ARCHIVES DE LA LEM
N°379 à 383
retour sommaire                                       La santé est notre affaire à tous
Consulter un autre numéro de la LEM 

Lettre d'Expression médicale n°379

Hebdomadaire francophone de santé
3 janvier 2005

Mention très remarquable
Docteur François-Marie Michaut


La coutume voudrait que nous fissions au cours de cette ultime lettre hebdomadaire de l’année qui vient de finir un bilan de ce qui se passa dans notre monde de la santé. D’autres se sont chargés de cet exercice, avec bien plus de compétence et de documentation qu’Exmed. Bien sûr, le temps est venu de remercier tous nos collaborateurs, dont vous avez pu lire les noms avec chaque coup d’oeil quotidien et chaque LEM du lundi. Grâce à leurs apports bénévoles de grande valeur, grâce à ceux qui ont oeuvré dans la discrétion, comme notre infatigable webmécanicienne, ceux qui ont débattu dans nos deux listes de discussion, ou nous ont simplement lu, Expression Médicale a vécu et même bien vécu. A tous, un grand merci, et le souhait de continuer à creuser notre sillon qui n’a jamais dévié depuis 1997, quelles que soient les circonstances. Une partie de l’Internet convivial du rêve initial des pionniers du grand village mondial virtuel n’a pas succombé aux sirènes du mercantilisme envahissant. Nous en sommes la preuve vivante, aussi isolés que nous soyons.

Retrouver la confiance:
Puisque nous nous interrogeons ici en permanence sur la santé même de notre santé, nous avons envie de donner un coup de chapeau à ce qui nous semble la plus importante interrogation en matière de métamédecine. Cette distinction revient à une équipe de cancérologues australiens ( Journal International de Médecine ) qui se sont posé une question en apparence curieuse, sinon iconoclaste, dans le contexte de propagande qui entoure les pathologies cancéreuses. Nos confrères se sont demandés si les traitements chimothérapiques des cancers, de plus en plus lourds et onéreux, amélioraient le sort des malades. Pour cela, ils ont étudié le taux de survie à 5 ans des patients, que ceux-ci subissent ou non des cures de chimiothérapie. On entend par chimiothérapie l’usage de sustances dites antimitotiques, c’est à dire freinant la multiplication des cellules. Les cellules cancéreuses étant celles qui se multiplient le plus vite sont les plus freinées par ces molécules. Les autres cellules, et particulièrement les cellules souches normales des éléments du sang ne sont pas à l’abri de ces substances. Rappel élémentaire uniquement destiné à nos lecteurs peu versés en matière médicale, cela va de soi.

Restaurer la conscience
Au bout de cinq ans, la survie des patients cancéreux adultes - la précision est importante- s’établit à 60%. Et, si l’on met de côté deux types bien particuliers d’affection : les cancers du testicule et les lymphomes hodgkiniens et non hodgkiniens, le calcul du gain en matière de temps de survie est des plus impressionnant. Sans chimiothérapie curative et adjuvante ( d’un autre traitement comme chirurgie, radiothérapie, hormonothérapie ...) la perte de vie serait de l’ordre de 2 à 3 %. Notons bien que ce travail ne comporte aucune évaluation de la qualité de vie, tant physique que psychologique, des deux groupes de patients. Et, tous ceux qui ont été amenés à suivre de près des humains soumis à de tels traitements, notamment les généralistes et infirmiers, savent à quel point le prix à payer est lourd pour eux.

Renforcer la compétence:
Car, si la tentation est grande de sortir sa calculatrice pour se demander si l’on doit remettre en cause l’imposant et ruineux système de protocoles standards imposé jusqu’à ce jour par toutes les instances cancérologiques, un autre point de vue doit prévaloir à nos yeux. Que la médecine se trompe n’est hélas que parfaitement inévitable. Qui penserait actuellement à utiliser larga manu clystères et saignées ? Qui oserait, alors que c’était la règle jusqu’en 1945, soigner des syphilis aux sels de mercure si toxiques, qui encore - comme l’auteur l’apprit au début des années 60 à la faculté de médecine de Paris - continuerait d’administrer aux tuberculeux un traitement associant la streptomycine ( si ototoxique), l’acide para-amino salicylique et ... la péniciline. Se tromper est la règle vitale de toute démarche scientifique. Corriger ses erreurs est la seule façon de progresser, telle est la loi d’airain de toute connaissance rigoureuse. Cela suppose un courage intellectuel certain, alors que l’application mécanique de routines établies par de prétendues autorités ne demande que d’être un serviteur zélé. Le public ne se trompe pas quand il imagine que le monde médical tient particulièrement à ménager ses intérêts, au besoin en se battant griffes et ongles pour conserver son pouvoir. L’étude dont nous avons parlé a été établie pour des patients australiens et américains. Sera-t-elle reprise dans un pays comme la France, dans lequel nous ne disposons pas depuis assez longtemps d’un registre des cancers ?
Sera-t-elle seulement possible, tant les conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique , les hôpitaux et les cancérologues semblent énormes ? Nous en sommes malgré tout persuadés, car les contraintes économiques nous conduiront à nous lancer dans le vaste chantier de cette métamédecine qui nous fait encore si peur. Il n’y a pas de doute, c’est la seule voie pour, comme nous le demandons chaque semaine depuis 7 ans, “ renforcer la compétence”.

