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Lettre
d'Expression médicale n°260
Hebdomadaire
francophone de santé
23 Septembre 2002
Enfin on y vient
par
Dr François-Marie Michaut
Deux
cent soixante semaines se sont écoulées depuis le
lancement discret de la Lettre dExpression Médicale.
Un peu plus de cinq ans pendant lesquels nous navons pas cessé
dattirer lattention du public professionnel et non professionnel
qui voulait bien nous lire. La médecine de la médecine,
la métamédecine, nous a toujours paru une démarche
indispensable pour sortir des impasses multiples de nos façons
de nous soigner. Cette idée na jamais été
populaire, pouvant donner limpression que nous prêchions
dans le désert. Laccusation fréquente dutopisme
ne nous a cependant jamais convaincu de lirréalité
de notre analyse. Voilà pourquoi, nous avons continué
à creuser notre sillon.
Retrouver
la confiance:
Et
voilà soudain que le Pr Jean-Michel Dubernard, député
qui préside la commission des Affaires sociales de lAssemblée,
met les pieds dans le plat (*). Jusquà ce jour, tous
les experts du monde de la santé sétaient intéressés
exclusivement soit à la médecine privée, soit
à la médecine hospitalière. Comme si une infranchissable
frontière ontologique les séparaient. Monter en épingle
les médecins libéraux, ou hospitaliers, pour fustiger
les autres fut longtemps un sport fort répandu. Diviser pour
mieux régner, selon la recette célèbre. Pour
notre député, cest vraiment lensemble
du système de santé français quil faut
remettre à plat. Cest une question de volonté
politique dit-il. Voilà une position qui ne peut que
satisfaire des citoyens vraiment désorientés par latmosphère
de défiance systématiquement entretenue entre le monde
politique et les professionnels de santé. Et également,
pour des raisons catégorielles stratégiques, entre
les différents professionnels et utilisateurs des soins.
Restaurer la conscience:
Enfin oser dire tout haut à la profession médicale
et aux médias ce que nous démontrons depuis si longtemps
au moyen dexemples vécus, même si cela entame
notre chauvinisme national. Il est faux daffirmer que
notre système de soins est le meilleur du monde. En
effet, si tout était parfait, pourquoi envisager de changer
quoi que ce soit devant notre porte ? Avoir clairement conscience
quil y a un vaste et difficile chantier à ouvrir va
certainement dans la bonne voie. Paul Watzlawick nous a appris quune
des façons de ne pas résoudre un problème est
de faire comme sil nexistait pas. Depuis de multiples
années, il na jamais manqué de disciples on
ne peut plus obéissants.
Renforcer
la compétence:
Maintenant,
rien de palpable nest encore fait. Des idées que nous
défendons à Exmed, comme la régionalisation
des décisions en matière de santé, peuvent
être utiles. A vrai dire, sans des hommes pour les porter
à bout de bras, les idées ne restent ... que des idées.
Il va donc falloir maintenant trouver les hommes capables de sortir
des cadres habituels de pensée pour pouvoir faire entrer
dans les faits ces nobles intentions. Ce ne sera pas lune
des moindres difficultés dans notre vieux pays, si attaché
à toutes ses institutions de type féodal. La guerre
des pouvoirs représentatifs entre eux risque de stériliser
toute possibilité de faire changer les choses par des décisions
venant du haut. A moins que, technologies de la communication
enfin intelligemment mises à contribution, chaque citoyen
ne soit amené à donner son point de vue sur ces questions
qui concernent au premier chef la vie de tous ceux den
bas que nous sommes. Ce serait le monde à lenvers
? Non, tout simplement, le monde enfin à lendroit.
Avec des hommes traités en sujets responsables et non plus
en assujettis passifs dotés dun simple numéro
didentification. Dans la réalité, existent-ils
ces humains capables de décider par eux-mêmes de ce
qui est bon pour eux ? Lassistanat généralisé
dans tous les actes de la vie est-il devenu une obligation du fait
de notre incompétence devant un monde de plus en plus complexe
? Encore un peu de patience, à tout cela, on y vient. On
y vient doucement.
