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 Lettre d'Expression médicale n°224
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 17 janvier 2002

 

 

Le miroir et la glace sans tain

Dr Jacques Blais

Un juge se retire dignement de la scène publique. Meurtri, bafoué, menacé, il n'a lu dans le miroir de notre civilisation, en tentant d'affronter les politiques et les élus, que corruption, mépris, pouvoirs sans mesure, et lassé il renonce. J'ai souvenir d'un commissaire de police, de ma clientèle, un homme charmant, dynamique, envahi d'humanisme malgré les horreurs, convaincu dans son travail. Abattu aussi, épuisé de devoir mendier à longueur de carrière des ordinateurs, des pneus pour ses véhicules, du personnel, révolté de recevoir, à chaque garde à vue, un coup de fil "de là-haut" le priant de relâcher tout le monde "vous avez bien le jeune Untel parmi eux ? C'est le neveu de tel Haut fonctionnaire, alors vous comprenez..." Anéanti par un ultime coup : il préparait depuis des années un Concours pour le couronnement de son action, un poste pour lequel il présentait les titres, l'ancienneté, les états de service. On y a nommé un autre "neveu de ministre" qui n'avait même pas fait semblant de postuler. Nomination directe, comme n'importe quel de nos très hauts responsables placera ses copains aux postes clefs. Le commissaire a démissionné. Et nous sommes un bon nombre de praticiens enthousiastes de la médecine, impliqués dans la formation, l'enseignement, le dévouement absolu et passionné à notre profession, à l'avoir quittée avant terme, totalement écoeurés, exténués, et avouant ainsi notre refus de la politique de santé des dix dernières années...

 

Retrouver la confiance

Tous ces miroirs de notre société auraient pour but d'amener à refléchir, au double sens de reflet et de réflexion. Mais actuellement ils ne renvoient pour nos élus, nos politiciens, que l'image de leurs dents refaites, de leurs costumes et tailleurs, de leur gestuelle étudiée. Quelques conseillers auront sans douté suggéré : "non, Monsieur, les poches sous les yeux gardez les malgré tout, cela vous rend humain, et cela atténue vos poches pleines un peu douteuses, vous comprenez ?" Dans une séance de Thérapie systémique, généralement familiale, un des thérapeutes se tient dans la salle, au milieu des membres de la famille, il est leur miroir, leur image renvoyée, et celui qui va écouter, proposer, suggérer, provoquer, mettre en action des stratégies. Celui en lequel les participants vont peu à peu placer leur confiance. Pourtant non élu, mais exerçant un rôle parmi les autres. Et puis, derrière une glace sans tain, se tient un autre thérapeute, le superviseur.

 

Restaurer la conscience

Celui-ci travaille tout autant pour la thérapie de tous, mais différemment. Il observe le non vu, il entend les phrases que le thérapeute en salle n'a pas pu suivre, capter, dont il n'a pas pris conscience. Il intervient alors, tape sur la vitre pour signaler qu'il a quelque chose à dire. "Tu n'as pas vu, mais lorsque la mère a dit ceci, le fils a réagi comme cela, et puis chaque fois que le père parle, la fille regarde par terre, ou derrière elle, comme un refus, un désintérêt" Dans notre vie sociale, politique, au sein de nos institutions, de notre parlement, de nos gouvernements de toutes couleurs, il n'existe ni miroir de la vie en séance, ni superviseur derrière la glace sans tain pour signaler le non-vu, non-entendu. Les seuls miroirs sont la mesure du pouvoir, les sondages, le nombre des voix, l'argent amassé. Et, de ce fait, les miroirs ne sont pas ceux auxquels on pourrait s'attendre, ils sont tenus par des citoyens impliqués dans l'action, des professionnels à l'écoute, observateurs, des gens responsables réellement de leurs actes, comportements, décisions. N'importe quel vrai superviseur à action systémique stratégique dirait aux ministres, au président de la CNAM : "ces généralistes réclament 2,5 euros pour être reconnus comme des travailleurs acharnés au milieu et à l'écoute des êtres humains, et vous continuez à massacrer ces professionnels du soin. Alors que le premier élu ou politique détournant 2,5 millions d'euros sera blanchi, au point d'en faire perdre la foi aux juges, aux policiers, aux enquêteurs, aux citoyens. Alors à défaut de lucidité faites preuve de sens pratique..."

