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LEM 211 du 12 octobre 2001

 

Une française sur cinq

Docteur François-Marie Michaut

Selon une enquête nationale, au cours des douze derniers mois, une femme de 20 à 59 ans sur cinq aurait été victime de violence physique, verbale, à caractère sexuel ou de harcèlement moral. Immense cohorte de victimes de la violence ordinaire qui pourrait toucher 6 millions de personnes dans notre doux pays, selon Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes ( La Montagne du 5 octobre, p 14). Exmed s'intéresse particulièrement au dossier si difficile du harcèlement moral et conduit une liste de discussion par e-mail pour aider ses victimes en leur permettant de sortir du silence. Chacun supposait la grande fréquence de ce comportement humain. Cette étude évalue à 500 000 le nombre de ses victimes féminines. Armée impressionnante des éclopées de conceptions perverses des relations humaines dans la famille comme au travail. Elles hantent silencieusement , car enfermées dans le silence de leur paradoxal sentiment de culpabilité, les cabinets médicaux encore bien désarmés pour diagnostiquer et traiter correctement leurs pathologies au delà des apparences des troubles secondaires. Les chiffres deviennent encore plus hallucinants quand on aborde les violences physiques, sexuelles ou verbales au sein du couple. 14 millions de femmes en métropole en auraient été victimes. Alors, suffit-il de montrer d'un doigt accusateur le sort des femmes dans certaines communautés se réclamant de la plus pure tradition coranique pour se dédouaner de ce qui se passe tout près de nous ?

 

Retrouver la confiance

Que fait donc chacun de nous pour démontrer par son comportement quotidien - et non par ses indignations vertueuses, pétitions et manifestations - l'importance irremplaçable du respect de l'autre, de celui en face de qui on est ? L'éducation nationale lance avec sagesse une grande campagne dans les écoles, où s'épanouit le climat de violence que l'on sait. Son thème ? Tout simplement : apprenons à nous respecter. Respecter, nous dirait certainement Jacques Blais notre orfèvre des mots, ce n'est pas simplement regarder.

Comme inspecter, c'est regarder dedans, respecter signifie regarder à deux fois. Toute la valeur si fragile de l'humain n'est-elle pas dans la pratique voulue de ce deuxième regard porté sur chaque autre, sur chaque prochain.

 

Restaurer la conscience

Bien sur, on est tous pressés, le médecin a plein de malades à voir. Le patient veut être dépanné de ses misères à la vitesse de l'éclair. Bien sur la technique, les écrans, les analyses, les obligations administratives nous grignotent de plus en plus ce temps précieux. Bien sur les soucis, la soif de consommer , d'exercer des pouvoirs et la recherche des plaisirs de la vie nous absorbent . Bien sur le climat général d'égoïsme infantile et d'agressivité systématique ne nous incitent guère à nous frotter aux autres.

 

Renforcer la compétence

 

Alors, dans cette période d'immenses troubles mondiaux, est-il si utopique que cela de cultiver un tel état d'esprit ? Y-a-t-il une autre formule pour ne pas périr des manifestations de toutes ces formes de violence ?Il y a plusieurs années, un périodique féminin a affiché cette savoureuse prise de position dans un monde qui affichait sa foi dans la valeur de la combativité dans tous les domaines: " Et si vous osiez la gentillesse ?"

Chiche , aurions-nous aujourd'hui envie de répondre à cette journaliste, qui fut peut-être prophétesse malgré elle.

 

Os court : « Je prends le monde tel que je suis ». Louis Scutenaire

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LEM 212 du 18 octobre 2001

 

 

EN TOUTE INNOCENCE

Dr Jacques Blais

C'est un poème, car oui les poètes ont une chance, j'allais écrire inouïe par habitude, en fait très ouïe au contraire puisqu'il s'agit de celle de la musique des mots sur les idées, donc autant audible que lisible, une mélodie qui teinte les horreurs et tinte de douceur les thêmes les plus terrifiants.

