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Harceler est, en termes militaires, mener de petites et nombreuses attaques. Nous voilà branchés sur la dimension stratégique d'une action destinée à combattre un ennemi dont la puissance supposée interdit autre chose qu'une semblable guérilla. Le harcèlement dit moral par les Français, et psychologique par les Québécois, la nuance dans la qualification est importante, en est un cas de figure.
Chez les anglophones, un premier angle d'observation privilégie la brutalité, volontiers rencontrée dans les cours d'école : le bullying. Bull, c'est le taureau, le bison, le chien d'attaque. Utilisation de la force et de l'intimidation pour dominer les autres et leur imposer sa volonté.
La seconde vision du même type de comportement dans les relations destructrices entre les humains est plus subtile. Il s'agit du «harassment». L'origine française évidente du mot est une invitation, pour ceux que les questions de santé intéressent, à creuser un peu ce que suggère la notion de harassement.
Pour le médecin, ce qui sonne avant tout à l'oreille, est l'idée de fatigue extrême. «Fatiguer à l'excès» précise même le dictionnaire Hachette 2006. Nous voici dans un domaine qui nous est familier, celui de la clinique. L'asthénie, comme nous le jargonnons pour faire savant, est une des plaintes les plus fréquentes, et aussi invérifiable directement que la douleur, de toute consultation médicale. En rechercher la cause, pas toujours évidente, fait partie de notre travail quotidien. Les intrications entre les déterminants purement liés à un dysfonctionnement organique comme une infection virale de ceux dit, souvent par défaut, d'origine psychologique sont souvent un casse-tête largement hypothétique.
Autant le dire sans détour, le clinicien n'est pas très à l'aise. Alors quand le patient évoque des ressentis reliant cette grande fatigue à la façon dont il perçoit sa vie familiale ou professionnelle, le malaise du praticien a naturellement tendance à s'intensifier devant la complexification du tableau clinique. Ce sont des choses dont on ne parle pas au cours des études. Le médecin n'est pas un surhomme, qui peut lui reprocher de botter en touche quand les questions d'environnement et de mode de vie sur lesquelles il n'a aucune lumière particulière sont en jeu ?
Bien avant que, grâce aux ouvrages de vulgarisation de Marie-France Hirigoyen largement repris par tous les médias, la notion de harcèlement moral ne devienne à la mode, les cliniciens ont constatés les dégâts aussi bien somatiques ( système cardio-vasculaire, arthro-ostéo-musculaire, immunitaire, métabolique etc...) que psychiatrique ( décompensations de troubles latents, états dépressifs caractéristiques...) de personnes vivant des situations conflictuelles prolongées dans leur travail ou dans leur vie personnelle.
Autrement dit, et cela explique en partie la difficulté des cliniciens à établir un diagnostic de «harcèlement moral». Pour la médecine, ce n'est pas une maladie reconnue en tant que telle. La notion de narcissique pervers, largement popularisée sur Internet, ne fait pas partie du bagage conceptuel classique de la psychiatrie. Elle ne figure pas dans la nomenclature américaine des troubles psycho-pathologiques, le fameux DSM V.
Si l'on aborde la question d'un éventuel «traitement» à y opposer, les praticiens ne disposent de rien du tout. Pas la moindre «molécule» en vue du côté de l'industrie pharmaceutique, pas de société savante en voie de constitution pour favoriser quelque recherche que ce soit. Juste quelques initiatives, à mes yeux fort discutables, comme l'initiative d'une mutuelle d'assurance du corps médical de créer des consultations dites spécialisées pour les médecins atteints d'épuisement professionnel.
Le monde médical dans son ensemble ne se sentant pas vraiment concerné par le harcèlement, Marie-France Hirigoyen, elle-même psychiatre et thérapeute familiale, devenue «la» référence en France, tourne tous ses efforts de prévention en cherchant à impliquer dans des formations les dirigeants des entreprises, afin qu'ils modifient leurs politiques de direction du personnel. Mise à l'écart, de fait, des soignants et de ceux qui souffrent, pour régler la question du harcèlement comme une simple dérive des méthodes contemporaines de commandement.
Cette vision simplificatrice des choses est une aubaine tombée du ciel pour un certain nombre d'officines fort aptes à vendre, au prix fort, des «formations» et des «plans» aux cadres des entreprises comme France Télécom ou Renault où règne un harcèlement devenu dangereusement médiatique.
Alors, les soignants, comment peuvent-ils renforcer leur compétence pour comprendre l'environnement psychologique de harcèlement dont ils observent les dégats du harassement qui en résulte ? C'est dans l'étude de ce que représente pour chacun le travail ( celui du métier comme celui de la maison) qu'il est indispensable de partir.
Pour cela, un guide compétent n'est pas un luxe. Et Internet, un moyen particulièrement précieux. Christophe Dejours est psychiatre français, fondateur de la psychodynamique du travail, enseignant à Paris, de plus il est psychanalyste.
Voici, pour comprendre plus en profondeur, et sans jargon, cette pollution dangereuse de l'environnement psychologique ( il n'y a pas que celles de l'environnement et de l'alimentation qui affecte notre santé) une remarquable série d'entretiens, extraits de « J'ai très mal au travail», film de Jean-Michel Carré.
Mettre ainsi gratuitement à la disposition de tous un tel outil de renforcement de compétence mérite d'être chaleureusement applaudi. Et à utiliser sans modération autant pour mieux soigner ses patients que pour soi, cerner en profondeur le piège si fréquent de l'épuisement professionnel afin de demander une aide adaptée pour s'en sortir.
Référence:
Christophe Dejours: J'ai très mal au travail http://www.youtube.com/watch?v=BLet1cNcGlw&feature=BFa&list=ULBFUsHmaM3jg&index=9
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