l'os court : « Quand je t’ai rat compté, tu me souris.» Cath Hoche
Consulter un autre numéro de la LEM 

Lettre d'Expression médicale n°380

Hebdomadaire francophone de santé
10 janvier 2005

« Honnêtement » (*)
Docteur Jacques Blais


Notre compassion est identique et égale à celle de tous les individus, organismes, ou associations, et le sujet de ce texte ne se situera pas directement dans l'appréciation du drame de l'Asie du Sud. Et c'est, comme pour d'autres évènements, avec un temps de recul et de réflexion volontaire que je me lance dans un commentaire à distance des...effets secondaires de ce raz de marée médiatique, intercommunautaire, autant que de solidarité justifiée au plus haut point.En réfléchissant, je sais parfaitement ce qui m'a poussé à attaquer comme d'habitude mon clavier. Une femme médecin psychiatre, originaire du Viêt-Nam, exerçant en France, et dont j'admire la douceur et la clairvoyance, m'a posé une question à la fois si "mesurée" (je vais revenir sur le terme) et directe que ma vision de ce séisme s'est trouvée douchée sous la glace : "Imaginez, si ces tragiques vagues de la mort n'avaient pas atteint et tué plusieurs milliers de touristes occidentaux, honnêtement, quelle en aurait été la couverture médiatique, la répercussion mondiale, l'effet de solidarité ?

Retrouver la confiance:
Ce qui m'a fait le plus froid dans le dos, c'est l'utilisation de l'adverbe "honnêtement". Et honnêtement, je me suis permis d'ajouter une autre circonstance : "et si, toujours du point de vue de l'occident, ceci ne s'était pas produit le lendemain de Noël ?" Dont on notera, lucidement, que bien que célébré de nos jours sur tous les continents, il n'est pas lié à une implication spécifique de cette date, que l'on sait arbitraire, chez les Bouddhistes du Sri Lanka ou de Thaïlande, les Hindouistes de Sumatra, les Islamistes des Maldives, les animistes et pratiquants de diverses religions de l'Inde.
La question de confiance, pour les populations dites civilisées, ou occidentales, ou du Nord, réside, si nous acceptons de nous pencher lucidement, objectivement, et honnêtement sur ce type de situation, à travers son reflet médiatique, car où se situe, quelle est, l'image d'une civilisation du monde moderne, sinon celle de ses médias, cette question se loge entièrement dans la notion de mesure. A quoi mesure-t-on l'impact d'une tragédie, d'un drame humain, d'une catastrophe, dans la civilisation moderne ? Au nombre des morts. Acceptons, oui acceptons ce constat terrifiant. Parle-t-on encore sur quelque canal médiatique que ce soit, de l'Irak ces jours ci, d'Israël ? NON, il n'y a plus assez de morts pour chaque bombe. Que risque-t-on d'entendre, à propos de BAM, en Iran, ce tremblement de terre effroyable, voire même du 11 septembre ? Que 3500 à 6000 morts, à côté de 150000, avouez.....
Et nous allons réfléchir ici sur deux éléments habituels de cette mesure, ses aspects quantitatifs d'abord, qualitatifs ensuite.