(*) Interview dans le Quotidien du Médecin du 17 septembre
n° 7178.
l'os
court :
<< Il
vaut mieux trembler pour la santé des autres que pour la
sienne propre. >> Tristan
Bernard
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Lettre
d'Expression médicale n°261
Hebdomadaire
francophone de santé
30 Septembre 2002
La toile de fond de la médecine
Docteur
J.Gorot (*)
La
relation médecin malade, insérée dans un contexte
socioculturel donné,constitue la toile de fond de l'activité
médicale. La littérature médicale concerne,
actuellement, la prévention et la gestion du risque légal
et l'importance de l'utilisation d'un code de bonne pratique. S'il
n'est pas
question, dans notre propos, d'opposer la médecine technique
à la médecine traditionnelle, et, s'il est, parfois,
plus tentant pour le médecin de se cacher derrière
ses écrans ou ses outils sophistiqués, il est un domaine
où la médecine reste encore un art: l'art de l'échange
et de la communication.
Retrouver la confiance:
Il
est une forme d'intimité qu'est la consultation, ce colloque
singulier dans la relation de soins où les interactions humaines
reposent sur une double assise: d'une part, une relation inégalitaire
fondée sur le pouvoir de l'expert seul à pouvoir prendre
les décisions thérapeutiques, d'autre part, une relation
de coopération qui doit, prendre en compte une réalité
que la Faculté enseigne peu, une gestion certaine des émotions.
Restaurer
la conscience:
Savoir identifier les mécanismes mentaux mis en oeuvre par
chacun d'entre nous, c'est à dire les techniques d'aménagement
de la relation que tout individu utilise dès qu'il est en
rapport avec autrui, c'est introduire les sciences humaines dans
la culture médicale et ne pas la laisser sombrer dans un
scientisme exacerbé.
Renforcer
la compétence:
Surtout la relation médecin malade apparaîtra au centre
de toute réflexion sur l'articulation entre les dimensions
psychiques et organiques de toute pathologie.
C'est la place du corps, aux confins de la médecine et de
la psychiatrie, que se propose d'enseigner le D.I.U. d'Initiation
psychosomatique et de Formation à la relation médecin
malade des Facultés de Médecine Paris 6 et Paris 7,
dont le programme détaillé peut être compulsé
sur le site de l'hôpital Bichat: www.xbichat.jussieu.fr/dupsyfor.htm
Pour d'autres renseignements vous pouvez me contacter à l'adresse
suivante:
jgorot@noos.fr
(*)NDLR
: Le Docteur Gorot a contacté Exmed afin de faire connaître
la formation universitaire dont il est le responsable. Comme cette
orientation est une de celles qui nous paraît fondamentale
pour une médecine au meilleur service des hommes, nous lui
avons demandé décrire lui-même le texte
de cette LEM. Et, à vrai dire, sa double qualification de
gastro-entérologue et de psychiatre nous a paru sonner particulièrement
juste pour qui veut parler de psychosomatique. Exmed met à
la disposition de J. Gorot, de ses collègues et de ses élèves,
dune part toutes nos publications sur le site, et dautre
part nos deux listes de discussion, avec toutes leurs contributions
de qualité.
Os court:
<< Chaque trouble de la nature est le rappel dune patrie
plus haute. >> Novalis
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Lettre
d'Expression médicale n°262
Hebdomadaire
francophone de santé
7 Octobre 2002
La toute première fois
par
Dr Jacques Blais
Un
thème de réflexion de hasard et de circonstances.
La même semaine, un magazine grand public féminin propose
d'évoquer cette "première fois" comme un
exercice de rédaction, et une radio nationale questionne
les auditeurs quant à la toute première fois où
ils ont "vu un vrai mort". Intéressant rapprochement
mettant aussitôt en route une construction d'images et de
souvenirs, dans un but de
production d'idées et de réflexions.
Retrouver
la confiance:
Tous
les métiers ont leurs complexités et leurs risques,
celui de médecin peut-être juste un peu plus particuliers
que d'autres, lorsqu'un être humain est entre nos mains malhabiles,
confié à notre décision fragile et parfois
terriblement inexpérimentée, ou confronté à
des choix immédiats et dramatiques sans vraies références.