 

Renforcer la compétence

 

Il arrive que la télévision serve de glace sans tain, les spectateurs devenant superviseurs, même si c'est rarissime. Sur M6 mardi 15, une émission sur les maladies orphelines. Une femme admirable, épanouie, sereine, éclatante en mère qui doit se susbstituer aux pouvoirs publics non seulement absents mais de ce fait méprisants. Elle a monté une association qui remplace l'état dans ses carences ignobles, aidant les familles comme la sienne, en détresse. Une jeune fille de 18 ans aussi, lumineuse de grâce lucide et mordante à souhait dans sa cruelle et crue vision du monde politique : "il n'y a pas de marraine pour les maladies orphelines comme celle de mon frère, car là le parrain serait l'argent, donc l'Etat laisser mourir tranquillement ces malades qui ne rapportent rien" Et l'animateur de préciser : "malgré une sollicitation considérable, nous n'avons pu avoir ce soir AUCUN représentant des ministères. Baladés d'un service à l'autre, nous avons échoué à obtenir une participation".  La traduction des superviseurs, derrière la glace sans tain de nos écrans, aura été : la lâcheté, la carence, le mépris absolu, le désintêt intégral de tout le monde gouvernemental, politique, industriel, de tout le monde de l'argent et du pouvoir, face à la détresse ordinaire des familles malchanceuses -il faut avouer que les groupes entourant les patients atteints de maladies orphelines ne représentent pas beaucoup de votants -, et ce même en période pré-électorale, sont criants de vérité cachée. Celle des miroirs, ce jour là voeux à la Presse, dîner avec Poutine, gargarismes devant les caméras, rengorgements de toutes sortes, pseudo négociations bidon, gentils faux affrontements entre camarades de promo de Sciences Po et de l'ENA embauchés dans des camps différents par hasard ou intérêts divergents, aura montré la véritable image de notre pays. Triste. Lamentable, dites vous ?

  

                                              Os court : « J'ai trop duré et trop d'urée ». Curnonsky

 

 


 

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Lettre d'Expression médicale n°225
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 24 janvier 2002

 

 

Nous avons la même lampe de poche

Christine Bruzek

 

C'est ce que j'ai découvert lors de la diffusion d'un reportage à la télévision sur la forêt tropicale en Indonésie. Comme, là-bas, les nuits tombent vite et qu'en forêt tropicale indonésienne (nous sommes dans l'île de Sumatra aux paysages paradisiaques) il n'y a pas d'électricité, les Mentawais préparent leur repas du soir à la lampe de poche.

Est-ce un signe de modernité bienveillante pour ces familles Mentawais, que nous nous servions, eux et moi, de la même lampe de poche, malgré les milliers de kilomètres et l'énorme fossé, qu'il y a entre nos façons de vivre ?

 

Retrouver la confiance

Les Mentawais (30 000 personnes environ) sont un des derniers peuples, sur notre terre, à vivre, comme le faisaient leurs (et nos) plus anciens ancêtres, de la cueillette et de la chasse. Ils ont aussi leur science pour se soigner. Leur espérance de vie n'est pas élevée mais ils peuvent guérir une grande partie de leurs maux et de leurs blessures grâce à la connaissance des plantes.

Nous en revenons, nous aussi, à une médecine, qui soigne par les plantes, qui est peut-être moins nocive pour le corps, peut-être moins rapidement efficace pour les patients, qui veulent guérir tout de suite.

Les Mentawais y mêlent aussi de la magie. Ils accompagnent le malade, en voulant lui redonner confiance par des gestes et des paroles, qui le transportent dans un monde d'imagination, de forces supérieures.

