À la recherche du SENS perdu

12 mars 2012
Dr François-Marie Michaut
lui écrire

Bien entendu, le clin d'oeil de l'intitulé en direction de Marcel Proust n'est pas fortuit. Notre cher orfèvre en expression écrite, me semble-t-il, et sans vouloir contester un pouce de son originalité, a été le descendant d'une solide tradition juive alsacienne par sa mère. Son père Adrien Proust a été le premier grand hygiéniste de la faculté de médecine de Paris, son exemple lui a certainement donné ce tropisme affiché pour la recherche. Osons une hypothèse sur le temps perdu ainsi traqué avec la minutie d'un détective utilisant des outils littéraires en lieu et place de ceux fournis par les sciences du XIXème siècle triomphant.
   Ce n'est pas vraiment le temps lui-même qui s'est perdu, comment pourrait-il faire autre chose que de s'écouler ? Quelque chose de capital aurait été perdu dans l'esprit de beaucoup d'hommes à un moment donné de notre histoire culturelle.

Retrouver la confiance

Depuis des dizaines d'années, il est habituel, dans les conversations amicales, culturelles ou mondaines, de se lamenter sur la perte de sens de nos contemporains. Réponse toute faite à des comportements destructeurs, ou autodestructeurs, dont la violence surprend et effraie les observateurs. Parfois, mais pas toujours. Qu'est-ce que ça peut bien être que ce mystérieux sens en voie de disparition, et peut-être, avec lui, tout avenir possible pour une société humaine ? Pour lui donner toute l'importance qu'il mérite, dans ce texte, convenons de le nommer SENS. Oui, en trois lettres majuscules. Mieux dites encore capitales, parce qu'il y a une question de tête là-dedans.
   Comme je suis le premier à rouspéter après le mélange des genres, me voici contraint de me cantonner au seul domaine qui est l'objet même de ce site : la santé. À chaque lecteur ensuite, s'il le désire, de se lancer dans des extrapolations dans d'autres champs de la réalité qui lui sont familiers.

Restaurer la conscience

Les questions concernant notre santé sont reconnues comme relevant avant tout de la connaissance médicale. La médecine elle-même, dans sa variété occidentale qui a envahi la planète entière en 2012, se considère comme une fille légitime et spectaculaire de la science. Cette évolution ne s'est pas faite en quelques jours, et il a fallu bien longtemps pour que la dimension religieuse soit laissée de côté dans la compréhension des maladies et leur traitement. Est-il utile de rappeler que les médecins en France n'ont perdu leur statut de clercs (membres du clergé) qu'au 17 ème siècle, ce qui les a autorisé à se marier canoniquement.
Étrangement, reviennent régulièrement à la surface dans la littérature médicale mondiale contemporaine des études sur l'effet thérapeutique possible de la prière ou de l'imposition des mains de la part de soignants professionnels.
   Devant les craquements inquiétants des limites auxquelles se heurte notre médecine qui n'a jamais cessé de courir vers des pouvoirs de plus en plus stupéfiants, un grand désarroi saisit les esprits qui veulent bien prendre la peine de se demander comment la grande aventure médicale va se terminer.
C'est là qu'il est judicieux de procéder à ce que le christianisme nomme un examen de conscience. Pas à la recherche de quelque péché, cela n'aurait aucun sens, mais de ce que nous avons laissé au bord de la route comme insignifiant ou même insensé ( qui n'a pas de SENS) depuis l'époque de Galilée. Son procès fut exemplaire, nous n'en n'avons gardé qu'une image d'Épinal tronquée.

Renforcer la compétence

Alors, ce SENS, où le chercher ? Qu'il soit interdit, obligatoire ou même unique, nos cinq sens doivent se mettre en chasse. Nous avons l'hypothèse forte que la quête doit se faire hors des sentiers intellectuels qui ont façonné nos esprits.
L'inventaire culturel du monde montre qu'il y a eu depuis le néolithique, et qu'il y a encore actuellement, de multiples médecines. Nous en entendons parfois parler, mais le plus souvent, l'objectif des chercheurs est de mettre en évidence la supériorité indétrônable de notre science médicale mondialisée.
Est-ce que toutes ces médecines traditionnelles de tous les temps ont des points communs ? Incontestablement affirme et démontre Claudine Brelet (1). Au delà de particularismes locaux, parfois spectaculaires, c'est la dimension spirituelle et transcendante de la réalité de l'homme et du monde créé par le divin qui donne le SENS indispensable pour soigner et aider à vivre mieux les plus infortunés des humains. La belle expression anglaise de Medecine man, homme médecine, mérite toute notre attention. Ne nous laissons pas rebuter par les utilisations farfelues ou franchement charlatanesques de ceux qui se réclament de traditions à la mode de l'armée des crédules à tout crin.
   Les médecins, plus encore que les autres soignants, sont tellement abrutis par la masse de travail répétitif qui leur est imposée pour gagner leur vie qu'ils n'ont même pas la curiosité de prendre un instant de pause.
Ne rien faire d'autre que de se demander : Mais quel est le SENS de ce que je fais chaque jour avec chacun de mes patients ? Perdre quelques heures à lire Médecines du Monde, juste pour avoir les connaissances indispensables pour s'orienter, pas de prévention plus intelligente du burn out, ce terrifiant cramage à mort - je ne vois pas d'autre traduction- qui met un point d'arrêt à l'énergie de soigner.

    La perte du SENS, panneau stop de notre science si gonflée d'elle-même.

(1) Claudine Brelet, Médecines du monde, Histoire et pratiques des médecines traditionnelles, Robert Laffont 2002


Os court : « Ceux qui tombent entrainent souvent dans leur chute ceux qui se portent à leur secours. »
Stefan Zweig
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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