En flash, quelques toutes premières fois. La première
ponction pleurale, dans un service hospitalier et sous surveillance
d'un aîné, et en parallèle la première
en ville, dans un quartier chic de la Capitale, envoyé là-bas
en plein mois d'août pour y représenter du mieux que
je pouvais mon patron parmi sa clientèle huppée. Le
tout premier accouchement, sous la protection vigilante de la sage-femme
d'une maternité, et le tout premier en catastrophe, dans
un rez-de-chaussée de HLM, sur une toute jeune fille ayant
"caché" (qui est complice de quoi dans ce genre
d'aveuglement fréquent ?) sa grossesse à ses parents,
qui m'appelaient pour une colique néphrétique. Une
autre "première" dans un appartement, pour une
femme sortant de prison et dépourvue de toute couverture
sociale, qui m'avait supplié de l'accoucher dans ce squat,
gratuitement... tellement sa vie était compliquée.
Et le souvenir d'un stagiaire, quand j'avais moi-même pris
du galon, qui au cours d'une garde, avouait tout cru à un
patient en rétention aiguë d'urines "oui, alors
là normalement il faudrait que je vous sonde, seulement je
n'ai jamais fait cela vous comprenez". Pédagogie, psychologie,
confiance, communication dites vous ?
Restaurer la conscience:
Pour nous médecin, notre premier mort a tout intérêt
à avoir précédé notre exercice, et cette
affirmation me semble parfaitement valable pour tout individu. Quel
dommage que les familles, croyant protéger, bien faire, cachent
aux enfants le grand-père décédé, logent
"au ciel" ou au paradis ou en voyage le parent "disparu",
alors qu'il serait tellement instructif, utile, efficace, d'amener
les enfants, encadrés, soutenus, auprès des défunts,
pour leur expliquer que la mort existe, mais oui, qu'un mort présente
cette allure, qu'il ne peut plus rien arriver alors, il ou elle
ne se lèvera pas, ne parlera pas, ne viendra pas la nuit
dans une autre chambre. Cela éviterait, comme nous le constatons
dans notre activité, que tant d'adultes découvrent
pour la toute première fois la mort avec celle de leurs vieux
parents, ou d'un accident, et soient plus traumatisés et
incapables de réagir que s'ils avaient été
"éduqués" avec la notion de la réalité
de la mort. Ma toute première fois, personnelle, a été
l'excellente idée d'une sorte de nounou collective, personne
d'âge chargée de surveiller un troupeau d'enfants,
à l'époque le jeudi et non le mercredi, et qui nous
a tout simplement menés auprès de son mari décédé
la veille, pour nous le présenter "après"
alors que nous le connaissions "avant" si j'ose ainsi
exprimer crûment mais non cruellement la réalité
pour les consciences.
Renforcer
la compétence:
A l'aide
de mots complètement ordinaires, la compétence consisterait
à savoir dire : "la première fois cela va faire
mal..." ou cela va provoquer telle réaction, ou éveiller
telle sensation. Quand un enfant doit recevoir des points de suture
pour la première fois (tout a progressé, certes, entre
les crèmes anesthésiantes et le matériel, mais
il peut persister des douleurs) ou devoir être piqué
par une aiguille, nombre de parents affirment "tu vas voir,
le docteur ne va rien te faire, juste un pansement" et le praticien
doit alors rectifier : "non, Guillaume, (ou Julien, ou Lucas,
etc) je vais utiliser une aiguille, tu vas sentir que cela pique,
tu verras que c'est très rapide, tu serres les dents, tu
es assez grand maintenant, et ensuite je te dirai à mesure
tout le reste..." Que l'expérience de la première
fois devienne compétence, et non mémoire et méfiance
mêlées d'une tromperie et du mensonge des adultes.