C'est un poème que nous dirons remanié, amplifié, crucifié peut-être, en tout cas dont les strophes, de catastrophes en évènements, se sont ajoutées, enrichies, modifiées depuis sa création en 95. Nourri au début, et ce mot sera un paradoxe symbolique de l'absurde, nourri du Biafra au Rwanda, passé par le Kosovo, l'Irak et l'Afghanistan, il a grandi au sein d'enfances invraisemblables, où le pire malheur côtoie cette fameuse résilience décrite maintenant chez certaines victimes. Un jour, il y a quelques années, tout près de Peschawar dans ce Pakistan rude, âpre et splendide, où les mosquées recouvrent les temples Bouddhistes enfouis, où les montagnes pré-Himalayennes côtoient le ciel, où la civilisation découverte sous le site de Moenjodaro, au sud-est, rivalise sans problème avec l'Egypte, dans un pays où la mousson est aussi capable de vous enlever la route, le parapet, le tiers d'un flanc de montagne sous les roues, vous obligeant à rebrousser chemin, vous découvrez contraint et forcé le village dont vous sortez sous un autre aspect : le poulet que vous venez de partager à 12 est bien un souvenir, et vous lisez sur les visages avenants des habitants qu'il ne restera rien à partager, bien qu'ils vous accueillent si gentiment. Et là, en toute innocence, nageant dans l'eau ocre de terre d'un marigot, en compagnie d'un buffle et d'un copain, un gamin vous sourit, les deux ronds blancs de ses yeux ébahis ponctuant le quart de lune de ses dents d'ivoire jauni, et pour un temps vous vivez différemment.

 

Il vit au fil de l'histoire et de l'eau,

Ou sur la liste noire des mauvais lots.

 

Enfant du hasard et de l'air du temps,

D'un simple retard de l'ère du Printemps,

Il est né entre ailleurs et quelque part,

Comme on sort du meilleur ou que l'on en part,

 

En avance sur l'heure d'un grand soupir,

Comme on vient du malheur ou d'encore bien pire.

l trouvait aisance, tel un fleuve en crue,

En toute innocence, quand pleuvent les rues.

Le ciel s'est bouché sur un vent d'autan,

Et lui s'est mouché dans les doigts du tempsÉ

 

Celui-ci a sur la peau les blessures de la terre,

Comme on garde en dépôt brisures de caractère,

Enfant aventureux des couloirs où la mort

Répartit, sulfureux, les trous noirs et les sorts,

 

Il est né entre bruyères et marigot.

Seuls les natifs d'hier croient partir égaux,

Il a vécu entre virus et famine,

Le vide du ventre et ce qui le contamine,

 

Il prenait naissance où l'on ensevelit,

En toute innocence, et la lie pour tout lit,

Il n'a pu nicher dans des draps souvent,

Et il s'est couché dans les bras du ventÉ

 

Encore un enfant des guerres et du feu,

Un adolescent sans père et sans jeu,

Il a appris sa famille sur les tombes,

Et à connaître une fille sous les bombes.

 

Il est né entre éboulis et ruines,

Arrosant d'un coulis, sous la bruine,

Coquelicots et orties dans une fissure,

Aux pétales assortis avec les blessures

 

Prêtant consistance, sur les murs entachés,

En toute innocence, à des fleurs éclatées.

Par rafales touché dans la nuit qui sent,

Oui, il s'est douché dans la pluie du sangÉ

 

Un dernier natif des conflits des fous,

Qui vit sous les pierres et dort dans les trous.

Il a appris à ne jamais confondre

Les objets que le ciel laisse fondre.

 

Il est né entre la cave et la grange,

Ou bien entre mauvais sorts et anges,

Il a vu s'étoiler bien des nuées, trouées

D'éclats, d'obus et de fusées ,

 

Déchirer les nuits de sang et de feux

En toute innocence, fleurissant les cieux.

Objets guillochés, dans un bruit strident,

Ils ont bien fauché la moitié du champÉ.

 

Jacques Blais

 

Os court : « Entre une indélicatesse et une giffle, on supporte toujours mieux la gifle ». E.M. Cioran

 

 


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Lettre d'Expression médicale n°213
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 26 octobre 2001

 

Complicité de terrorisme

Docteur François-Marie Michaut

 

Nous sommes en guerre contre le terrorisme nous dit-on de toutes parts depuis un mois et demi. Louable intention s'il en est, même pour ceux que le seul mot de guerre renvoie à son cortège de souvenirs personnels indicibles, ou d'images et de réalités humaines insoutenables. Le terrorisme sous toutes ses formes, y compris les plus subtilement dissimulées, est la volonté de détruire les autres en face. C'est une guerre pour tuer, même quand il demeure au stade si banal de la polémique.