 

Restaurer la conscience

Il serait intéressant que les Mentawais nous transmettent leur médecine traditionnelle, certainement aussi que nous leur apportions notre médecine moderne mais surtout pas nos maladies ni nos vices.

Au nom d'intérêts économiques : tourisme (paradis pour les surfeurs) et destruction de la forêt tropicale (culture intense du copra), et malgré la tutelle de l'UNESCO, qui a désigné ce territoire, l'île de Siberut (Sumatra), où vivent les Mentawais, réserve écologique biosphèrique, ce peuple est en grand danger d'extinction.

 

Renforcer la compétence

Au nom de la globalisation, donc d'intérêts économiques, à quelques kilomètres de Siberut, à Singapour, un peu plus loin encore à Taiwan, des enfants, des femmes et des hommes travaillent, pour des marques célèbres, dans des conditions inhumaines (voir le livre de la journaliste canadienne Naomi Klein : No Logo !), pour satisfaire notre envie de consommation.

Les Mentawais, qui auront survécu, vont-ils, eux-aussi, venir grossir les rangs de ces pauvres gens, qui pour « gagner » leur vie doivent abandonner une grande part de leur dignité ?

Ne peut-on pas respecter ce peuple, qui possède une culture unique au monde, un mode de vie riche d'un passé de plus de 4 000 ans?

Pourquoi ma lampe de poche est-elle arrivée là-bas? J'ai très peur que ce « petit » détail marque la fin d'une belle histoire de vie !

 

Sources :

<http://www.caske2000.org/ngo/indigenous/mentawai/mentawai.htm>

<http://www.gn.apc.org/dte/50Men.htm>

<http://www.mentawai.org/>

 

Ndlr: Au lendemain d'une grève sans précédent des médecins en France, nous avons pris à la LEM le parti de vous offrir ce voyage lointain pour nous donner un temps de réflexion devant une situation du monde de la santé en pleine évolution. Nul doute que la liste Exmed1 sera prolixe. Et la consultation des thèmes de la LEM reste fort instructive à <http://www.exmed.org/exmed/arlem.html> dans ce contexte.

 

                                    Os court : « Ils étaient tellement pieux qu'on en fit une clôture ». Leo Campion


 

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Lettre d'Expression médicale n°226
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 30 janvier 2002

Plus que jamais le chantier de la métamédecine

Docteur François-Marie Michaut

 

Les plus anciens de nos compagnons de route d'Expression Médicale depuis 1997 s'en souviennent bien. Depuis cette époque, déjà lointaine pour nos plus jeunes internautes, nous n'avons jamais cessé de le dire tranquillement à travers nos publications, au risque de ne pas être entendus. La médecine est malade, très malade. En France comme dans tous les pays du monde, qu'ils soient développés économiquement ou dans un dramatique état de misère. Les signes cliniques de cet état au pays de Voltaire sont désormais évidents avec les grèves interminables des praticiens comme des infirmières et des hospitaliers. Naturellement quelques commentateurs à la courte vue n'y voient qu'une réaction de dépit d'une corporation financièrement nantie vis à vis des salariés qui, eux, bénéficient de la "grande avancée sociale" des 35 heures de travail hebdomadaire. Une fois de plus, ce mal-être des soignants est un phénomène mondial, qui se traduit très directement par une désaffection marquée de nos jeunes les plus talentueux pour les métiers de la santé depuis de nombreuses années. Un signe qui ne trompe pas.

 

Retrouver la confiance

 

Notre ministre de la solidarité, la santé (pour des raisons franco-françaises à l'évidence idéologiques, ne méritant depuis des années - semble-t-il - aux yeux de nos politiques qu'un secrétariat d'Etat ) refuse pendant des semaines de recevoir les médecins en grève. Et quand elle finit par les rencontrer, aucun dialogue ne parvient à s'établir. Le leader syndicaliste majoritaire emploie cette formule terrible : " C'est un dialogue de sourds. Nous demandons de manger des haricots verts, on veut nous imposer des frites " ( Radio France , 28/1).