Combien de ces jeunes filles qui, la première fois, ignorent
encore de manière précise "par où cela
se passe, et si cela rentre ou non, et si en suçant on peut
tomber enceinte, et s'il n'est pas complètement complètement
entré ou sorti est-ce que c'est grave docteur ?" Tellement
de premières fois fondamentales, celle du tout premier rapport
sexuel, du tout premier aveu de l'amour, du premier argent gagné
par son travail, du premier enfant né au foyer, de la première
marque de confiance en vous, de la première trahison, de
la première vraie douleur, à vous de la situer physique
ou morale, du tout premier acte adulte de votre vie, tiens en voilà
un gigantesque effort de mémoire et de réalisme, non,
quel a pu être cet acte ? En sachant que la compétence
aussi, pour revenir sur un thème médical, consistera
à savoir faire surgir, simple exemple, dans une phobie avec
attaque de panique, la toute première fois, enfouie, oubliée,
rejetée, cette fameuse fois minimisée voire niée
par les parents où on avait oublié ou perdu, "oh
seulement trois minutes" la petite Zoé dans le Grand
Magasin immense, géant, incommensurable, et où elle
a pensé, certes trois minutes seulement, qu'elle n'avait
plus de Maman plus de Papa.... Mais voilà, maintenant elle
est, vingt ans plus tard, devenue claustrophobe, ou une autre forme.
Tout cela pour une première fois... Et la formule est valable
pour l'amour, la guerre, la mort, la peur, la douleur, la joie,
la naissance et tous les comportements. Ah non, ne dites pas que
c'est la première fois qu'on vous raconte des histoires pareilles
!
l'os
court :<<
La valeur du monde repose sur les extrêmes, sa solidité
sur les moyennes >> Paul Valéry
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Lettre
d'Expression médicale n°263
Hebdomadaire
francophone de santé
14 Octobre 2002
Médicaments inutiles
par
Dr François Michaut
Une fois de plus, lattention du grand public est attirée
sur lintérêt des médicaments prescrits
par les médecins. La préoccupation majeure des comptables
de lassurance maladie demeure le croissant déséquilibre
entre les ressources des cotisations et les dépenses liées
aux soins. Rien danormal là dedans. Les coûts
senvolent dans nos pays riches ? Vite, faisons des économies.
Pour cela épluchons ce qui pourrait être contenu. Et
au premier rang, les dépenses pharmaceutiques. Pas une minute
à perdre, la parole est donnée aux experts des écrans,
des courbes et des chiffres. Et là, étrangement, apparaît
une différence quasi ontologique entre les vrais
médicaments ( ceux qui soignent des vraies
maladies , du type hypertension, diabète, infections bactériennes,
de façon objectivement démontrée ) et ceux
quon nose pas nommer les faux médicaments.
Il est simplement question de produits de confort .
Juste pour les petites maladies, les bobos, quoi.
Retrouver
la confiance:
Or,
le malade, celui qui se sent atteint dune maladie ne demande
quune chose : retrouver au plus vite une meilleure santé.
En fait, peu lui importe vraiment que sa pathologie soit classée
médicalement par les experts vraie ou fausse,
grave ou bénigne. Il sadresse à un médecin
- ou un pharmacien- pour être soigné, pour guérir.
Dans notre culture actuelle, ce soin passe pratiquement toujours
par le biais dune prise médicamenteuse. Cette pilule
est le vecteur indispensable de la confiance que le patient a de
disposer des ressources de la science toute puissante pour franchir
ce mauvais pas. Ailleurs, ce serait un gri-gri. Au 18 ème
siècle, ceût été le baquet magnétique
de Messmer. Peu importe.
Restaurer la conscience:
Tout soignant, toute mère de famille, a pu constater
les effets quasi miraculeux de la pommade bien appliquée
ou du comprimé anodin judicieusement distribué. Les
médecins sont allés un peu plus loin avec létude
- en fait bien peu développée- de ce quils nomment
leffet placebo. Je plairai ont-ils ainsi nommé-
non sans humour- ce type de remède, dont les effets sur le
patient nont rien à voir avec ce que les pharmacologues
sont capables de démontrer à son propos. Bien sur,
des molécules neutres ou jugées peu actives sont dotées
de cet effet dune puissance extraordinaire comme celle de
lutter contres les douleurs rhumatologiques ou coronariennes, de
corriger un diabète ou de faire baisser les chiffres de la
pression artérielle. On dit souvent, en particulier dans
les hôpitaux : donner un placebo pour désigner
la tromperie dadministrer un faux médicament. Leffet
placebo nest pas, ne peut pas être, déclenché
par le choix délibéré du seul médecin
tout-puissant. Il naît, mystérieusement, de la relation
soignant-soigné, quand elle est réussie.
