ARCHIVES DE LA LEM
n°323 à 328
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Lettre d'Expression médicale n°323

Hebdomadaire francophone de santé
8 décembre 2003

Psy quoi ?
Docteur François-Marie Michaut

Il fallait bien qu’un jour ou l’autre éclate au grand jour l’abcès déjà ancien des exercices marginaux de la psychothérapie au pays de Descartes. Depuis des années tout citoyen de notre beau pays peut visser sa plaque en se disant psychothérapeute, sans avoir à rendre compte à qui que ce soit de sa compétence professionnelle ni d’un quelconque diplôme. Il faut dire que l’exemple de la vénérable psychanalyse, avec les multiples écoles, pour ne pas dire chapelles, qui s’en réclament, a depuis longtemps ouvert la porte de pratiques n’offrant aucune garantie aux personnes qui se lancent dans une démarche analytique. Chacun peut en France se dire psychanalyste, avec ou sans doctorat en médecine, et recevoir à ce titre les gens qui leur font confiance.


Retrouver la confiance:
La mode de tout ce qui est “psy” a envahi tous nos médias. Le vieil esprit rationaliste pur et dur, ricanant ouvertement des discours filandreux se référant à ce qu’il traite volontiers de sodomisation de mouches est en recul. Le corps médical, lui-même, qui fut un bastion de cette attitude “ apsychognosique” a de plus en plus de mal à ignorer la dimension psychique de tous les aspects de la santé, y compris les plus organiques. Nos dirigeants sont les premiers à faire jusqu’au ridicule un appel hautement médiatisé à des cellules d’aide psychologique dès que survient le moindre drame collectif. La presse est chroniquement fascinée par les territoires mystérieux du fonctionnement humain dont traitent “ les psys”. De quoi vendre du sensationnel, du quasi miraculeux au kilo, et à longueur d’année. Comment le public, conditionné par tout ce déferlement ( pour ne pas parler des prétentions psychologisantes d’émissions de télévision très populaires ) n’aurait-il pas confiance en ces merveilleux psys ?


Restaurer la conscience
Et pourtant, la réalité est hélas parfois bien différente. Nous le savons fort bien à Exmed, il existe de remarquables professionnels, formés de façon très sérieuse, et obéissant à une déontologie particulièrement stricte. Ceux-là, les médecins les connaissent dans leur secteur d’exercice et apprécient à sa juste valeur l’aide qu’ils apportent aux malades. Mais il existe aussi des gens qui surfent la vague du psy pour de toutes autres raisons, infiniment moins avouables. Régulièrement, des amis d’Exmed comme Guy Rouquet (*) ou Mathieu Cossu (**) nous informent des détournements de la comète psychologique pour des entreprises sectaires ou charlatanesques. Ces informations doivent circuler largement. Et pas seulement dans le grand public. Les sphères médicales sont aussi largement impliquées dans de telles entreprises, comme d’autres aussi en vue comme celle de la justice , de l’éducation ou du droit. Les sectes règnent partout et cherchent à étendre leur influence ... et leurs profits, en utilisant toutes les méthodes de l’entrisme. Difficile pour le public de savoir où il met les pieds. Qu’il y ait un docteur , ou un psychiatre, dans une proposition de soin ou, de développement personnel n’est en aucune façon une garantie.


