Du PIPé au PIPeau

9 janvier 2012

Docteur François-Marie Michaut
lui écrire

Effet mathématique de la globalisation planétaire des échanges de biens matériels, ce qui semblait au départ une détestable et minable tromperie industrielle bien française est devenu une affaire internationale.
D'après ce que nous dit la presse, livrant sans aucune retenue à la curiosité du public de multiples détails, un monsieur peu regardant sur les conséquences sur la santé des femmes des prothèses mammaires qu'il fabriquait se trouverait comme le seul accusé de ce «drame sanitaire».
Un coupable bien repérable en vue ?
    Haro médiatique sur le baudet. Des patronymes, des firmes, des marques sont livrés à la vindicte populaire sans tenir aucun compte des conséquences qu'ont toujours sur des tiers ce genre de publicité. Au sens premier du mot : ce qui est rendu public.

Retrouver la confiance

La fonction de fournisseur au public de remèdes et de produits de soins se trouve incarnée par la personne du pharmacien d'officine. Sa blouse blanche qui inspire le respect, sa position de notable dans le quartier et sa fonction de pourvoyeur des médicaments qui soignent sont perceptibles par les citoyens. Ces professionnels, entrainant dans leur sillage leurs fournisseurs, jouissent d'une grande confiance populaire. Il suffit pour s'en convaincre d'admirer avec quel art les publicitaires chargés de faire vendre les produits cosmétiques prennent les atours, on ne peut plus sérieux, de produits pharmaceutiques.
Les noms à rallonge, les mystères de la chimie, les alignements de boites colorées, cela continue de faire forte impression et vous fait vite vous sentir un béotien.
   Emprunter cette réputation d'honorabilité sous couvert de la science, pardon la Science, ne peut que tenter des humains cherchant à faire le plus de profit possible avec des produits de médiocre qualité. On peut le regretter, mais c'est, hélas, inévitable. C'est, tout simplement, un abus de confiance.
   Les professionnels de la santé, quand ils apprennent que les filtres, très officiels, mis en place par les autorités pour contrôler, comme il se doit, la qualité des produits sanitaires ne fonctionnent pas, se sentent trahis. Leur confiance est bafouée. Des engagements de qualité n'ont pas été tenus. Des promesses d'innocuité ont été foulées aux pieds. Et couvrons d'un silence pudique la détestable stratégie qui consiste à faire comme si on n'avait rien entendu quand un citoyen plus avisé et plus courageux que les autres tire la sonnette d'alarme auprès des services officiels chargés de se porter garants de la qualité des « produits de santé ».
   Est-il admissible en 2012 qu'aucune intervention officielle ne puisse avoir lieu avant que la presse ne fasse ses choux gras d'un nouveau «scandale» ? Le pauvre médecin qui ne donnerait pas de réponse à un appel d'aide serait immédiatement menacé du délit de non assistance à personne en danger.

Restaurer la conscience

Que se passe-t-il dans la grande machinerie de l'administration sanitaire nationale? Il n'est pas facile, même pour un professionnel de la santé, d'être renseigné, tant la chaîne des prises de décision dans le lointain bunker du ministère de la santé est longue et complèxe. Chaque maillon a beau jeu de mettre en cause le suivant, ou le précédent. Le jeu des chaises musicales peut se poursuivre de façon indéfinie. Le docteur Michaël Balint, que j'aime beaucoup citer tant sa capacité d'observateur a été percutante, utilisait souvent une formule imagée pour décrire ce phénomène dans la pratique médicale. Il parlait de « dilution des responsabilités ».
Dès que des systèmes complexes se mettent en place, plus personne ne peut avoir conscience d'être pleinement responsable. Tout usager des rouages administratifs ( les hôpitaux compris) en fait régulièrement le constat. À ses dépens, hélas.
Une manie bien nationale est de tenter de régler tous les problèmes humains par l'élaboration de documents écrits. Ceux-ci, longuement élaborés dans des bureaux, sont censés d'envisager tous les cas de figure possible afin de fournir la conduite pratique qui doit être respectée.
C'est le règne de la textocratie. Celui-là même qui tranforme dans un service hospitalier ou à la Sécurité sociale, un être humain malade en un dossier informatisé avec ses piles de un et de zéro.

Renforcer la compétence

Le formalisme le plus absolu règne. Pour que les choses soient considérées comme achevées, il faut et il suffit que le dossier soit bien rempli, sans oublier toutes les pièces justificatives indispensables.
Que cela soit conforme à la réalité importe peu, comme pour passer les frontières, il suffit que les papiers soient en règle.
Installer des panneaux routiers limitant la vitesse en centre ville à 30 kilomètres à l'heure sans prendre les moyens d'en surveiller le respect n'a aucune chance de faire diminuer la gravité et le nombre des accidents.
Il ne se trouve guère de critique pour les conséquences que peuvent avoir les multiples insuffisances de contrôle des réglementations que nous ne cessons de demander à corps et à cri à la puissance publique dès qu'un fait divers fait vibrer notre fibre émotive. Un problème de société dont on parle ? Vite, on vote une loi.
Si une loi ne dispose pas des moyens concrets (souvent onéreux) d'être imposée à tous, elle n'est pas respectée. Plus gravement, dans les têtes, elle ne devient plus respectable.
Comment vous qualifiez un pays où cela se produit si facilement ? A-t-il encore le droit de parler sans rougir d'égalité et de démocratie ?
Dans quel état de fonctionnement psychique et éthique se trouve une culture qui met sur le même plan la réparation d'organes endommagés par la maladie ou les traumatismes et la course à des idéaux morphologiques à visée strictement esthétique ? Le règne du faux semblant et des demandes les plus folles pour instrumentaliser la médecine, dans nos rêves infantiles d'apparence dignes de Narcisse, ne semble guère émouvoir les foules.
Sur un petit air de pipeau, tous nos dés sont pipés.

Os court : « On peut se sacrifier pour ses propres idées, mais pas pour la folie des autres. » »
Stefan Sweig
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

      Lire les dernières LEM:

  • Laissé pour conte, Jacques Grieu  LEM 738
  • Mots roses pour les moroses, François-Marie Michaut  LEM 737
  • Bis, l'an 2011, François-Marie Michaut  LEM 736
  • Dette en l'air, Jacques Grieu  LEM 735
  • Le Pied, Jacques Grieu  LEM 734