Renforcer
la compétence:
Il
faut donc absolument cesser de parler - souvent avec un mépris
qui renforce encore le pouvoir de lindustrie pharmaceutique
sur la pratique médicale - des produits placebo,
comme synonymes de produits jugés peu ou pas actifs. En un
mot, dont laction est uniquement liée à la suggestion
du patient. Pour une simple raison logique, à ma connaissance
bien peu évoquée. Toutes les molécules- y compris
les plus actives, les plus toxiques, les plus scientifiquement développées,
les plus spécifiques - sont forcément le vecteur dun
effet placebo.
Logiquement toujours, sil existe un effet placebo, il est
impossible quil ny ait pas un effet nocebo (
je nuirai). Telle chimiothérapie lourde anticancéreuse
sera supportée par beaucoup de patients prescrite par tel
cancérologue, et devra être abandonnée par tel
autre praticien devant le nombre et la gravité des intolérances.
Que les pouvoirs publics décident que tel ou tel produit
est ou non remboursé par lassurance maladie ne change
strictement rien à cette réalité qui gène
tant. Lhomme ne se réduit jamais à son aspect
conscient, linconscient est là , toujours à
agir caché, et à nous agir bien malgré nous,
que nous soyons patients ou que nous soyons soignants. Alors, renforcer
sa compétence à la fois de soigner, et de libérer
en soi ses forces dautoguérison, cest apprendre
peu à peu - et de mieux en mieux - à tenir le plus
grand compte, au delà des aspects strictement techniques,
que nous ne sommes jamais limités au fonctionnement de notre
seul hémisphère cérébral gauche. Cent
ans après la découverte de linconscient, les
défenses pour museler ce rebelle à toute organisation
logique, à toute mise en équation, à tout protocole,
à toute discipline demeurent presque partout aussi puissantes
quà lépoque de ses incroyables découvreurs
Janet et Freud.
l'os
court :
<<
On ne vit quune fois, et encore >> Marcel
Achard
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Lettre
d'Expression médicale n°264
Hebdomadaire
francophone de santé
21 Octobre 2002
La consultation, un miroir éclaté
par
Dr Jacques Blais
Cet instant relationnel privilégié qu'est une consultation
entre l'acteur "soignant" et l'acteur "souffrant"
qui s'efforcent de jouer au mieux chacun leur rôle, est d'une
complexité extrême. Et nous planchons depuis des années
sur ce sujet, tant ici dans nos échanges qu'en séances
de formation continue des professionnels, ou dans les facultés
en enseignement. Attardons-nous déjà sur les deux
"acteurs" désignés. Où ont-il appris,
d'où tirent-ils, dès l'origine, les rudiments de leurs
rôles ? Le patient a, enfant accompagnant ses parents autrefois
au cabinet du médecin de famille, entendu qu'il était
d'usage de débuter l'entretien en annonçant des symptômes,
des signes. Et selon qu'il ou elle aura eu des parents marqués
ou non par la maladie, qui relativisaient ou s'affolaient aussitôt,
à structure expansive et extériorisée, ou fermés
et inhibés, sa propre manière > d'amorcer une consultation
sera très différente. Naturellement sa culture, ses
origines, ses croyances, ses antécédents, voire même
sa morale, sa philosophie, sa religion, modifieront l'entrevue.
Il en ira résolument de même pour le praticien. Lui
ou elle aussi aura appris de maîtres et d'enseignants méthodiques
ou désordonnés, très interventionnistes ou
placides, organicistes ou psychologues, écoutants ou directifs,
prescripteurs systématiques ou attentistes et observateurs.
Et sa propre image d'un soignant, ses critères de choix de
ce métier, ses expériences de vie et d'apprentissages,
son caractère, son psychisme, ses convictions, les soucis
ou les succès de son existence, marqueront d'une manière
personnalisée sa méthode, son contact, son abord,
ses prescriptions, son autorité, sa claivoyance, son accueil,
son relationnel en permanence.