L'arme en est la terreur, comme on osa dénommer avec une majuscule la période la plus sanglante de la Révolution Française. Et pour que le système fonctionne, il faut que des populations entières soient terrorisées. Qu'importe ce qu'elles peuvent endurer, que leur vie ou leur santé physique, spirituelle ou psychologique soient définitivement perdues ou altérées. Alors de multiples questions se posent, souvent sans réponse possible. Chaque fois que l'on montre que l'on a peur, ne fait-on pas le jeu des terroristes ? Chaque fois que l'on expose - ou que l'on subit passivement - le macabre spectacle des conséquences des attaques terroristes, n'en est-il pas ainsi ? Chaque fois que l'on multiplie les mesures de sécurité personnelles ou collectives, que fait-on en vérité ?

 

 

Retrouver la confiance

Quand nous nous précipitons chez notre médecin pour lui extorquer, le terme n'est pas trop fort, des boites du coûteux antibiotique qui est réputé pouvoir guérir les patients atteints du charbon ( et non de l'anthrax), où allons-nous ? On ne sait jamais, si cela m'arrivait, moi j'aurais de quoi m'en sortir. Et puis en cas de pénurie , cela peut servir. Moi d'abord, les autres n'ont qu'à se débrouiller. Et puis, ces quelques économies que j'ai, vite, vite, il faut que je les dépense pour acheter ce que je ne pourrai peut-être plus trouver demain, au cas où.

 

Restaurer la conscience

Oui, les attaques bactériologiques peuvent inquiéter, comme la peste, le choléra , la tuberculose, la siphilis, ebola et le sida ont depuis toujours terrorisé les hommes. Que ces peurs ancestrales des épidémies ont encore la vie dure dans nos têtes. Tout médecin a appris combien prononcer le seul mot de méningite peut provoquer de panique dans les familles. Qui prend seulement la peine de comparer le danger réel que présentent ces mystérieuses poudres blanches à celui , hélas tout aussi réel, des accidents de la circulation ou de la vie domestique ?

 

Renforcer la compétence

Enfin que de questions sur le comportement de ceux qui, pour "s'amuser" lancent de fausses alertes, en assaisonnant de poudre blanche leurs envois, ou leurs simples discours. Contribuer à entretenir par bêtise aussi bien que par prudence un tel climat de confusion quand le terrorisme peut frapper n'importe qui n'importe où, n'est-ce quand même pas collaborer à l'entretien de la peur qui nous ronge le ventre. Où est le respect de l'autre, de la dignité de l'autre , de la souffrance de l'autre dans tout cela ? L'autre serait-il devenu sans bruit une espèce en voie de disparition ? Diogène déja, avec sa lanterne, ne cherchait-il pas tout simplement ... un homme ?

Os court : « Se croire coq quand on a du mollet ou jouer les durs, c'est faire l'oeuf ». Ma poule


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Lettre d'Expression médicale n°214
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 30 octobre 2001

Je suis malade de peur

Docteur François-Marie Michaut

 

« Docteur, je ne dors plus, cela ne me quitte plus la pensée, je suis certain d'avoir quelque chose de grave. Je vous en prie, faites toutes les investigations possibles. Vite, un chek-up, des bilans, des scanners, des échographies, des opérations chirurgicales, tout ce qui existe, qu'importe le prix, je suis prêt à tout subir, pour pouvoir être débarrassé de ma peur ». Voici la traduction, très caricaturale pour la clarté de l'exposé, de ce qu'entendent plusieurs fois par jour les médecins dans leur cabinet. La peur d'être malade, d'être différent des autres, de vieillir, de souffrir, d'être seul, et , dominant tout la peur souvent indicible de notre inéluctable mort. Telle est la petite musique souterraine que nous émettons bien malgré nous quand un doute sur notre bonne santé se fait jour en notre conscience. Nous chargeons ceux qui nous soignent de faire le nécessaire pour que cette lugubre ritournelle cesse de nous miner la vie. Oui, les professionnels de la santé, rassurez-nous à tout prix. Au besoin racontez-nous comme à des enfants de belles histoires de gentils chevaliers blancs qui traquent sans répit les sombres bestioles rampantes qui veulent notre peau, les visibles comme les invisibles. Oui, comme des enfants qui ont peur du noir, nous courrons après une autorité qui, elle, sait la réalité des choses qui nous sont invisibles.