 

Restaurer la conscience

 

Il faut dire que la stratégie des hommes politiques dans ce conflit pas comme les autres a été la même que celle qui est habituellement efficace ici face aux revendications des paysans, des fonctionnaires ou des chauffeurs routiers . Celle de l'attribution d'une enveloppe budgétaire pour faire taire les revendications. Rien de plus simple. Il suffit de réduire les demandes formulées à une enveloppe budgétaire, celle du tarif des actes médicaux, et d'en confier la négociation à l'assurance maladie obligatoire. Et dernier acte traditionnel pour mettre fin à tous les conflits sociaux : le paiement intégral des journées de grève. Là encore, c'est impossible avec les médecins. Une grève infinissable, en somme.

 

Renforcer la compétence

 

Il devient de plus en plus évident que la question de la santé de la santé, de la santé de nos sociétés, et de la santé de tous ses membres est de la plus haute importance pour les années à venir. Il s'agit de notre survie et de celle de nos descendants. Nous citoyens, saurons-nous exiger de nos élus qu'il en soit ainsi, et en particulier imposer aux candidats actuels et futurs de l'élection présidentielle de se prononcer avec la plus grande clarté sur leurs projets dans ce domaine ? A vrai dire, rien d'extraordinaire pour une démocratie, quand on pense qu'aux USA, la question de la brevatibilité du vivant et de l'utilisation du génome a été au centre de la campagne présidentielle, et des débats publics passionnés qu'elle a entraînés.

 

Os court : « La réussite dans la vie, aller d'échec en échec tout en gardant un bon moral ». Winston Churchill


 

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Lettre d'Expression médicale n°227
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 5 février 2002

Relation médecine et patience

Docteur Jacques Blais

 

Hakim est entré, avec sa tête habituelle renfrognée, sévère, préoccupée, revendicative. Ce petit bonhomme rondouillard au cou rentré, un gros volume céphalique bizarrement dissymétrique et un visage tourmenté, buriné, ridé, s'installe chaque fois sans un mot, après un bonjour poli. Il porte toujours à la main un grand sac de plastique de supermarché, plusieurs de ses compatriotes opèrent de même, avec dedans leurs trésors de vie, ou l'important de leur existence. Pour certains leurs documents identitaires, pour d'autres les correspondances des administrations qui les tourmentent, pour Hakim un mélange complexe de tickets de caisse de ses achats et de vignettes de médicaments. Les deux pôles fondamentaux de sa vie, probablement. Cet homme d'une cinquantaine d'années sent horriblement mauvais, c'est juste ainsi, pourtant il arbore en permanence un costume fripé mais très correct. Et il attaque, comme chaque fois instantanément, avec un verbe saccadé, une parole monocorde, hachée, qui emploie des mots forts, violents, convaincus, comme justice, normal, licencier... "Mon docteur ce n'est pas normal, il faut que tu fasses la justice, il faut licencier tout le monde de la Sécurité Sociale, surtout les femmes, on ne peut pas continuer, il faut que tu décides..." Hakim souffre, cela s'entend, se voit, se lit sur son expression.

 

Retrouver la confiance

 