Retrouver
la confiance:
Il
est on ne peut plus instructif de lire des résultats d'études
auprès des usagers des soins. Pourquoi choisit-on tel praticien
plutôt que tel autre ? Qu'est-ce qui amène la confiance
? Les critères primordiaux n'ont rien de médical,
de scientifique. Il ou elle est agréable, ponctuel, parle
ou non, coûte cher en honoraires ou en prescription, écoute
ou va trop vite, est installé dans tel endroit plaisant ou
dans une cité menaçante, porte une blouse ou un costume,
ou des jeans et un polo... En tout premier lieu des éléments
de nature humaine, et c'est tant mieux. Ensuite le bouche à
oreille, la réputation, bizarrement on préférera
attendre longtemps chez untel, débordant de clientèle,
que passer vite et sur rendez-vous respectés chez son voisin
parfois plus diplômé, plus "scientifique"
plus rigoureux, mais.... mais moins relationnel. Naturellement seront
cités la fiabilité du diagnostic, les quantités
d'examens prescrits, les médicaments. Autrement dit, paradoxalement,
les plus subjectifs des critères supposés objectifs,
car sur quelle base un patient peut-il estimer un diagnostic, un
traitement, une méthode d'investigation ? Les praticiens
eux-mêmes en sont encore à balbutier la médecine
par les preuves, pour la plupart.
Restaurer la conscience:
Ce sont les incidences inconscientes de la relation médecin-patient
qui constitueront toute la différence. Le soignant et le
souffrant vont disposer d'éléments relatifs à
l'avoir. Ils possèdent en commun des pans de vie, ils échangent
un savoir modeste contre une confiance parfois immense, ils ont
partagé des douleurs, de l'affectivité, des opinions
allant du compliment aux reproches, des connaissances de secrets
protégés. D'autres éléments dépendent
de l'être, et entrent dans une complexité extrême.
Qu'est un médecin, pour le patient ? Père, soignant,
traitant, savant, écoutant, prescripteur, sauveteur, frère,
dépanneur, serviteur à disposition, représentant
respecté d'une profession différente des autres, ou
profiteur nanti s'enrichissant sur la misère ? Qui ? Et à
l'inverse qu'est le patient pour le soignant ? Un être en
détresse, à aimer, aider, accompagner, soigner ? Un
agresseur, demandeur, exigeant, qui ne veut qu'un service ? Un être
qui aimera son soignant, qui sera gratifiant, valorisant ? Un sujet
vulnérable, secret, blessé, meurtri par la vie, dont
il faudra avec patience et sans relâche chercher à
découvrir l'existence, décrypter le langage, déchiffrer
les signes mystérieux ? Qui ? Et bien évidemment restent
aussi, enfouies, les images d'un soignant pour l'inconscient du
soignant, ses modèles, ou ses repoussoirs, et celle d'un
souffrant pour le patient, un proche, un parent, quelques morts,
etc. La suite appartiendra à l'agir. Comment se comporte-t-on
en tant que patient ? Comment "fait-on" pour se montrer
médecin ? Parler, entendre, écouter, comprendre, accueillir
? Ou diriger, sanctionner, décider, traiter, prescrire ?
Devient-on malade grâce à des signes qu'il "faut
montrer", que faire pour intéresser, alerter, inquiéter
au besoin, affoler ? Devient-on médecin à l'aide d'indications,
de décisions, de menaces, ou au contraire en apportant la
paix, l'écoute et l'amour ? Il restera encore, dans cet inconscient,
à ressentir. Je me sens bien avec cette personne, je me sens
horriblement mal en ce moment, et il ou elle n'a pas l'air du tout
de réaliser. Je me sens fautif de demander ou d'avouer cela,
je me sens comme un enfant... Je sens bien que cette femme voudrait
que j'approuve sa manière d'être, alors que je la sens
fragile, qu'elle couvre son enfant au lieu de se montrer mère...
Je ne me sens médecin que si je suis utile, apprécié,
efficace... Je sens bien que cette famille voudrait faire de moi
un arbitre, un juge, un décideur, alors que je ne peux être
au mieux que témoin, et à l'écoute. Enfin toute
consultation est miroir de cette capacité à réfléchir.