Renforcer la compétence:
Le fait de mettre en avant de cette façon la question des psychothérapies occulte une nécessité un peu trop oubliée. Il ne peut exister aucun traitement ( ou thérapie) de n’importe quelle affection sans que soit établi un diagnostic aussi rigoureux que possible. La connaissance approfondie de la psychopathologie est indispensable pour comprendre comment fonctionne sur le plan des traits de personnalité le patient qui demande une aide, et quelle est la pathologie dont il souffre. Bien que cela agace parfois beaucoup le corps médical, il faut rappeler que les professionnels les plus aptes à effectuer ce travail d’investigation sont les psychologues cliniciens avec leur cinq années d’études universitaires spécialisées. Et que les mêmes psychologues travaillent la plupart du temps au moyen d’entretiens cliniques adaptés à chaque situation, et non en suivant le cadre étroit de telle ou telle forme de psychothérapie bien codifiée. Ces psychologues qui sont des praticiens des entretiens cliniques et des tests psychométriques approfondis ne sont pas des auxiliaires médicaux, ils exercent en toute indépendance, et en toute responsabilité, par rapport aux praticiens. Et sans remboursement de l’assurance maladie. Que des gens se disent, parfois avec la bénédiction tacite de l’Ordre des Médecins, des psychothérapeutes, alors qu’ils ne disposent pas de cette capacité de diagnostic constitue un danger grave pour les patients qui leur font confiance. On comprend facilement qu’un médecin qui n’aurait jamais appris la moindre technique opératoire serait un danger absolu s’il se lançait dans une appendicectomie. Il n’en est pas autrement dans le domaine “psy”. La question va encore devenir de plus en plus épineuse avec la désaffection en cours du corps médical pour l’exercice de la psychiatrie. Il faudra bien parvenir à clarifier, bien au delà des textes législatifs qui ne sont que l’écume superficielle des choses, la question du qui fait quoi, pourquoi, comment et ... avec quels résultats. Les raidissements corporatistes et les groupes de pression occultes n‘y changeront rien. Ce grand dossier de la métamédecine continuera à évoluer.
(*) Guy Rouquet est le responsable du site “ Psychothérapie Vigilance” http://www.psyvig.com
(**) Mathieu Cossu est le responsable du site “ Pour ne pas se laisser piéger par les sectes”
http://prevensectes.c

l'os court :    «Les pensées élevées se situent au coeur de la courtoisie .»  G.B. Shaw


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Lettre d'Expression médicale n°324

Hebdomadaire francophone de santé
15 décembre 2003

Halte aux nouveaux charlatans
Eric Besson (ingénieur d'affaires en informatique)

La médecine allopathique est de plus en plus menacée par des médecines dites alternatives, comme la médecine “énergétique” et plus récemment par la kinésiologie qui s’en inspire. Ce retour au taoïsme nous vient de chiropracteurs américains qui l’ont repris à leur compte, dans les années 60. Foin des méthodes scientifiques qui exigent beaucoup de travail, de rigueur et de persévérance... Ouverture à l’imagination et aux foutaises qui font illusion et nous laissent croire n’importe quoi.


Retrouver la confiance:
Plus besoin d’analyser, de disséquer, de mesurer, et de contrôler les résultats. Ces chiropracteurs avaient notamment la prétention de ne plus se limiter à remettre des vertèbres en place. Partant du principe, que toutes les maladies seraient d’ordre psychosomatique, ils inventèrent le concept du corps énergétique avec ses méridiens, pour identifier toutes nos névroses et les éliminer par un simple “test musculaire”. Quelques séances suffisent pour faire disparaître tous vos traumatismes, surtout ceux que vous avez oubliés et qui sont enregistrés dans vos ” mémoires cellulaires”. Comme avec un ordinateur, il suffit de les déprogrammer par de bonnes prises de conscience. De surcroît, comme ce corps énergétique repose sur des centres énergétiques, appelés “chacras”, il suffit de savoir les ouvrir pour mieux faire circuler les énergies dans notre corps et se prémunir ainsi de toutes les maladies, même les plus graves ; c’est le “Touch for Health”. En outre, même notre intelligence va pouvoir se développer plus vite par la suppression de tous nos stress, et par la découverte du Dr Denison de la rééquilibration entre notre cerveau droit et notre cerveau gauche par de simples mouvements croisés ; c’est le “Brain Gym”. Enfin, pour mieux faciliter nos connections neuronales, rien ne vaut un bon verre d’eau car comme chacun le sait l’eau conduit l’électricité, donc celle qui circule dans notre corps. Il ne faut pas seulement retrouver la confiance, mais l’utiliser pour rester sérieux et dénoncer cette “patamédecine”, comme l’a déjà fait le Dr Jean-Marie Abgrall dans son livre intitulé “Les charlatans de la santé”.