 

Retrouver la confiance

La difficulté cependant est que nous sommes des adultes. Notre vie a fait que nous ne disposons plus de cette capacité infantile de confiance absolue dans la toute puissance de l'adulte qui sait. Nous savons de plus en plus clairement que la science est tout sauf certitude, et que son cheminement ne se fait qu'en découvrant de plus en plus de questions nouvelles auxquelles il n'y a pas encore de réponse possible. Nous savons que les techniques ont leurs limites et nous payons cher leurs effets indésirables. Même pour ceux qui sont conscients de tout cela, que c'est difficile de ne pas pouvoir s'appuyer sur des certitudes.

 

Restaurer la conscience

La peur serait un "phénomène psychologique à caractère affectif marqué, qui accompagne la prise de conscience d'un danger réel ou supposé" nous dit le Petit Robert. Pourquoi avons-nous peur ? Au moment précis où l'on a à faire face à un danger soudain, notre cerveau archaïque,dit amygdalien, si on en croit les neurophysiologistes, nous dicte-t-il autre chose, avec une bonne sécrétion de cortisol et de noradrénaline à la clé, que la fuite ou l'attaque ? Ne faut-il pas que l'information, dans cette interprétation quelque peu mécaniciste de la réalité, parvienne jusqu'au néocortex pour y être interprétée afin de conduire à une conduite élaborée.

 

Renforcer la compétence

Comment peut se faire cette interprétation ? Probablement en comparant la situation du moment à d'autres situations plus ou moins similaires que nous avons vécu, ou dont nous avons eu indirectement connaissance. De cette confrontation entre un présent qui est à vivre instant après instant et un passé qui est de l'ordre de la pensée et du souvenir naît cette tension terrible de la peur. Que va-t-il m'arriver, comment vais-je pouvoir le vivre ? Peur d'un avenir sur lequel nous n'avons pratiquement jamais aucun pouvoir de maîtrise. Car il est tout sauf la projection linéaire du passé dans le présent. Que c'est difficile à accepter. De tous côtés des discours nous font miroiter des assurances pour tous les risques de la vie, pour une sécurité de l'emploi, pour une veille sanitaire, pour une retraite sans souci, pour une assistance dans toutes les périodes de la vie, pour une réduction des inégalités sociales, pour une lutte active contre les pollutions, contre le sous développement et la malnutrition dans le monde. Malgré tous ces dispositifs prometteurs de contrôle de tous les aléas, l'imprévu , l'inmaîtrisable nous tombent dessus et nous laissent désemparés et dramatiquement seuls. La solitude, ça n'existe pas , chantait naguère une artiste. Voeu pieu pour se rassurer soi-même ou constatation clinique erronée ?

 

Os court : « Une fausse erreur n'est pas forcément une vérité vraie ». Pierre Dac


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Lettre d'Expression médicale n°215
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 9 novembre 2001

De la difficulté de communication médecin-patient

Docteur Philippe Deharvengt

 

     Alors qu'on parle beaucoup du droit du patient à savoir , à pouvoir accéder à son dossier médical , à être informé de tout ce qui touche à sa santé , je voudrais , à travers trois situations vécues , montrer les écueils de ce projet , au demeurant inspiré de pseudo-bonnes intentions .

     Je vous parle d'un temps que les moins de . . . soixante ans ne peuvent pas connaître . A cette époque , point d'imagerie médicale hormis les rayons X ; pas de scanner , pas d'échographie , encore moins d'IRM ou de scintigraphie . A cette époque , l'examen clinique avait toute sa place et sa noblesse . A cette époque , il était habituel que le médecin-traitant assistât à l'intervention de son patient ; il était le bienvenu au bloc opératoire , ce qui était fort instructif et parfois très bénéfique pour le patient , car lorsque se présentait une situation imprévue le médecin de famille participait à la prise de décision . Voici donc :

 

Retrouver la confiance

     J'étais en fin d'études ; j'effectuais des gardes de nuit dans une clinique privée . On me donnait pompeusement du << Monsieur l'Interne >> .

     En prenant mon service ce soir-là , comme d'habitude je vis les opérés du jour . Parmi eux , une prostatectomie chez un médecin . Usant d'emblée du tutoiement confraternel et paternaliste , il me dit avec son savoureux accent du Sud-Ouest : << tu vois , petit , ce qu'on peut être bêtes ( ce n'est pas exactement le terme qu'il employa ) , nous médecins , quand il s'agit de nous . Quand j'ai vu que je pissais le sang , je me suis dit : mon vieux , tu es foutu , tu as le cancer >> .