A la suite de divers conflits au départ mineurs, avec la maîtrise de son emploi, avec les administrations, la direction du foyer de travailleurs qui le loge, Hakim a développé, sur un terrain fragile, une sorte d'état d'allure paranoïque, qui le rend en permanence persécuté, en butte à des difficultés de communication avec toute autorité, toute organisation, toute institution. Et derrière sa mention permanente de "l'autorité des femmes" probablement incompatible avec sa vision personnelle, culturelle, sociale, familiale, de la vie (c'est un homme perpétuellement seul, sans lien familial répertorié, sans conjoint, sans enfant, ce qui est très rare et à noter dans son ethnie) on sent une blessure redoutable, une demande intraitable et constante. Mais au fil des années, Hakim a gardé confiance en son généraliste, qu'il visite très régulièrement avec des demandes dérisoires et fondamentales, consistant à venir parler, beaucoup, et sans cesse des mêmes thèmes, et à déballer ensuite le contenu de son sac de plastique. Les vignettes de pharmacie sont de shampoings, car son cuir chevelu le gratte (et très probablement les produits corrosifs qu'il acquiert aggravent) des sirops pour la toux, derrière ce symptome nocturne son médecin a deviné un reflux banal que ce genre de traitement ne risque pas d'améliorer, mais Hakim ne croit qu'en cela, et de bricoles du genre paracetamol. Le mélange avec les tickets de caisse montre à la fois un illetrisme complètement compréhensible, mais pas seulement car il distingue certainement l'aspect, la forme, des petits papiers, et la symbolique très forte de ses revendications est certainement profonde : j'achète mes soins, la pharmacienne est une femme, la caissière également, je nourris et ma rancoeur et mon mal, je paie constamment, mais pourquoi ? Et, sans retenue, le médecin a fini par aimer Hakim, au delà d'une forme de répulsion naturelle, aisément surmontée.

 

Restaurer la conscience

 

Rocher dans la tempête, refuge existentiel, bouée de survie, le médecin est un personnage fondamental de la vie de Hakim, et même mieux, de son existence. L'unique personne à qui parle ce Maghrébin en détresse et en souffrance, sans doute l'unique être en qui il ait confiance, et même si la vertu thérapeutique de ce contact régulier se discute en termes d'efficacité médicale stricte, elle est indéniable en qualité de maintien, de soupape. La question de conscience est la suivante : politiciens de tous bords et couleurs, ministres de tous domaines, représentants des medias et du monde de la critique, financiers de la Bourse et du profit, responsables de tous horizons, pouvez-vous comprendre, admettre, regarder en face cette réalité du médecin du quotidien de l'ombre et de la boue, du silence et de l'amour du métier ?

 

Renforcer la compétence

 

Un soir d'hiver Hakim est arrivé au cabinet vers 20 heures, une heure où seul un médecin peur être encore accessible. Il paniquait et éructait de fureur. Il venait de trouver sa valise déposée dans le couloir devant sa chambre, au foyer. Viré !!! Depuis des mois, Hakim était en difficultés avec la gérance, analphabétisme plus état mental précaire, cet homme n'a jamais compris la différence entre 200 francs et 2000, et il payait son loyer au petit bonheur la chance, selon l'inspiration. Suite à ses récits, son médecin a écrit quatre fois à la direction locale, puis régionale, de l'organisme de gestion du foyer, pour suggérer des prélèvements automatiques, également aux services sociaux, à la comptabilité de l'usine qui emploie Hakim, à la Mairie, pour proposer de l'aider, de l'accompagner, de règler le problême. En vain. Hakim a été viré, comme un fou, un malpropre, un qui sent mauvais. Et à cette heure tardive, le médecin blessé, douloureux dans son être, malmené dans sa conscience, et scandalisé, bousculé dans sa nature, va faire appel à une compétence de plus, pour trouver une place pour son patient dans un autre foyer de dépannage, en téléphonant partout pendant une heure. Pour la petite histoire, c'est finalement le pointeau de l'usine, un brave gars, qui lui prêtera un lit de camp dans sa guérite pour la nuit.

 

Madame la Ministre, aviez-vous la moindre idée de ce qu'est réellement un médecin ?

 

Os court : « Rien n'est plus semblable à l'identique que ce qui est pareil à la même chose ». Pierre Dac


 

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Lettre d'Expression médicale n°228
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 12 février 2002

Un caillou dans l'océan

Odette Taltavull

Aux Etats-Unis, depuis plusieurs décennies, les citoyens américains ont facilement la possibilité de porter plainte lorsqu'ils sont victimes d'une erreur médicale et de le faire savoir aisément dans la presse. La machine juridique s'enclenche, trop vite et dans l'excès bien souvent. Dans notre pays, il est de plus en plus fréquent que les patients se plaignent des soins qu'ils reçoivent jusqu'à engager un procès. Si la distance qui séparait les deux mondes soignants - soignés s'amenuise grâce à plus de dialogue, de psychologie, d'humanité, les plaintes pour erreur médicale ou chirurgicale se multiplient.Paradoxalement, les patients demandent aux médecins d'être plus humains (et donc d'avoir droit à l'erreur É) mais hésitent de moins en moins à demander réparation en cas de séquelles graves.