Restaurer la conscience
“Science sans conscience n’est que ruine de l’âme”... Aujourd’hui, avec cette kinésiologie qui repose sur n’importe quoi et s’adresse à n’importe qui, il est important que la médecine réagisse et se défende de toute collusion même si certains médecins en sont devenus ses apôtres. Rien n’est plus facile, que de profiter des faiblesses et des limites de notre médecine pour s’attaquer aux maladies les plus graves comme le cancer et proposer des remèdes miracles comme le font les kinésiologues. Plutôt que de prescrire des médicaments promus par de grands laboratoires qui s’enrichiraient aux dépens des patients, ces médecins énergétiques ou kinésiologues prétendent nous donner les moyens de nous soigner par nous-mêmes avec des fleurs de Bach, des élixirs minéraux, etc.. Toute une pharmacopée dite “douce” qui peut être extrêmement dangereuse. Pour aller plus loin, certains médecins comme le Dr Hamer sont allés jusqu’à créer une “école de décodage biologique” ou se lancent dans l’étude de nos constellations familiales pour avoir des explications sur tout... Toutes les maladies ont une cause qu’il suffit de savoir chercher en nous. Par conséquent, si l’on est atteint d’un cancer, il suffit de s’interroger sur notre vie, nos relations avec les autres, voire nos vies antérieures pour nous en délivrer. Quelle conscience peut-on avoir pour se lancer dans de telles inepties, et nous convaincre d’arrêter tout traitement médical ?


Renforcer la compétence:
Se mobiliser pour faire barrage à cette kinésiologie par l’information et la compétence, voire la fermeté en sanctionnant tous ces nouveaux charlatans pour exercice illégal de la médecine. Ne pas suivre aveuglément nos voisins européens qui pourraient se laisser tenter par la facilité de la reconnaître comme une technique moderne, au même titre que la chiropractie, la sophrologie, etc.. Comme le Dr Bernard Accoyer qui est en train de faire voter une loi pour faire encadrer et contrôler les psychothérapeutes, c’est à vous que revient le devoir de dénoncer la kinésiologie et plus généralement la médecine “énergétique”. Il vous suffit de démontrer que le concept de base, le fameux corps énergétique, n’est pas sérieux pour faire s’effondrer tout son édifice. Toute médecine doit être scientifique pour rester sérieuse et permettre de nous soigner en faisant reculer les limites de notre vie. C’est grâce à cela que la médecine a progressé de façon spectaculaire durant ces dernières années, au point d’avoir presque éradiqué la mortalité infantile, et d’avoir fait augmenter notre espérance de vie d’un trimestre tous les ans... Même les Chinois sont bien contents de se mettre à la médecine allopathique et Mao, lui-même, avait dû se résigner à notre médecine pour essayer de soigner sa maladie de Parkinson. Alors, médecins du XXI siècle, unissez-vous et continuez à faire progresser votre médecine pour améliorer notre santé, sans honte, ni vanité. Vous vous devez de mieux nous informer des dangers de ces nouveaux charlatans qui ne sont bons qu’à faire de fausses promesses face à la fragilité psychologique ou morale de ces gens malades que l’on appelle des “patients”, mais qui ne doivent pas simplement prendre leur mal en patience.


l'os court :  « Attention : les ratés ne vous rateront pas. »  Georges Bernanos


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Lettre d'Expression médicale n°325

Hebdomadaire francophone de santé
22 décembre 2003

Vous avez dit : expertise ?
Docteur Iulius Rosner (Expert pharmacologue-toxicologue)

Le citoyen qui a poignardé Bertrand Delanoë (*) est déclaré (**) irresponsable, puis responsable, enfin irresponsable au gré des experts et des appels.



Retrouver la confiance:
Je ne nie pas la compétence des experts psychiatriques, mais un doute s’incruste dans mon esprit : la psychiatrie est-elle une science ? La médecine reste-t-elle encore, un siècle après avoir été définie par Osler, “ l’art des incertitudes et la science des probabilités “ ? La psychiatrie n’est-elle pas le terrain glissant sur lequel fleurissent les incertitudes, mais demeure infertile à l’enracinement des probabilités ?


Restaurer la conscience
La tentative ou l’assassinat réussi posent le problème de la responsabilité de son auteur. Le juge, en cas de doute, recourt à un expert. Les avis des experts sont souvent contradictoires ( voire l’existence de la contre-expertise ). Pourquoi alors se fonder sur leur science discutable ?
On peut opiner que dans notre société l’homicide n’est jamais un acte normal. Corollaire : tout assassin est irresponsable et doit être interné à vie pour empêcher la récidive. Aussi peut-on soutenir que tout meurtre engage la responsabilité du meurtrier ( si on tue sous l’influence de l’alcool ou d’un autre produit toxicomanogène, ce n’est pas le poison qui tue, mais son utilisateur). Corollaire : il doit toujours être puni.