Un mélange terrifiant de sensations, émotions, ou
une impression merveilleuse de comprendre. Pourquoi suis-je si mal,
si peu moi-même, face à ce couple ? Parce qu'ils me
"traitent" comme leur enfant, parce qu'ils me mettent
en échec, parce que le type ressemble à mon oncle,
parce que la femme porte le même parfum que celui de mon ex,
parce que je les ai vus, dans la salle d'attente, griller le tour
du pauvre africain humilié, et que je ne supporte pas, mais
je ne vais pas oser le dire. Pourquoi vais-je remarquablement m'en
sortir avec ce kurde, ce maghrébin, ce malien paumé
? Parce qu'ils attendent de moi de les aimer, d'entendre ce qu'ils
ne savent pas dire, je vais leur parler de leurs familles, de leur
village, ils vont sortir les photos des enfants, donner leurs prénoms,
c'est de cela qu'ils venaient parler en consultation, sans connaître
les mots, la méthode, en n'ayant que le corps pour s'exprimer.
Renforcer
la compétence:
Miroir
éclaté que celui où des facettes reproduisent
les modèles du patient et ceux du soignant. Miroir éclaté
parce que le soignant présente cent morceaux du puzzle qui
le constitue, et soit il en manquera perpétuellement quelques
uns, soit ils ne seront pas vus, pas identifiés, pas réunis.
Et la même mosaïque est totalement présente chez
le patient qui, connu, traité, accompagné pour son
cancer et son diabète, venait aujourd'hui pour son mal à
l'âme, son fils qui fume du shit, sa femme qui l'oublie, son
meilleur copain qui boit trop, son père qui mourra après
lui, sa fille dont il n'a plus de nouvelles depuis trois ans. Seulement
quand il est arrivé devant le docteur, celui-ci n'a su tirer
que les trois cartes habituelles du jeu, cancer, diabète,
arrêt de travail, alors que lui voulait présenter les
autres, l'existence. Deux cent mètres plus loin, l'inverse
s'est produit, une patiente a sorti trois petits échantillons
de sa vie, elle dort mal, elle digère difficilement, elle
se sent fatiguée. Réfugiée derrière
ses cheveux, engoncée dans son grand manteau, elle a attendu.
Et incroyablement, ce grand type maigre et froid, un peu moche et
mal habillé, ce médecin pas coiffé et lunetteux
qu'elle n'avait jamais vu, a semblé lire en elle tous les
morceaux du miroir, à mesure qu'elle se libérait,
dégageait son visage, ôtait son manteau et ses carapaces,
il a trouvé l'éclat terni d'une mère dépressive
et éteinte, le morceau rayé d'un ancien amant jamais
oublié malgré les rayures de la carte, un bout de
glace sans tain qui lui laissait voir son père dans un lit
avec une autre que sa mère, et puis deux petits diamants,
les yeux d'un enfant gai et doué, et.... et oui c'est bien
elle qui a complété en apportant une dernière
pièce, ce viol de sa soeur dont elle n'avait jamais pu parler,
même quand Solange s'était suicidée... Est-ce
une question de compétence ? Ce n'est pas le terme adapté,
car les compétences sont plurielles, comme les éclats
du miroir. Merveilleux chirurgien, ce praticien ne sait pas parler
avec les gens, il les préfère endormis sur la table.
Remarquable radiologue, cet autre a choisi les écrans, le
noir, "ne bougez pas, ne respirez plus". Admirable cardiologue,
l'écoute de ce spécialiste est technique, sthétoscopique,
dopplerisée. Excellent généraliste traitant,
Untel s'effraie d'entendre évoquer le psychisme, il en a
peur, quand son associé est, lui, un écoutant avant
tout, c'est lui que les patients vont trouver pour parler, par contre
le toucher vaginal ne lui plaît pas du tout. Excusez moi d'être
comme souvent très long, mais la consultation est un passionnant
sujet d'une complexité totale. Un miroir.
l'os
court :
<< C'est ça la vie ? oh ! . . . je rentre . . . >>
paroles d'un nouveau-né , Villiers de L'Isle-Adam
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