 

Retrouver la confiance

La relation médecin - patient est fragile. Le voile fin, transparent et indispensable, qui sépare symboliquement les deux permet ainsi de se voir, de s'entendre et de s'écouter. A chacun, de part et d'autre, de le maintenir perméable et favorable à l'échange et de ne pas en faire un mur puisque de plus en plus de médecins reconnaissent que la coopération est constructive dans le suivi d'un traitement ponctuel ou d'une affection chronique. Instaurer une relation humaine si exigeante est difficile. Toutefois, même si la relation humaine est de qualité, que deviennent la parole et la confiance lorsque le médecin fait une erreur grave ? Car dans une prise en charge médicale il y a le dialogue, mais il y a aussi les prescriptions et les actes.

 

Restaurer la conscience

Le Serment d'Hippocrate n'a pas évolué avec le temps. Il demande au médecin d'entrer dans une corporation hermétique, et où le soutien entre confrères est la règle. Le médecin doit « avant tout ne pas nuire », évaluer où commence et où cesse le secret médical, trouver le moyen de ne pas dénigrer un confrère qu'il pense dans l'erreur, et tout cela en bâtissant une relation de confiance avec son patient É Autrefois l'émulsion était plus facile. Parce qu'aux yeux des citoyens le médecin avait une auréole, une toute-puissance, et qu'il était inconcevable de l'attaquer même si l'incompétence professionnelle était reconnue. De nos jours le médecin perd peu à peu son auréole ; il devient plus humain et il est donc plus exposé en cas d'erreur. De son côté le patient n'est plus tenu au mutisme ; moins suggestible et refusant la soumission, il est donc plus enclin à porter plainte. Mais comment ne pas tomber dans l'excès de nos voisins d'Outre &endash; Atlantique ?

 

Renforcer la compétence

Tout comme la relation lors des consultations peut être un partage, un échange, un dialogue vrai, ne serait-il pas imaginable d'utiliser les compétences de chacun dans une telle épreuve ? D'une part le patient pourrait accepter que son médecin fasse une erreur puisqu'il est un homme tout comme lui, et ne pas lui ôter sa confiance justement au moment où celle-ci serait salutaire. D'autre part le médecin pourrait comprendre que son patient demande réparation en cas de séquelles graves et accepter lui-même de reconnaître ses défaillances dans cette période où il se sent professionnellement en échec. Ainsi le dialogue serait restauré. La coopération pourrait continuer au lieu de cesser comme c'est trop souvent le cas. Mais pour l'un et pour l'autre un long chemin reste à faire É Tout au long de cette révolution de la relation soignant &endash; soigné, espérons qu'un jour le travail se fera de part et d'autre, afin d'éviter de tomber dans un engrenage procédurier fondé sur la colère - voire la haine &endash; et qui entraîne tant de douleurs dans son sillage. Est-ce trop tard pour y penser ?

 

Os court : « Il est plus adroit de se tirer d'un mauvais pas qu'un coup de revolver au coeur ». Alphonse Allais

 

               

 

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Lettre d'Expression médicale n°229
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 18 février 2002

Le chaînon manquant

Docteur François-Marie Michaut

 