Restaurer la conscience
Pour l'immense majorité des populations du Sud Asiatique, la vie s'achève un jour par la mort, et ce qui compte chez un humain, c'est ce qu'il a été, et ce qu'il sera dans une autre vie, un autre univers, un avenir d'espérance. Pour l'immense majorité des populations dites civilisées, occidentales, la mort est une anomalie qui aurait dû être évitée, dont quelqu'un, quelque chose, un événement, une maladie, une erreur, un manque de prévision, une carence médicale, une faute, est la cause. La mort non seulement n'est plus admissible, mais quand elle survient ainsi, "pour rien", là-bas en vacances, dans un pays qui est si loin du sien, elle ne peut devenir supportable, admissible, que compensée, réparée, indemnisée, expliquée correctement, rationalisée, et finalement, si l'on résumé tous ces points, mesurée.
A aucun moment nous ne nous permettrons, bien évidemment le moindre cynisme face à tant de douleur, de terreur, d'horreur. Simplement un examen sociologique d'un phénomène.Les présentateurs des journaux télévisés nous affirment : "jamais nous n'avons eu à commenter une catastrophe d'une telle ampleur". Ce qui est faux, et nous entrons de plein pied dans l'aspect quantitatif, à l'occidentale. Les tsunamis de la deuxième moitié du XXème siècle, qui ont massacré la Chine, et le Bengladesh, ont amené plus de morts encore que celui-ci. Mais ils ne touchaient pas de touristes occidentaux, et n'ont eu qu'une dérisoire couverture médiatique à l'époque, et un modeste élan de solidarité. Prenons conscience de ce que nos civilisations "classent" les évènements, de façon inconsciente, selon leurs causes, naturelles, climatiques, sismiques, etc ou liées à des comportements humains, terrorisme, attentats, nucléaire, etc. Et admettons que la réponse des êtres humains n'est absolument pas la même dans les deux situations.Ce qui "compte" est donc dépendant de la cause des catastrophes, naturelle ou humaine, des individus impliqués, c'est à dire lucidement occidentaux ou non, de l'ampleur vérifiée et commentée en permanence par des chiffres, des dénombrements tentant d'approcher la précision maximale, comme pour établir des records, des circonstances tant psychologiques que chronologiques, politiques. C'est à dire de nouveau des facteurs humains.Réfléchissons aux récents évènements ayant "bénéficié" d'une couverture médiatique permanente d'une telle ampleur. Le World Trade Center du 11 septembre, les horreurs en Irak, les attentats et prises d'otages (Madrid, Russie, Tchétchénie...) ou la libération bienheureuse de nos deux journalistes. Il en est résulté des éditions spéciales, des reportages en boucle, etc.