Renforcer la compétence:
Des positions si réductrices, si extrémistes ne sont-elles pas, en fait, autre chose qu’un “ y-a-qu’à” ? Ne doit-on pas tenir compte des circonstances du drame ? N’y-a-t-il pas entre le blanc et le noir des infinies nuances de gris ? Mais pourquoi le psychiatre serait-il plus apte à décider si un individu doit ou pas être jugé, mieux qu’un non-psychiatre, en l’occurence le juge ? Je n’ai pas de réponse certaine, mais une longue expérience m’inciterait à croire plutôt un sage ( où le trouver ? ) qu’un psychiatre.
La question de la responsabilité du justiciable au moment du passage à l’acte parait être une fuite du magistrat devant sa propre conscience. Dans l’immense majorité des cas, l’expertise spécialisée est probablement inutile et parfois dangereuse. Les choses étant ce qu’elles sont, lors de la prise en compte de l’expertise psychiatrique, le juge doit se rappeler la boutade ; “ l’expert fait autant d’erreurs que les autres, mais avec beaucoup plus d’autorité”.

(*) Monsieur Delanoë est l’actuel maire de Paris qui, pour les Internautes peu familiers de l’actualité française, a subi il y a quelques années une agression à l’arme blanche au cours d’une réception officielle - NDLR.
(**) par les autorités judiciaires - NDLR.


l'os court :  « Expert : Un homme qui en sait de plus en plus sur de moins en moins de choses. »  Jules Jouy


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Lettre d'Expression médicale n°326

Hebdomadaire francophone de santé
29 décembre 2003

Rivalité morale et harcèlement mimétique
Docteur François-Marie Michaut

Curieux mélange que celui des deux notions de harcèlement moral et de rivalité mimétique. La majorité des Internautes qui visitent Exmed en utilisant un moteur de recherche sont à la recherche de documents et d’aide sur le harcèlement moral (HM). La phase de découverte de ce type si fréquent de rapport destructeur à l’autre - dans la vie privée comme dans le travail - est maintenant achevée. La période de sujet à la mode doit maintenant céder la place au temps de la réflexion pour, si c’est possible, en comprendre mieux les mécanismes.


Retrouver la confiance:
Les travaux sur le HM accessibles à tous ont été principalement des descriptions cliniques. Certes indispensables pour établir un diagnostic, elles laissent cependant dans l’ombre une question majeure. Par quel type de mécanisme peut se mettre en place ce mode si fréquent, et si destructeur, de relation interpersonnelle ? La réponse la plus habituelle est de faire référence à l’étiquette de personnalité narcissique perverse. Là encore, c’est d’une description clinique d’un certain mode de fonctionnement psychologique dont il s’agit. Quelque chose comme la vertu dormitive de l’opium de notre Maître Molière.

Restaurer la conscience
Sortons du cadre habituel du champ médico-psychologique pour tenter de proposer une lecture un peu plus complexe du HM . Empruntons pour cela à René Girard sa vision des relations entre les hommes, forgée par l’étude de la littérature, des textes sacrés, des rites et des mythes. Le moteur fondamental ( et même formateur) de l’humain serait la rivalité mimétique. Pour résumer à l’extrême (*) nous nous construisons en nous imitant les uns les autres, et surtout en faisant notre le désir de l’autre pris comme modèle, qui devient ainsi notre rival qu’il faut dépasser. Le disciple cherche à devenir le maître. Là où le HM présente une caractéristique fondamentale, c’est la perversion de ce système mimétique si habituel du fonctionnement humain. Le harceleur est persuadé, en bon narcissique qu’il est le seul ( ailleurs on dirait égoïste), le meilleur, le plus intelligent et le plus fort de tous. Quand il rencontre sur sa route une autre personne qui présente un risque de mettre en cause sa supériorité, il se met en chasse d’armes pour la neutraliser en le détruisant. Comme, en bon “moi-moi-moi”, il est totalement dépourvu de toute sensibilité aux autres, de toute empathie, de tout souci altruiste, il considère que toutes ces façons d’être ne sont pas du tout des qualités comme on le dit en général. Elles sont bien au contraire à ses yeux des faiblesses, et c’est là où la dénomination de pervers prend tout son sens. Utiliser volontairement et systématiquement tout ce qu’on regroupe actuellement dans la notion d’intelligence émotionnelle comme autant de points faibles à mettre en morceaux pour conserver et renforcer sa supériorité, voila comment le harceleur pervertit la rivalité mimétique. Curieusement d’ailleurs, et ceci apporte de l’eau à notre moulin, le harceleur utilise avec une grande fréquence l’imitation grotesque de sa cible dans ses moyens favoris de destruction psychologique. Il montre ainsi qu’il pervertit volontairement et pour détruire l’imitation elle-même.