Nos amis internautes vivant hors de France ne le savent peut-être pas. Les conflits multiples entre les professions liées au monde de la santé et les pouvoirs politiques et administratifs qui en dépendent directement s'éternisent sans espoir de trouver un véritable terrain d'entente . Chacune des deux parties, forte de son bon droit et de sa logique irréfutable, ne parvient pas à comprendre que les autres en face ne les partagent pas. Ne les écoutent même pas, du moins en apparence, pour faire allusion à la question du Dr Deharvengt. Il a envoyé sur la liste Exmed-1 une lettre ouverte à nos ministres, en se demandant si la LEM parvenait jusqu'aux cabinets ministériels. Quand un praticien se trouve dans son cabinet devant des personnes qui ne parviennent pas, ou plus, à établir un dialogue, il est normalement conduit à se demander quelles en sont les raisons, pour savoir s'il y aurait un moyen d'y remédier. Quand on annonce en guise de profession de foi, comme à Exmed, qu'on s'intéresse à la métamédecine comme à la systémique médicale pour améliorer la santé, on ne peut pas se taire. Ou attendre que miraculeusement les yeux et les consciences s'éclairent. Alors, quitte à nous prendre à notre propre piège, tentons le risque d'une expression qui n'engage que son auteur.

 

 

Retrouver la confiance

Le monde politique, en France, comme partout ailleurs ou presque, limite son champ d'action à celui d'administrer a posteriori les créations que les hommes entreprenants imposent aux citoyens. Oui, il y a un terrible retard permanent de l'action politique par rapport à l'état réel de la société des hommes. Par exemple, l'industrie pharmaceutique met sur le marché des produits réputés capables de porter remède aux " dysfonctions sexuelles masculines", pour reprendre la terminologie pudique des promoteurs de cette invention. Y-a-t-il eu un débat préalable pour déterminer si nos sociétés souhaitent que les anciens puissent se prendre pour de fringants étalons ? Avant d'imposer cette panacée, s'est-on donné les moyens d'en mesurer les risques ? Risques pour les consommateurs, certes, mais aussi conséquences sur les comportements. Quels sont et quels seront les exutoires de ces capacités sexuelles chimiquement ragaillardies ? Qui pourront bien être les partenaires sexuels - plus ou moins consentants - de ces vieux messieurs, en un temps où il est politiquement correct de s'émouvoir des pratiques pédophiles, incestueuses ou vénales ? On laisse faire sans rien dire, puis on s'indigne des retombées. Puéril.

 

Restaurer la conscience

Comme cela a été formalisé clairement par le sociologue allemand Ulrich Beck (*) dès le lendemain de Tchernobyl il y a 16 ans, nous ne vivons plus dans des sociétés de partage des richesses, mais dans une société planétaire de partage des risques. Personne aussi riche ou pauvre soit-il, en aucun endroit du monde, sur terre comme sur mer, n'est plus à l'abri des conséquences de nos activités industrielles. La nature n'est plus le bon refuge contre la folie des hommes qui nous a fait rêver. La nature est devenue industrielle, c'est nous, et nous seuls, qui entraînons ses modifications.

 

 

Renforcer la compétence

Et bien, ce chaînon manquant entre les citoyens (dont les professionnels de santé) et leurs hommes politiques, il est là. Le risque zéro n'existe pas, les taux limites des pollutions autorisées sont des escroqueries scientifiques pour nous faire croire que l'air que nous respirons, que l'eau que nous buvons, que les aliments que nous mangeons sont sans danger pour notre santé. C'est d'une sorte de parlement d'un type nouveau dont nous avons un besoin vital pour ne pas périr. Sa seule tâche serait d'animer en permanence, avec toutes les contrexpertises indispensables, un débat sur tous les risques au milieu desquels nous vivons, pour savoir, si oui ou non, les citoyens choisissent telle ou telle voie d'action. Une sorte de nouvelle démocratie interactive fondée sur la prévention des risques. Et non, comme actuellement, sur la législation a posteriori des conséquences des actions mises en oeuvre unilatéralement par tel ou tel groupe professionnel substituant son intérêt à celui de la collectivité. C'est cela la seule prévention intelligente. La seule qui n'attend pas que l'incendie soit bien développé pour faire travailler ensemble tous ses soldats du feu, aussi modestes soient-ils.

 

(*) Ulrich Beck, La société du risque, Aubier, 2001

 

 

Os court : Ce n'est pas au crocodile de crier : « attention au crocodile ». Henri Michaux

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