Renforcer la compétence:
Entrons dans l'analyse qualitative. Bien naturellement, les représentants des médias accomplissent une tâche très difficile, sont de véritables professionnels, prennent des risques, et effectuent au mieux leur travail. Non moins inexorablement, ceux qui les dirigent, les distribuent, utilisent les fruits de leur labeur, demeurent également des vendeurs d'information, des commerçants, soumis à l'audimat, signant des contrats publicitaires. Et contraints, de ce fait, commercialement, à étudier attentivement les comportements des auditeurs, spectateurs, lecteurs, qui génèrent de l'audience, de la vente, de la diffusion.
Observez les conditions opératoires des médias. Information dans l'urgence, au départ, logique, normale, utile, indispensable. Puis très vite, compétition dans la surenchère des chiffres, à quelle chaîne annoncera le plus grand nombre de morts (comment peut-on imaginer crédible un chiffre de 94940 morts en Indonésie ? Mais on aura "fait mieux" que le concurrent à "environ 80000", sauf si un autre se lance à "estimer à plus de cent mille les probabilités") et très vite on passe à la part "humaniste du traitement de l'info". Qui va cumuler les "pans de vie réaliste", les récits haletants, les sauvetages miraculeux, les scènes d'atrocité, et la part sociale, sous la forme de ce gigantesque élan de solidarité. Merveilleux, mais qui représente également et la seule façon tolérable pour les autres de supporter (à double sens, tolérer et apporter son soutien) l'incroyable, et la manière de se déculpabiliser. D'oublier et d'ignorer ces populations, de profiter de leurs pays de rêve, de les envahir sans réciprocité, de ne penser à eux que dans une telle adversité et la vision d'une telle misère.
Et de nouveau l'étape est à la surenchère. Émissions spéciales présumées destinées à accumuler davantage encore de fonds. Alors que, soyons lucides une fois encore, les donateurs se sont débrouillés parfaitement avant. Et sans cynisme, objectivement, en nous montrant réalistes, à quoi servent les spéciales ? A aggraver, d'autres diront augmenter l'audimat, à vendre de la publicité, à passer en boucle des images ainsi commercialisées des dizaines de fois, à accroître le temps d'antenne, à améliorer considérablement l'image des leaders et décideurs, y compris politiques, vedettes de l'écran, invités divers. Et, épouvantablement, à poursuivre la surenchère, plus de morts encore, classements par pays, par nationalités des touristes, comptabilité permanente des dégâts, des disparus, des blessés. Et très vite des dons, par pays là encore, avec la même surenchère, chaque gouvernement va tenter (promesses tenues ou non ultérieurement) de se montrer le plus généreux, de rattraper ses erreurs d'image de départ, et les médias vont établir de nouveaux classements, concours de solidarité, même entre les ONG et les associations, à qui deviendra "le meilleur". Compétition évidente à l'échelle des ministres, chefs d'Etats, présentateurs, animateurs, invités.
Je le répète, le but de ce texte n'est aucunement de détruire, mais d'illustrer un phénomène, dont il est extrêmement utile de garder conscience.
La civilisation occidentale a un absolu besoin de mesurer. L'ampleur des catastrophes en nombre de morts. Sa générosité, en euros et dollars, avec une comparaison tant en morts par nation qu'en dons par État, par population. Et quand la civilisation peut montrer du doigt un ou des coupables, les terroristes, la pollution, l'effet de serre, le nucléaire, etc, sa générosité est absente, c'est aux coupables de payer. Mais quand la terre, la nature, la fatalité, sont en cause, les culpabilisés occidentaux payent eux-mêmes. Si des occidentaux sont du nombre des victimes, la couverture médiatique est considérable, alors qu'elle sera plus que modeste en l'absence d'occidentaux concernés. Enfin la vague (quel terme adapté !) de générosité de la fin d'année, les sans abri, le Téléthon, Noël, viendra grossir considérablement l'élan donateur.
Posons nous quelques dernières questions éthiques. Est-il éthique d'offrir aux spectateurs et auditeurs des récits liés à la capacité d'expression des occidentaux, d'une part, à leur dotation spontanée en matériel audio-visuel, en attisant le besoin de "merveilleux", d'extraordinaire, sous la forme des récits de "miracles" ? Qui se posera une seule seconde la question de la réalité d'un miracle, pour telle enfant de 14 ans unique survivante d'une famille, pour tel bambin voué à dépendre désormais d'un unique grand-père très âgé ? Le miracle sera-t-il alors que la jeune adolescente ne se jette pas sous un train dans les mois à venir ?
Dernière question du même ordre. Qu'est-ce qui permet à des vendeurs d'images de montrer, sans masque, à des millions de téléspectateurs, la mort identifiable, reconnaissable, de tel homme cramponné à un arbre avant de disparaître emporté, de ce couple tentant en vain de s'accrocher à un balcon, de cet enfant ramené sur une plage, quand ces êtres humains sont les parents, les proches, les voisins, les collègues de quelqu'un ? Quand, éventuellement, une mère ou un frère aura découvert et appris en direct la mort de son parent en regardant la télé, alors qu'il n'en avait pas confirmation ?

Ne lisez là que des réflexions. Il est absolument évident que l'ampleur de cet élan de solidarité est admirable, et digne du genre humain, pour une fois. Il n'est pas moins nécessaire de réfléchir, sociologiquement, sur les mécanismes exploités, sous tous leurs aspects y compris commerciaux, éthiques, philosophiques, moraux, lorsque que certaines catastrophes entraînent certains modes spécifiques de présentation médiatique, qui entrent à bien y réfléchir dans des techniques de communication étudiées pour aboutir à des effets prévus et visés avec précision. L'humain est tellement manipulable, influençable, entre autres pour regarder exactement ce que l'on souhaite lui montrer, en ne voyant pas, jusqu'à l'ignorance totale, ce qui lui demeurera caché.

(*) NDLR : Ce titre est de la rédaction. L’auteur avait initialement intitulé ce texte : « L’horreur ... et après ».

l'os court : « Pour être heureux avec les êtres, il ne faut leur demander que ce qu’ils peuvent donner.» Tristan Bernard
Consulter un autre numéro de la LEM 

Lettre d'Expression médicale n°381

Hebdomadaire francophone de santé
17 janvier 2005

Derrière la façade
Docteur François-Marie Michaut

Il paraît qu’un des grands sports nationaux français porterait un nom. Celui de nomadisme médical.Curieuse forme de tourisme consistant à fréquenter le plus possible de cabinets médicaux dans le temps le plus bref. Nos instances nationales s’émeuvent d’une telle situation et veulent y mettre fin.

