien sous le règne des hypochondricrates.
Oui, nous qui, du fait de notre expérience professionnelle, pouvons lire leur jeu subtil et dangereux pour notre santé de prise de pouvoir, nous avons l'obligation d'en parler sans détour. Est-ce vraiment de cette société là, de plus en plus dépressive et dépressiogène , parce que c'est le seul résultat obtenu, dont nous avons envie ?

(1) http://www.liberation.fr/terre/010135083-france-pour-un-droit-d-ingerence-sanitaire

 

Os court :
<< Je vous l'avais bien dit que cela se terminerait mal. >>
Epitaphe d'un hypochondriaque

 

Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html


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