Pouvais-je lui dire qu'il avait été effectivement opéré d'un néo de la prostate ? Ma position au sein de l'établissement ne m'y autorisait pas , mais surtout il était évident qu'il ne voulait pas le savoir .

 

Restaurer la conscience

     Ce jeune garçon avait un syndrome appendiculaire des plus évidents . A la fin de l'intervention , qui avait confirmé le diagnostic , le chirurgien et moi sortons du bloc opératoire pour réconforter les parents :

-le chirurgien : voilà , tout va bien , tout s'est très bien passé . Mais il était temps . Heureusement que vous avez un bon médecin , qui a fait à temps le bon diagnostic .

-la mère : Ca aurait pu être grave , Docteur ?

-le chirurgien : Mais oui Madame ; une appendicite diagnostiquée trop tard , c'est le risque d'une péritonite .

-la mère : Une péritonite ? Mais c'est très grave ; on peut en mourir ! Je le savais , notre fils va mourir , il a "la" péritonite .

-moi : Mais non , voyons , il n'a pas "la" péritonite . Il a seulement été très bien opéré par le Docteur A. d'une simple appendicite . De nos jours , ça n'est rien du tout . . .

-le père , qui jusque-là n'avait pas desséré les dents : Bon , alors mon fils a été opéré pour rien du tout !

 

Renforcer la compétence

   Cette jeune fille de 13 ou 14 ans , aménorrhéique primaire ( c.à.d. qui n'avait jamais eu ses règles ) , se présente avec une volumineuse masse pelvienne . Pas question de pratiquer un toucher vaginal , elle est présumée vierge . Je la confie au chirurgien pour explorations . Sous anesthésie générale , l'examen au speculum révèle l'existence d'une grosse masse bleuâtre au fond du vagin . Avant de procéder à une laparotomie exploratrice ( c.à.d. ouvrir le ventre pour voir ) , le chirurgien me dit d'aller préparer les parents au pire . J'explique qu'il s'agit d'une grosse tumeur , de l'ovaire peut-être , mais qui pourrait bien être cancéreuse . . . De retour en salle d'opération dans l'état de désarroi qu'on devine , je découvre ce spectacle hallucinant : le chirurgien couvert de sang des pieds à la tête , mort de rire comme l'anesthésiste et les infirmières . En mon absence , il avait exploré prudemment à l'aide d'une sonde cannelée cette masse vaginale , qui avait explosé , libérant un flot de caillots et de sang menstruels retenus derrière un hymen imperforé ( ce qu'on appelle un "hématocolpos" ) .

Mais le plus difficile restait à faire : comment expliquer aux parents cette guérison miraculeuse ? J'ai osé le faire . J'ai expliqué que le Docteur A. avait réussi à extirper la tumeur par les voies naturelles ( qui , c'est bien connu , sont comme les voies du Seigneur : impénétrables ) . Ph.D.

 

     L'os court : << Je suis sans nouvelles de moi >>    San-Antonio , post-mortem


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Lettre d'Expression médicale n°216
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 16 novembre 2001

Question de pourquoi ?

Docteur  Jacques Blais

 

Drôle de titre bien sûr, mais nous en avons vu d'autres... Issue, cette interrogation, d'un constat né de la confrontation et de la communication avec des jeunes de la génération qui s'installe, les 25-35 ans. Quand on écoute les garçons, nantis de diplômes, déjà autonomes en théorie, c'est à dire logés à moitié à l'extérieur à moitié chez papa-maman ou équivalents recomposés, selon disponibilités de la copine ou compagne, programme des sorties, en fin d'études et début de CDD ou carrément en CDI, ils affichent assez clairement leurs ambitions : grosse voiture en premier, logement correct avec toute la technologie électronique audiovisuelle, chien imposant, et vacances. Les filles, encore plus diplômées ou souvent brillantes, vont ensuite, bardées de Bac + 5, DESS et compagnie, accepter un poste de caissière à Carrefour, de réceptionniste dans une étude de notaires, de secrétariat dans un pool, ou de vendeuses de parfumerie requérant des employées susceptibles de répondre dans leur langue aux étrangers. Et elles aussi sont claires sur les motivations : indépendance financière pour acheter les fringues et le maquillage, vacances, et partage avec l'homme ou la femme de leur vie des frais courants domestiques, à condition de partager aussi, outre le lit, les tâches du quotidien. Il n'est pratiquement jamais question d'enfant, ou bien très tardivement, et dans une hiérarchie péjorative. Pourquoi ?

