Tiers payant,
ménage à trois

30 septembre 2013
Docteur François-Marie Michaut

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Tranquillement accoudé au zing de votre bistrot favori, vous commandez votre café rituel. Un(e) inconnu(e), sans vous adresser un mot ni un regard , règle à votre place la consommation et se sauve. Vous vous sentez à l'aise, vous ? Votre kawa aura-t-il la même saveur pour vous ?
C'est pourtant exactement cela le principe du tiers payant que madame Marisol Touraine souhaite imposer dans tous les cabinets privés de médecine générale en France en 2017. Une consultation médicale, faut-il le rappeler à ceux qui l'auraient oublié, est la rencontre entre deux personnes dans des circonstances très particulières de la vie de chacun. La maladie présente à détecter, à traiter ou à éviter est la toile de fond, lourde de conséquences vitales, de la relation médicale. Psychologiquement, il ne peut rien y avoir de neutre là dedans.
Rien n'est facile ni joué d'avance dans une telle relation. Faut-il encore, pour ceux dont ce n'est pas le métier, insister sur une spécificité de la médecine générale vraie. L'inscription de la relation médecin malade, comme malade médecin, dans la durée, dans le temps. Souvent des années, parfois des générations entières les malades et leurs médecins sont appelés à se rencontrer. Une intimité bien particulière , parfois forte, parfois musclée s'établit, forgée ou rompue au fil des évènements vécus ensemble.

L'échange d'argent est une corvée pour le médecin. J'avoue avoir toujours eu du mal à tendre la main à la fin d'une consultation, et n'avoir jamais eu aucun plaisir à jouer au caissier ou au comptable. En ce sens, l'idée de passer à côté de ce pensum peut légitimement séduire certains professionnels. Mais, l'essentiel est ailleurs, pas du côté du généraliste, du côté du soigné.
La consultation est un échange humain qui est totalement déséquilibré. Le malade a tendance, parfois à tort, à tout attendre du médecin comme s'il pouvait être une sorte de dépanneur ou de... sauveur ! En dehors de toute logique, le praticien est alors vécu comme celui qui donne tout. Position dominante, qui chatouille facilement dans le sens du poil l'égo médical. Et qui fait couler beaucoup de salive sur le pouvoir médical

Pour que les choses fonctionnent de façon équilibrée, il est indispensable de donner quelque chose en échange de ce qui vous est donné. C'est vrai dans les relations humaines et sociales (comme le commerce) les plus ordinaires. Ne pas respecter cette réciprocité, même si elle est purement symbolique, c'est créer une dette impossible. Les psychiatres et les psychanalystes (on s'est assez moqué d'eux à ce sujet) nous l'ont appris depuis longtemps.
Les généralistes, pour qui prendrait la peine de leur demander leur avis, auraient beaucoup de choses à dire sur la différence essentielle de la valeur «soignante» des consultations quand le patient met la main à sa poche et quand il n'a rien à régler. C'est le cas des accidents du travail, des pensionnés militaires, des bénéficiaires de la «couverture maladie universelle», et la liste n'est pas exhaustive.
Les guérisseurs ont, depuis toujours et sous toutes les latitudes,compris et réglé avec intelligence cette question de l'échange indispensable pour que les soins fassent leur effet. « Combien je vous dois ? - Je ne soigne pas pour gagner de l'argent, les personnes ont l'habitude de laisser ce qu 'elles veulent ».

Comme nos politiques, vouloir jouer les âmes généreuses en évitant aux utilisateurs des cabinets médicaux de faire l'avance des frais d'honoraires qui leur sont ensuite remboursés par les assureurs est une stupidité. Le tiers payant est un éléphant dans un magasin de porcelaine. C'est si fragile une relation humaine de qualité ! Maintenant, si notre société considère les soins comme une marchandise semblable aux autres qu'il s'agit d'acquérir sans bourse délier, le retour de bâton sera immédiat. Un billet adroitement transmis au praticien pour bénéficier de la plus grande attention risque bien de ne pas demeurer une pratique exceptionnelle. Les exemples dans le monde sont multiples. Les médecins ne sont pas immunisés contre l'avidité, et n'ont aucune raison de l'être.

Comment, une fois encore, ne pas faire appel à un vieux souvenir personnel. Pour obtenir une consultation dans un dispensaire de brousse, avec la fourniture des quelques rares médicaments disponibles, il était demandé au Tchad en 1966, l'un des pays les plus pauvres du monde, le paiement à chacun d'un ticket de 50 francs CFA, soit un franc français de l'époque. J'ai simplement honte pour nous les riches, et notre manque total de sagesse et de réflexion. Quand on pense qu'on ose dans le commerce, et sans rire, nous proposer des cadeaux gratuits, quelque chose ne tourne vraiment pas rond dans nos esprits.

 



Retrouver la confiance

 

Restaurer la conscience

 

Renforcer la compétence

Illustration : gravure de Daumier.

Os court : « Pour donner de l'attait à la prison, il faudrait qu'elle ne fût point gratuite. »
Pierre Mac Orlan
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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