Renforcer la compétence:
Quand l’autre, la cible ou la victime du HM joue comme une personne “normale” le jeu mimétique dans son couple ou dans son travail avec son harceleur, elle imagine facilement que les seules choses qui puissent lui être enviées sont ses qualités, et avant tout sa sensibilité, son désir d’ouverture et de service aux autres. Le harceleur ne veut acquérir aucun de ces désirs-là, qui ne sont pour lui que des points faibles, répétons-le, dont il faut profiter pour dominer de façon définitive. Funeste erreur, qui conduit à ce sentiment si fréquent d’incompréhension. Et comment pouvoir parler librement aux autres de ce qu’on est dans l’incapacité de comprendre soi-même ? Si l’on ne peut pas parler de ce qui vous arrive, y compris aux soignants, comment peut-on se sortir d’une situation aussi perverse ? Quelle autre solution alors que le repli sur soi-même, la culpabilisation, la maladie ou la dépression ?
Alors apprendre à mieux repérer les gens qui trichent ainsi en pervertissant les relations humaines devient une nécessité pour tenter de prévenir les terribles dégâts du HM. Si les jeunes pouvaient un jour mieux repérer le mode de fonctionnement de leurs partenaires avant de s’engager avec eux, un grand pas serait franchi pour éviter des désastres personnels. Si les responsables des entreprises pouvaient ne plus être choisis préférentiellement ( que ce soit volontairement ou non) dans les rangs des plus pervers dans les relations humaines, si habiles à s’imposer partout au premier rang, la vie au travail cesserait d’être le calvaire dangereux et hautement pathogène qu’il est pour infiniment trop d’êtres humains à travers le monde, sous le couvert fallacieux du sacro-saint rendement économique. “ Noble but et vaste programme” aurait dit le Général de Gaulle, en parlant d’un tout autre sujet.
Cette LEM 326, incontestablement ambitieuse dans son objet, a l’honneur de clôturer notre série de lettres hebdomadaires de l’année 2003. Que tous nos rédacteurs, archiveur et lecteurs réguliers ou occasionnels soient remerciés de leur soutien fidèle.

(*) Pour en savoir plus sur René Girard et sa théorie, consulter notre page http://www.exmed.org/pages/dqs4.html .

l'os court :  « Le véritable égoïste est celui qui ne pense qu’à lui quand il parle d’un autre » Pierre Dac


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Lettre d'Expression médicale n°327

Hebdomadaire francophone de santé
5 janvier 2004

Délivrez-nous du mal
Docteur Jacques Blais

C'est une réflexion qui vient insidieusement, lentement, mais avec obstination, sournoisement aussi, dans une bonne mesure, et dont on s'aperçoit qu'elle est devenue peu à peu une sorte de nouvelle manière de penser, de raisonner, et par contrecoup de résonner, dans les échos médiatiques, audiovisuels, comme une litanie.
Litanie, précisément, comme autrefois ces invocations, qui pourraient nous mener sur une piste, aurait-on au fil des décennies changé de cible pour les prières, les oraisons, les attentes célestes, les récitatifs ? Gouvernants, sauvez-nous, apportez-nous le salut, le pain, la paix, et délivrez-nous du mal.

Retrouver la confiance:
Les siècles écoulés, et même le dernier, avaient coutume de réfugier leur confiance, celle des êtres vivants, dans les apprentissages ancestraux, culturels, aboutissant à la pratique de croyances, de rituels. Dont bon nombre demeurent encore terriblement vivaces, aigus, tenaces, servant à la fois de paratonnerres, de parapluie, de protection, selon un thème très habituel qui affirmerait que, dans la détresse, la guerre, les catastrophes, les épidémies, à qui se fier et se confier sinon au ciel ?
La différence progressive, la mutation sans doute plutôt, semblerait provenir d'un changement de destinataire pour ces courriers du ciel, ces incantations, ces demandes et ces exigences. Donnez-nous notre pain quotidien, délivrez-nous du mal... pour ne citer que deux phrases empruntées au Christianisme, résonnent curieusement à l'identique dans nos oreilles médiatiques pendant nos jours quelque peu bousculés.