 

Retrouver la confiance

Il ne sera jamais question ici de décider qui a raison, si même cela était envisageable ou pertinent. Mais la première question est-elle celle de la confiance ? Notre génération, juste issue de la fin de la guerre et après, pouvait avoir confiance en l'avenir de l'homme. Progrès social, scientifique, économie en hausse, emploi positif, et cette sorte de certitude de "faire mieux que nos parents", avec plus de diplômes donc, à l'époque, un meilleur travail, plus de confort, des loisirs envisageables. Pour nos jeunes, l'avenir se limite-t-il à eux, individus, sans pouvoir projeter sur celui d'une descendance en quelque sorte condamnée d'avance ? Est-ce la grande interrogation ? De toute manière, que saurai-je offrir à un enfant ? Qu'est-ce que la société dans son évolution me permettra, m'autorisera, à lui proposer de valable, d'enrichissant, de positif ?

 

Restaurer la conscience

Avions-nous davantage une conscience sinon collective du moins sociétaire ? Nous vivions, pensions, rêvions, travaillions, pour notre groupe familial, son avenir, pour une société moderne, pour une nation, pour des idées, une passion, une profession, pour nos patients, notre vision de la vie, notre désir, besoin, envie d'exister ? Alors que les jeunes que nous avons fabriqués, non nécessairement malheureux loin de là, malgré 50 % de divorces en Île de France parmi leurs parents, mais souvent bénéficiaires de loisirs, de confort, de facilités financières, de progrès, d'accès aux études, aux transports, à des autorisations parentales inexistantes pour la génération d'avant, sembleraient ne penser, réfléchir, décider, qu'individuellement ? Si mon copain, ma compagne, est dérangeant pour mes loisirs, mes finances, mes choix, nous restons chacun de notre côté sauf pour les week-ends où nous partageons le lit et les sorties. Si un enfant est source de contrainte financière, d'organisation, de privations de loisirs, de voyages, optons pour le chien d'abord et décidons dans trois, cinq, dix ans. La voiture je décide, je passe commande, le chien je commande, j'impose et je le montre, l'enfant si les méthodes modernes permettent de fixer la date de livraison et presque le modèle il semble bien apparaître des surprises en service après vente et dans le prix de revient, le mode d'emploi encore plus. Alors je pense à moi, et je bâtis mon projet à moi...

 

Renforcer la compétence

De nouveau un grand paradoxe. Ces grands diplômés, parfois étudiants très prolongés, paraissent peu soucieux ensuite d'utiliser leurs compétences à la mesure des ambitions parentales. L'étude est intéressante, excitante, le travail infiniment moins, car il implique des stratégies de pouvoir, le harcèlement, évincer les vieux, s'imposer comme jeune, lutter pour son poste, ses idées, ou ses méthodes. D'où si souvent ces choix qui sont ceux du premier degré. "C'est tout près de chez moi, je récupérerai la petite le soir sans difficultés quand nous aurons décidé d'en fabriquer une aux yeux verts, je ne risque vraiment pas de me planter dans ce boulot avec mon DEA pour un job de bac + 2, le Leclerc est à côté une semaine ce sera moi une semaine pour mon mec, avec ses 35 heures il aura tout le temps, et nos vieux habitent la ville voisine, pour garder les mômes quand on part en week-ends pour les crémaillères des copains c'est super, alors banco je prends !"

Une évidence absolue : tout ceci est caricatural au possible, partial, mais indéniablement cela répond bien au titre, car cette fameuse question "pourquoi ?" se pose bel et bien et plutôt plus fréquemment qu'avant. Et elle est intéressante, cette question, car elle nous remet dangereusement en cause dans nos propres implications, choix, orientations, sachant que ces pourquoi sont si souvent des "pour qui ?", pour qui et pourquoi avons-nous nous mêmes décidé d'avoir des enfants : vivre et faire vivre, exister étant la part professionnelle et celle de l'âme, quand vivre était celle de la société et de l'individu ? Et aussi des comment et des quand ? C'est drôle, d'habitude c'est aux enfants de maternelle que l'on a tendance à répliquer : "mais quand auras-tu fini de poser toutes ces questions ?"     J.B.   

   

Os court : « - Vous buvez ? - C'est une question ou une invitation, Docteur ? » Anonyme


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