Iatrolyse, doublure noire des blouses blanches

23 avril 2012
Docteur François-Marie Michaut
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    Quand j'ai eu entre les mains le dernier livre d'Éric Galam « L'erreur médicale, le burnout et le soignant » (1), l'importance d'une telle publication pour toute personne s'intéressant sérieusement à la médecine m'a sauté au visage. Une analyse superficielle juste pour faire plaisir à l'égo d'un collègue généraliste parisien enseignant, ou, pire encore, dans une optique de promotion commerciale complaisante, n'est pas de mise ici.          

Retrouver la confiance

Le mot burnout utilisé dans le titre pose problème. Que veut me dire cet anglicisme si répandu dans les médias ? Il y a du feu là dedans, et une combustion qui va jusqu'aux cendres. Celui qui était jusque là «in» se retrouve soudain «out». Une sorte d'épuisement professionnel, de «cramage» d'une personne pouvant aller jusqu'à la mort du soignant , au sens figuré comme, hélas, au sens réel (2).
   La langue française, en cela bien moins complaisante que l'anglaise, ne parvient pas à saisir d'un seul mot ce qui se passe sous nos yeux.
Une bonne vieille recette des familles, largement utilisée par nos anciens pétris de leurs «humanités», consiste à faire appel aux ressources du grec. Pas pour faire savant à deux sous, juste par souci d'une expression calibrée pour ouvrir à la réflexion.

Restaurer la conscience

Il s'agit bien de médecins ? Comme pour les psychiatres ou les pédiatres ont coutume de le faire, gardons le iatre. Il se produit un mécanisme qui détruit peu à peu au fil des années, ou brutalement à la suite d'une erreur médicale ? C'est alors de fonte de la fonction soignante longuement acquise par les études, la formation patiente et la pratique clinique quotidienne qu'il convient de parler. Le terme de lyse dit la même chose. Les médecins ne voulant pas parler ouvertement de suicide devant des tiers utilisent le terme d'autolyse.
   Cette iatrolyse, si ce néologisme ne fait pas fuir, n'a rien d'anecdotique. Elle toucherait en France, affirme Galam la bagatelle de 4 médecins sur 10.
Alors se pencher sérieusement sur la réalité des erreurs médicales, sur le tabou infantile de l'obligation d'infaillibilité des médecins, sur les exigences de perfection véhiculées par l'imaginaire social dominant est une urgence intellectuelle et morale.

Renforcer la compétence

Bien entendu, le lecteur, surtout non médecin, peut digérer difficilement le procédé très académique de l'exposé de 316 pages . Les 209 références, pour la plupart en langue anglaise, montrent que le travail de documentation est fouillé. D'un côté, cela rassure les esprits qui se veulent scientfiques, mais d'un autre point de vue, cette technique d'exposition peut donner l'impression que l'auteur se cache un peu derrière les travaux des personnalités qu'il convoque. Il en résulte une impression discrète de dilution de la pensée de Galam.
Page 176 Hilfiker dit : « La profession médicale semble n'avoir aucun endroit pour ses erreurs. En effet, on penserait presque que les erreurs sont des péchés...» Voilà qui fait mouche.
Éric Galam vient d'écrire un ouvrage sur les erreurs médicales vues de l'intérieur qui constitue les fondations en France de ce fameux endroit qui n'existe pas encore, en dehors de quelques innovations remarquables largement exposées.
C'est une étape importante. Il faut maintenant aller plus loin. La médecine,dans sa matière humaine fondamentale, pour un temps laissant de côté ses obsessions technoscientiques clinquantes, a besoin d'être écrite pour être discutée et transmise.
Éric Galam, qui visiblement aime écrire, qui maîtrise, il nous le prouve, habilement son expression, doit désormais prendre le risque de se lancer dans son cheminement intellectuel et éthique personnel. Pas très universitaire, pas très carriériste, une telle démarche ?
Et alors, est-ce une faute, ou un péché contre l'homme ?
En tout cas, ignorer totalement la réalité de la «iatrolyse» pour qui exerce la moindre responsabilité dans le vaste domaine des soins de santé est désormais devenu une attitude éthiquement indéfendable
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Notes:

(1) Galam E (2012), L'erreur médicale, le burnout et le soignant, De la seconde victime au premier acteur, Springer-Verlag France, 40€

       (2) À propos des conduites suicidaires des médecins et infirmiers

                                                     
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Os court : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ?
Si je ne suis que pour moi, qui suis-je ?»

Moïse Maïmonide


Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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