Restaurer la conscience
Car si nous prenons conscience des phénomènes de ces dernières années, réfléchissons ensemble sur la manière dont se déroulent les évènements. La population vieillit, grâce au progrès médical, à la prévention, ce phénomène s'accentue ou s'aggrave de ce que, pour des raisons économiques, nos jeunes ne procréent plus guère, ou en tout cas après mure réflexion, de grands délais d'attente et d'expectative. Le partage intergénérationnel devient délicat, celui du travail également, ne parlons même pas de celui des richesses Nord-Sud, ou "monde complet contre tiers et quart monde".
Donnez-nous notre pain quotidien. Les gouvernements reçoivent d'abord des prières, prenez nous en charge, donnez nous de quoi manger, de quoi survivre, des allocations, des prestations, des rattrapages anti-misère, anti-chômage, assurez nos retraites en dépit de toutes les difficultés, remplissez nos caisses d'assurance maladie, chômage, retraite, précarité, puis ces prières deviennent vite des suppliques, puis des ordres, enfin des revendications exprimées avec véhémence, fougue, violence et refus absolu de tout compromis, de toute explication.
Tout le reste vous sera donné par surcroît. Encore une phrase biblique. Qui résonne cette fois comme publique. La transposition est parfois édifiante. La proportion seniors-juniors, pour ne pas dire vieux-jeunes devient telle que, ajoutée au chômage et aux difficultés matérielles, financières, boursières, économiques, l'idée d'une retraite préservée devient précaire. Gouvernants, vous êtes priés, sollicités, sommés, de nous délivrer du mal. Donnez-nous notre pain quotidien.
Les forêts brûlent, les orages et les tempêtes éclatent et dévastent, les cyclones et ouragans massacrent, les inondations ravagent, gouvernants vous êtes priés de nous délivrer du mal, agissez, incantez, faites des miracles, montrez votre toute puissance et votre savoir. Le SRAS débarque, des menaces de toutes sortes se font jour, Délivrez-nous du mal.

Renforcer la compétence:
Si l'on écoute les prières, les incantations, les malédictions prophétiques, il serait de la compétence des gouvernants désormais de prévoir, d'empêcher, de guérir, de parer à tout, de protéger, de nourrir, de délivrer du mal, et même, oui même semblerait-il de pardonner comme nous pardonnons....
Il fait trop chaud, les anciens fragilisés meurent, leurs organismes usés ne résistent pas, pourquoi les gouvernants n'ont-ils pas entendu les appels de détresse ignorés des proches, des voisins, des services ? Pourquoi les instances autoritaires et sanitaires n'ont-elles pas donné ces 10000 coups de fil qui, comme des prières, auraient sauvé les habitants ? Incompétence ?
Le siège de l'ONU à Bagdad est massacré par un attentat. Pourquoi les autorités n'ont-elles pas devancé, écouté les avis, pris des mesures, comme des dieux omnipotents capables d'éviter les guerres, les terrorismes, les conflits, les bombes, les ruptures de tous les accords (ou celles des caténaires...) , les kamikazes, les fanatismes ? Pardonner aux tueurs paraît quasiment plus facile, plus simple, que de pardonner aux responsables politiques, gouvernementaux. Où sont les nouveaux dieux ?
Tout ceci ne veut être qu'une réflexion sur les échelles, les demandes, les prières, les croyances, les hiérarchies du monde dit moderne. Les peuples attendraient-ils désormais des gouvernants, ministères, responsables, et autorités qu'ils répondent à leurs prières et injonctions comme autrefois les dieux ? La compétence serait-elle alors non plus de gouverner, de prévoir certes, mais de deviner, de délivrer du mal, d'éteindre les incendies au propre et au figuré,  d'apporter le pain quotidien à des populations simplement en attente, en espérance, en exigence ? Cela signifierait-il, au pire, que là où l'on aurait brûlé un cierge on ferait maintenant sauter un édifice, "cramer" des voitures, et au mieux que là où l'on aurait tracé un ex-voto, un bulletin de vote remplacerait pour un même espoir de résultat ? Changer de Ministre, comme autrefois on passait d'un Saint à l'autre, si Antoine ne marche pas, essayez donc Christophe, ou changer de couleur politique, comme pour chercher le blanc qui lave plus blanc, le gouvernement qui résiste à la chaleur, à la rouille, au gel, au vent, au mazout, à la foudre, et aux virus ?
Et la deuxième piste de réflexion aboutit à imaginer que, si tant et tant de gouvernants, de dictateurs, de politiques, préfèrent donner comme règles et préceptes ceux des religions plutôt que ceux de l'humanisme, de l'amour, de l'ouverture, de l'attention et de l'écoute aux autres, de la solidarité, (et n'est-il pas complètement paradoxal d'établir ce constat de contradiction ?), c'est probablement bien parce qu'il est plus facile, plus crédible, d'annoncer "faites cela pour dieu" quelle qu'en soit la "marque", le type, ou la couleur, pardonnez ces termes iconoclastes, plutôt que d'agir en hommes responsables.
Quand parviendra-t-on à passer de "délivrez-nous du mal", "donnez-nous notre pain quotidien" à une compétence qui soit "prenez votre destin en mains", "devenez responsables", "n'attendez pas de vos gouvernants ce que vous êtes incapables de donner vous-mêmes", "ne comptez ni sur la prière, ni sur les incantations, ni sur les injonctions, mais bien sur vous, sur vos mains, vos esprits, vos volontés, vos envies de vivre et d'exister, votre souci de l'autre, vos qualités d'êtres et d'humains, pour que le monde bouge".
Non, non surtout pas, je ne finis pas par "amen".