Retrouver la confiance:
En vérité, ce ne semblent pas être les risques, bien réels, de pathologie iatrogène que courent ces marathoniens des prescriptions médicales qui actionne nos gouvernants. Mais bien, ils l’avouent sans détour, le gaspillage des deniers de l’assurance maladie collective que cela entraîne. La solution retenue, cela a été largement repris par la presse, est la mise en place du système dit du “médecin traitant”. Chaque assuré social ( surnommé cyniquement assujetti dans le jargon interne) se voit sommé de déclarer par écrit celui qu’il choisit comme étant son médecin traitant. Pour les plus anciens, cela vous a un léger relent d’encartage des dames de petite vertu.

Restaurer la conscience
C’est ce fameux médecin traitant qui aura la lourde mission de décider comment et par qui sera soigné le citoyen inscrit sur ses listes. Notamment s’il doit, ou non, consulter un spécialiste. Redoutable cadeau empoisonné pour le médecin coincé entre deux dangers. Comment ne pas faire appel, encore plus largement qu’actuellement, à un spécialiste au moindre prétexte ? Le généraliste, réduit au rôle de portier obligatoire, se verra forcément reprocher, y compris devant la justice, de n’avoir pas envoyé assez tôt le malade chez le spécialiste. Et d’un autre côté, si notre malheureux portier délivre avec trop de largesse à ses clients des autorisations d’accès aux soins spécialisés, il ne tardera pas à se faire taper sur les doigts par l’assurance maladie, sous le prétexte que cela coûte trop cher.

Renforcer la compétence:
Il est évident que si ce système est appliqué, il signe la mort de la médecine générale ... faute de renouvellement des effectifs à l’avenir. Car bien peu de médecins seront volontaires pour ce métier devenu invivable, et totalement dépourvu d’intérêt, dans cette fonction de simple gestionnaire et de contrôleur zélé de l’assurance maladie. Les médecins généralistes, avec leurs limites bien humaines, n’ont pourtant jamais démérité. Depuis des années, les enquêtes d’opinion le confirment, les Français leur font largement confiance pour se soigner quand ils sont malades. Le système technocratique des médecins traitants, en bouleversant ainsi l’organisation de l’accès aux soins, ne répond absolument pas à un souci d’amélioration de la qualité des soins de santé. Quelle est donc sa motivation véritable, qu’on nous cache si soigneusement ? Notre système de santé a généré le développement d’une maladie iatrogène. Celle de l’abus du recours à des soins, devenus totalement gratuits pour certains, et par le jeu des mutuelles complémentaires. Ces personnes se livrant à ce fameux nomadisme médical, l’informatique donne tous les moyens à l’assurance maladie de les repérer. Plutôt que de s’en prendre à cette minorité irresponsable, les décideurs ont fait un choix moins impopulaire pour eux et leurs électeurs. Faire contrôler toute la population par les médecins généralistes plutôt que de sanctionner comme il se devrait le faible pourcentage d’assurés coupables d’abus, cela porte un nom. Celui du manque de courage à assumer ses responsabilités. Avec, comme effet secondaire, répétons notre conviction, la mort progressive inéluctable de la profession de médecin généraliste. A moins, naturellement, que ce soit l’institution de la sécurité sociale elle-même qui disparaisse dans la levée de boucliers qui se développe vigoureusement dans les rangs des généralistes eux-mêmes.

l'os court : « Ce qui est seulement presque vrai est tout à fait faux. » Henry Ward Beecher
Consulter un autre numéro de la LEM 

Lettre d'Expression médicale n°382

Hebdomadaire francophone de santé
24 janvier 2005

Conscience hospitalière et compétence décisionnelle
Docteur Jacques Blais

Il est extrêmement instructif et utile, pour un professionnel de santé, de se trouver, soit pour son propre usage occasionnel en tant que patient, soit pour y accompagner et soutenir un être on ne peut plus proche dans ses affres, du côté des bénéficiaires des soins, des usagers. Pour y observer alors un monde vu sous un angle différent, non plus celui du décideur éventuel, mais celui de l'individu qui reçoit, subit, éprouve, avec alors un tout autre regard, une appréhension modifiée, des sentiments différents.
Dans cette observation discrète et silencieuse, le professionnel de soins pouvant parfaitement décider de s'abstraire de ce rôle inadéquat alors, et de renoncer à tout commentaire ou mise en avant de son statut de soignant, vous voudrez bien ne lire que des constats lucides et destinés à mieux comprendre et illustrer deux situations essentielles constituant les bases d'un fonctionnement hospitalier souvent en décalage, en difficulté. Il s'agit du niveau de compétence décisionnelle, dans des établissements régis par l'habitude, les règles implicites, et par ailleurs des questionnements relatifs à la formation interne des personnels, soumise à des rituels pas davantage réactualisée.

