Garder en vie l'envie

24 décembre 2012
Docteur François-Marie Michaut
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   Même si le ciel n'est pas tombé sur nos têtes gauloises le jour du solstice d'hiver pour cause de fin du monde, quelles tronches tirons-nous dans tous les lieux publics ! Une gigantesque et contagieuse dépression, nervous breakdown si vous préférez le parler ultramanchique, semble avoir gagné notre collectivité. C'est la crise ? L'explication à tout faire est un peu facile même si les portefeuilles sont plus cachectiques pour beaucoup. Usure banale liée à l'accumulation de toutes les contraintes quotidiennes qui sont la résultante mathématique de l'avalanche de nos merveilleuses inventions humanivores, ou inquiétude de fond devant l'imprévisibilité de nos lendemains individuels et collectifs ?
Panne d'énergie surtout, me semble-t-il.

Retrouver la confiance

Cette énergie est ce qui fait que de l'immobilité passive se met en mouvement une action ou toute une série d'actions. La langue parle clairement d'une personne pleine d'énergie. La physique, toujours circonspecte et précise, depuis des siècles décrit les manifestations et les propriétés des différentes sortes d'énergie qu'elle ne cesse de traquer dans tout l'univers. Remarquons bien, en passant, que cette admirable connaissance, dont nous utilisons sans mesure les applications matérielles au point que nous ne saurions plus nous en passer, demeure muette sur l'origine de ces énergies. La science a établi là une frontière qu'elle n'a, et c'est directement lié à ses méthodes, aucun moyen de franchir. Oser simplement prononcer le mot de métaphysique (ce qu'il y a au-dessus de la physique) vous vaut une excommunication intellectuelle définitive auprès de nombreux esprits.
   Dans notre cerveau, pour parler simplement, l'énergie, d'où qu'elle vienne, se met en route selon un mécanisme qui nous est familier. Celui de l'envie. Là encore, un petit passage par le dictionnaire s'impose. Au moins pour éliminer fermement de ce propos la signification religieuse de l'envie: celle, aux côtés de la gourmandise, de la jalousie ou de la luxure, d'un péché de deuxième catégorie.

Restaurer la conscience

L'envie n'est-ce pas ce qui m'a chatouillé le jour lointain où, encore sans grande expérience de la vie et des hommes, j'ai envisagé de devenir médecin ? Passer sa vie à essayer d'aider les autres quand la maladie frappe à leur porte, ce n'est certainement pas une envie banale, ce ne peut jamais être un caprice. Bien malin est celui qui peut dire avec certitude d'où elle peut bien lui venir. Mais, avec de bonnes ou avec de mauvaises raisons, elle est là un beau matin. Encore fragile, elle est facilement détruite par le septicisme d'adultes-qui-comprennent-tout au jugement hâtif sur les capacités d'un être jeune encore inachevé.
Il est frappant d'observer que, malgré les turbulences inquiétantes pour l'avenir que traverse tout notre système de santé, malgré la sévérité drastique du concours de fin de première année le nombre des candidats aux études de médecine ne cesse d'augmenter d'année en année.
Il est certain que les autorités universitaires ont, avec des moyens bien limités, la lourde tâche de trier les apprentis carabins pour faire respecter la loi votée par les députés fixant le numerus clausus. Dans ces conditions, il ne peut être question pour les enseignants de connaître chacun des candidats pour se faire une idée de leur envie personnelle de devenir soignant, ni des éventuelles contrindications majeures liées à des traits pathologiques de personnalité.

   Nous sommes en plein règne du quantitatif, de l'objectivement mesurable, du standardisable. Cela peut donner à des observateurs peu curieux une illusion d'égalité des chances et de justice des décisions. Parmi la masse considérable des exclus pour un simple manque d'agilité cognitive dans le domaine des mathématiques, de la chimie ou de la physique, combien de candidats seraient devenus des médecins de valeur pour le plus grand bénéfice de la société ? Parmi les esprits les plus habiles à franchir les examens et les concours, combien ne feront jamais malgré leurs diplômes que de médiocres, voir de nuisibles professionnels ?

Renforcer la compétence

Comment respecter tout au long des études cette précieuse envie de soigner le mieux possible ceux dont on aura la charge ? Sans cette énergie motrice, la passivité intellectuelle s'installe, au grand désespoir déjà ancien des chargés d'enseignement. On apprend juste ce qu'il faut, aussi indigeste que cela puisse souvent être, pour répondre aux questions posées aux examens. Pour le reste, surmenage organisé en forme de bizutage hypocrite oblige (1), il n'y a plus de temps pour les investigations personnelles ou toute autre initiative non comprise dans les programmes officiels.
   Historiquement, les médecins ont toujours été considérés comme des gens particulièrement ouverts à la culture de leur époque et de leur pays. Cette dimension d'êtres de connaissance, qui est beaucoup plus large que celle, prestigieuse, d'hommes de science, ne semble guère intéresser nos universitaires.
Personne n'est habilité à leur donner des leçons ou des conseils, c'est à eux, s'ils l'acceptent, de prendre les initiatives qui leur semblent les plus judicieuses pour que les médecins formés soient le mieux possible armés pour garder toute leur vie cette indispensable envie de savoir afin de comprendre au mieux leurs frères humains.

   C'est là, uniquement dans ce mouvement encouragé et valorisé de chacun de nos cerveaux, et non dans de scolaires obligations réglementaires ministérielles de masse sans âme, que se situe le coeur actif du « Développement personnel continu » ou DPC. Faute de prendre en compte cette dimension essentielle de la vie de tout soignant (comme de tout professionnel responsable des autres), le dévastateur phénomène de l'épuisement professionnel, popularisé sous le nom de burn-out, ne peut que continuer à s'étendre pour... notre plus grand mal à tous.


Note de l'auteur:

(1) Cf les obligations de service des internes




(cliché Cath exmed)

Os court : « À quoi est due la chute d'Adam et Ève ?
- C'était une erreur de Genèse .»
Boris Vian
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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