l'os court :  « Ce que les hommes vous pardonnent le moins, c’est le mal qu’ils ont dit de vous. » André Maurois


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Lettre d'Expression médicale n°328

Hebdomadaire francophone de santé
12 janvier 2004

Et pourtant la fumée était bleue
Odette Taltavull

Au 1er janvier 2004, un fumeur sur deux a « décidé » d’arrêter de fumer. Imaginons le fumeur écrasant sa présumée-dernière cigarette. Est-il possible de croire qu’il fait toujours là un choix intime et réfléchi ? Est-il sérieux de penser qu'il a pris conscience subitement des dégâts que fait le tabagisme sur sa santé ? Infos, clips, films, documentaires médicaux, articles de journaux, livres, rien ne lui est épargné jusque dans les détails les plus sordides. Le message est clair : fumer tue !
Pourtant, durant des décennies, les mêmes moyens médiatiques ont été employés pour manipuler nos cerveaux dans le sens inverse.

Retrouver la confiance:
Dans les années 60 on nous suggérait que fumer donnait du plaisir et de la confiance en soi. Ainsi fumer était synonyme de virilité et de puissance pour les hommes, de sensualité et de libération pour les femmes. Sur les plateaux de télévision, fumer n’était pas interdit, et dans les lieux publics fumeurs et non-fumeurs se côtoyaient sans problèmes. A grand renfort de publicité, on nous faisait penser « je fume donc je suis ». Certains médecins fumaient pendant les consultations et dans les couloirs d’hôpitaux , il n’y a pas si longtemps encore , moins d’une dizaine d’années...
On disait rarement que la cigarette était une drogue, un poison violent, et qu'elle tuait à petit feu. Et au fil des ans les marchands de tabac ont ajouté de plus en plus de produits toxiques pour favoriser la dépendance et vendre donc davantage.
Alors avec ce revirement soudain, comment ne pas penser que, dans un sens ou dans l’autre, la manipulation a toujours pour objectif de rapporter de l’argent ? Parce que cette masse terrifiante de gens qui se ruent sur les patchs et les gommes à la nicotine, et sur les thérapies diverses, rapporte également très gros , mais à d’autres ! Rien n’est clair. Tout ce déploiement a-t-il réellement pour objectif de préserver la santé des citoyens et de faire faire des économies à la Sécurité sociale ?

