Infantilisation endémique

2 avril 2012
Dr François-Marie Michaut
lui écrire

Une endémie, c'est, au sens premier, ce qui reste dans une population. Un démos. En langage médical, par opposition à l'épidémie, l'endémie est une maladie bien ancrée et fréquente dans un certain territoire sans contagion directe d'homme à homme. Comme dans le paludisme.
Est qualifié d'infantile, avec souvent une connotation dominatrice, tout ce qui relève du domaine de l'enfance. Dans la tradition hispanique et portugaise, une infante est une petite princesse. L'armée chez nous a gardé la dénomination d'infanterie pour parler des soldats qui ne combattent pas à cheval, mais à pied.
Envisageons ici qu'un enfant, c'est ce que dit le mot latin. L'être humain qui n'est pas encore capable de parler. Il ne s'agit pas de la simple utilisation des capacités phonatoires acquises dès les premiers mois par imitation maternelle, mais de la capacité de communiquer par la parole sa propre pensée. J'aurais tendance, que le lecteur ne men tienne pas rigueur, à évoquer la capacité d'expression personnelle.

Retrouver la confiance

Depuis bien longtemps dans l'histoire des civilisations humaines, les puissants se sont octroyés le monopole de la parole qui compte. Le roi de droit divin n'hésite pas, avec le soutien de son clergé et le support de ses juges et de ses sages, à actionner pour son bénéfice la volonté de Dieu. L'idéal démocratique, tel qu'il a existé brièvement à Athènes au 5ème siècle avant notre ère, est souvent revendiqué dans notre modernité. L'homme - non esclave - de la cité antique peut faire entendre sa voix, si tant est qu'il sache parler assez fort et assez habilement, sur la place publique. Nos institutions occidentales tentent de s'inspirer de cet exemple du citoyen antique.
Comme nous sommes beaucoup trop nombreux et dispersés dans l'espace, il a fallu inventer des porte-paroles. Leur mission est de parler aux pouvoirs suprêmes au nom de chacun d'entre nous. C'est bien parlementaires que nous les nommons.
La complexité sans cesse croissante des rouages de la vie collective oblige à recourir à une armée de spécialistes et d'experts. Leurs avis bien argumentés sont difficilement discutables dans les domaines de connaissance que ne maîtrise pas le citoyen ordinaire.
Il règne comme une obligation pratique de confiance vis à vis de ceux qui savent. Le champ de la médecine en est une illustration.

Restaurer la conscience

Le système scolaire, depuis des millénaires, est ce qui a permis aux plus jeunes d'avoir un accès immédiat aux connaissances lentement conquises par les générations précédentes. Comme par héritage culturel, aucun de nous ne part dans son esprit de zéro. C'est dans l'enfance que l'usage place le temps de l'entrée à l'école. L'école, parfois rude à ses apprentis dit une expression,est dérivée d'un mot grec ancien qui signifie l'arrêt du travail.
Honni soit qui mal y pense, le travail des enfants, au même titre que l'esclavage, semblait aux antiques la chose la plus naturelle du monde.
L'idée est intéressante, et quelque peu perdue de vue sous nos cieux avec l'obligation scolaire légale : savoir investir le manque d'un certain revenu immédiat du travail pour l'avenir d'un être humain pour le bénéfice de la collectivité.
Je regrette un peu que le fameux droit à l'école pour tous, et l'accès de plus en plus large aux études supérieures nous aient fait perdre de vue qu'avoir la possibilité d'étudier ce qu'on ignore est un privilège et un honneur. Avoir cette chance, parce qu'on dispose de capacités cognitives performantes, crée un double devoir vis à vis de la collectivité. Celui de la reconnaissance pour cette marque de confiance et celui de l'obligation morale de faire bénéficier la communauté humaine des capacités personnelles ainsi rendues possibles.
Nous sommes ici à des lieues de la seule prise en compte, hélas souvent véhiculées par les familles, des capacités de gagner plus d'argent ou plus de pouvoir que les autres avec des diplômes ronflants.

Renforcer la compétence

Le drame humain dans lequel nous sommes chaque jour plongés est la façon dont chaque personne est traitée par nos responsables. Ceux-là mêmes qui ont été formés jusqu'à la trentaine dans des cycles d'études réservés aux dirigeants. Lire la presse, écouter les discours politiques, pratiquer les textes législatifs ou réglementaires, prendre part aux débats de la société, autant d'occasion de constater à quel point toutes les décisions sont prises dans de petits cercles fermés. Voilà qui n'est pas sans rappeler le bien connu : « tes parents pensent que ». Aucune réponse n'est alors possible, le monde adulte impose sa loi, le monde des enfants est privé de toute droit de faire valoir sa parole.
Réduire au stade infantile tous les individus d'une société, c'est faire en sorte que leur expression soit neutralisée par celle de ceux dont le métier est de savoir ce qui est bon pour tous.
   Quand des classes entières d'adolescents ou de jeunes adultes, comme dans les facultés de médecine, n'osent pas poser les questions qui les travaillent ou leur posent problème, c'est que la technique d'infantilisation généralisée est bien entrée dans une culture.
    Comment vivons-nous cette infantilisation de plus en plus envahissante ?
Quelles en sont les répercussions sur notre état psychique et sur notre niveau de santé en général ? En quoi cela modifie-t-il le tissu de notre vie sociale et notre vision de l'avenir ?
Un examen clinique sans complaisance de ce qui se passe chez nous actuellement dans tous les rouages des échanges sociaux serait du plus grand intérêt.
    Avez-vous entendu un seul des candidats à la magistrature suprême française actuellement en campagne dire un seul mot de cette infantilisation endémique ?

   Moi, je n'ai rien entendu. Et, sans que cela ait la moindre valeur d'exemple, je continue à oser exprimer ce que je pense utile d'exprimer sans me soucier de la bénédiction de quelque autorité que ce soit.



                                            (Cliché Exmed)


Os court : « Cela ne m'intéresse pas, cela me hante. »

Louis Scutenaire


Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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