Retrouver la confiance:
Cette confiance, dans le "clan" des patients, est fréquemment totale, en attente, en demande, et précisément seul un regard professionnel décèlera ces décalages, ou posera ces questions d'utilité, de justification, de logique.
Nous allons procéder et avancer à l'aide d'exemples simples et anodins, qui permettront de mettre en lumière quelques uns des décalages évoqués. Je vais préciser immédiatement que l'hôpital dont il est question a reçu en 2004 une récompense pour avoir obtenu les meilleurs résultats dans l'hexagone en matière de lutte contre les infections nosocomiales, par l'utilisation de protocoles très précis, contraignants mais efficaces, en particulier pour la désinfection en pré-opératoire des patients. Ceci pour ne pas chercher dans mes propos un dénigrement critique, mais une lucidité objective.
Lorsque la patiente arrive, à l'aube naturellement, dans sa chambre, elle est prise en charge par une aide-soignante, charmante, qui emplit un questionnaire relatif aux allergies, et donne toutes les informations concernant les procédures précédant l'intervention du jour même. La patiente se trouve être allergique à l'iode, et l'aide-soignante procède alors à un changement de produit destiné à la douche et au shampoing pré-opératoires.
Nous regrouperons tous les commentaires explicatifs à la fin des descriptions.
Une fois revenue de la salle de réveil après son intervention chirurgicale, la patiente reçoit par le biais d'une pompe avec seringue programmable, un produit antalgique majeur relié à sa perfusion, et prévu pour 8 heures, avec un calcul de dosage et de débit. La toute jeune et très agréable femme qui vient installer cet équipement se présente comme étant "étudiante infirmière stagiaire". Elle est contrainte, faute de tout autre matériel, de poser l'appareillage nécessaire sur l'unique fauteuil présent dans la chambre double.
Quelques heures plus tard, une autre aide-soignante (comme partout, les membres du personnel sont repérables à leurs tenues et à leurs badges indiquant leurs noms et fonctions) vient pratiquer une mesure de la tension artérielle. Ce faisant, elle installe le brassard du tensiomètre automatique du côté du bras opéré (curage ganglionnaire pratiqué sous la même aisselle) et comme cela s'avère fort douloureux, elle se contente d'effectuer la prise des chiffres au coude de la patiente !

Restaurer la conscience
Ayons conscience de ce que cet hôpital est résolument équivalent à tous les autres. Mais entrons déjà dans cette première notion, celle de la compétence décisionnelle. Confier à une aide-soignante la tâche de décider du changement d'un produit désinfectant dans un service orienté vers la prévention des infections nosocomiales est surprenant. Surtout quand aucune infirmière ne passera vérifier. Laisser à une infirmière stagiaire en formation la mission d'installer une pompe à dérivé morphinique, avec les éventuelles conséquences, en dosages et débit, sans qu'aucune infirmière titulaire ne passe derrière elle, est étonnant. Abandonner une autre aide-soignante à son sort, quand elle ne sait visiblement pas placer un brassard de prise de tension (une autre, notons le, le placera carrément à l'avant-bras, certes pas cette fois du côté opéré, mais juste au dessus du cathéter de perfusion), n'est sans doute pas raisonnable.
Une autre illustration, avec un niveau décisionnel supérieur. Alors que la pompe à morphinique est en action depuis environ une heure, une infirmière entre, porteuse d'un protocole écrit, et d'un flacon de perfusion de paracétamol. Et alors que l'antalgique majeur est en cours d'administration, elle va brancher sur la perfusion en cours son flacon dérisoire de paracétamol, probablement 40 fois moins actif, donc complètement inutile, mais certainement conformément à ce qui est écrit sur ses documents.
Détails encore, au cours d'un séjour de 8 jours complets, avec mesure de la température 24 fois, sous l'aisselle, à l'aide de thermomètres électroniques avertisseurs, au moins 15 fois sur le total ces outils de mesure s'avèreront incapables de fournir une température logique, probable, ou acceptable. Ils afficheront aussi bien 34°3 sans inquiéter, que 38°1 avec celui de remplacement sans alerter, nombre d'entre eux, faute de piles en état de marche, ne sonnent plus, ou tantôt à 1 minute tantôt à 5. Mais l'aide-soignante mandatée pour noter un chiffre le note, imperturbablement, tout comme elle notera des chiffres tensionnels lus sur l'écran avec un brassard incapable de fournir une information valable.
De nuit, tous les hospitalisés d'une certaine durée connaissent cette sorte de principe, si vous éprouvez des douleurs, et que vous sonnez alors le personnel, vous apprenez très vite que la personne qui viendra vous voir vous avouera qu'elle n'est pas habilitée à vous fournir un antalgique. Elle doit pour cela quérir l'aide, ou l'approbation, d'un ou d'une supérieure, ou de l'interne junior. Et très vite, les patients prennent l'habitude de garder en réserve leurs gélules d'antalgiques, ayant de toute manière remarqué qu'à partir du 2ème jour, on leur apportera immuablement 3 fois 2 gélules d'antalgique de niveau 2, quelle que soit leur demande. Ils se constitueront des trésors de table de nuit, et s'automédiqueront selon leurs besoins, intuitions, ou envies.