Restaurer la conscience
Une loi ne suffit pas à rendre un fumeur non-fumeur le reste de son existence.
Pour cesser de fumer il faut en avoir envie et non pas y être contraint par une interdiction pure et simple. L’histoire nous montre qu'un tel système disons : dictatorial (le mot est trop fort ?) n’a jamais développé ni la réflexion, ni la responsabilité, ni la volonté chez l’être humain. Bien au contraire, il le rend à la fois dépendant et rebelle, le pousse à tricher, à calculer, à dissimuler.
Nul ne songe à nier que pour les gros fumeurs, la cigarette est un anxiolytique, une béquille, et pire, un moyen de fonctionner. Ceux qui en ont les moyens se paieront un séjour de désintoxication et de remise en forme, la plupart essaieront les substituts nicotiniques, et les courageux feront appel à leur seule volonté. Mais si le prix du tabac n’avait pas augmenté, auraient-ils réellement eu le désir de guérir de cette dépendance ?
Dans une telle action de Santé Publique, n’aurait-il pas été plus judicieux de se demander avant tout pourquoi autant de gens fument et ce que représente pour eux cette addiction ?
Car ne rêvons pas : les fumeurs qui désirent le rester trouveront toujours le moyen de se procurer leur tabac et les trafics vont aller bon train ! A chaque fois qu'un produit est interdit, un marché parallèle désastreux se développe et entretient les milieux mafieux.
La seule chose qui va changer pour le fumeur est sa façon de fumer. Il assouvira son besoin en cachette, culpabilisé, et se verra de plus en plus rejeté d’une vie sociale intéressante et enrichissante où fumer sera strictement interdit. Comme fumer coûtera très cher, paradoxalement ce sont les pauvres et les surendettés qui en pâtiront. Car le tabagisme les aide. Fumer calme leurs angoisses, leur permet de supporter le chômage, la précarité, la solitude. L’écran de fumée masque la détresse et gomme le stress. Qu’a-t-on prévu pour soigner ces douleurs-là ?

Renforcer la compétence:
Les médecins seront d’accord pour confirmer que s’extirper d’une addiction à une drogue est complexe, douloureux, et difficile. Pour reprendre un terme cher à Exmed, l’approche devrait être « systémique ». A lire sur Internet la multitude de forums d’aide au sevrage tabagique, à voir les consultations spécialisées prises d’assaut et les thérapies en tous genres fleurir, il est évident que la souffrance est là. Elle est immense, à la fois individuelle et collective, installée ou récurrente, et elle est le reflet d’un véritable malaise existentiel pour une grande partie de la population. La fumée bleue magique des années 60 a pris le terrifiant visage du cancer.
Que proposer à ceux qui malgré tout tenteront le sevrage tabagique ? Deviendront-ils grands consommateurs d’anxiolytiques, d’antidépresseurs, de somnifères, de patchs et de gommes durant des années, au grand bonheur de l’industrie pharmaceutique ? Se tourneront-ils vers des thérapies flirtant avec les sectes aux conséquences désastreuses dont nous parlons souvent sur ce forum ?
Il existera peut-être moins de cancers, mais n’y aura-t-il pas davantage de dépressions, d’états suicidaires, de maladies psychiatriques jusque là masquées par le tabagisme ? N’assisterons-nous pas à une recrudescence de pathologies liées à une autre addiction autorisée mais moins onéreuse telle que l’alcool ? Le tabagisme n’a jamais été incompatible avec une vie sociale, alors que l’alcool l’est rapidement. Alors pourquoi interdire le tabac tout de go, et pas l’alcool ?
S’il s’agit réellement de rendre la santé à une population, de prévenir les risques de cancers, il serait logique de rendre accessibles à tous les moyens d’y parvenir (en particulier de rendre les salles de sports, ou les gymnases et les piscines, abordables pour tous les budgets !). Cela impliquerait également un accompagnement durant le sevrage, par des personnels médicaux formés à ce suivi. Pourquoi tout cela n’a-t-il pas été prévu ?
A présent on nous explique que fumer n’apporte ni plaisir, ni confiance en soi. Pourtant, durant 50 ans, c’est bien à cette illusion que l’on nous a fait croire ? Et on l’a crue ! Le plus inquiétant n’est-il donc pas que l’homme puisse se laisser ainsi suggestionner, selon l’époque à laquelle il naît, au point de ne pas savoir le mal qu'on lui fait ? Chez les enfants et les jeunes, c’est l’esprit critique et le sens de la responsabilité qu'il est urgent de développer, au lieu de leur assener des interdictions à coups de peurs.

l'os court :  « Quand il lut quelque part que fumer pouvait occasionner le cancer, il arrêta de lire. » A Kirwan