Renforcer la compétence:
Reconnaissons le, très souvent les soins reçus en phase primaire sont d'une excellente qualité, remarquables. Mais le senior qui a opéré, et qui "fait tourner le service" grâce à ses interventions, les consultations qu'il donne toute la semaine, les staffs décisionnels collectifs auxquels il participe, ses travaux administratifs et de recherche, ne disposera d'aucun temps pour enseigner quoi que ce soit aux internes juniors qui reçoivent sa délégation pour passer dans les chambres. Lorsque vous êtes opéré en décembre, avec nomination traditionnelle des internes de novembre, si, en tant que patient, vous tentez d'interroger les malheureux internes qui se relaient à votre chevet, le résultat est pathétique. "Quand sortirai-je ?" "Vous verrez cela avec le chirurgien". "Quel va être mon traitement, finalement, chimiothérapie ou radiothérapie, ou les deux ?" "On vous dira tout cela en sortant, et lors de votre visite post-opératoire" "Oui, mais j'aimerais bien savoir, me préparer..." "Oui, je comprends bien mais moi je ne peux pas..." "Savez-vous si la demande en affection de longue durée a été effectuée ?" "Voyez cela avec le secrétariat"
Et pourtant ces jeunes gens, dévoués, mais en apprentissage, permettent eux aussi à l'hôpital de survivre, en prenant les gardes, en aidant ici et là, en atteignant ou dépassent bien souvent leur niveau de compétence. Et quand il leur reviendrait d'instruire les infirmières, par exemple quant aux protocoles, aux prévisions utiles d'antalgiques sous leurs propres prescriptions réfléchies, modulées, ils n'en ont pas le temps.
Les infirmières courent partout, se débattent avec des emplois du temps insensés, des gardes de nuit, leurs vies personnelles en souffrance, et elles tentent de déléguer aux aides-soignantes, souvent de très bonne volonté, des tâches secondaires. Mais sans songer ou sans trouver le loisir d'apprendre, d'enseigner, de transmettre la façon de prendre une tension, de placer un brassard, aussi bien que de ne pas entrer, de nuit comme de jour, en parlant fort et en allumant toutes les lumières, dans une chambre sans dire bonjour, ni frapper. Et de penser aussi à expliquer au personnel d'entretien combien il est fondamental de laver la totalité du sol d'une pièce, de nettoyer partout, de prendre soin, de faire attention, parce que ces mesures, leurs mesures de base, évitent les infections. Un rôle qui aurait à être expliqué, valorisé, accompagné, récompensé, gratifié.

Vu sous un angle de professionnel transformé en usager, à titre personnel ou d'accompagnant, un hôpital crie famine perpétuellement. Il a des besoins immenses en nourritures de formation et d'information. J'ai inauguré cet établissement en 1966, comme responsable des urgences de jour. J'ai souvent le sentiment que rien n'a changé, évolué. Des éléments matériels, administratifs, financiers hélas, il n'y a toujours qu'une douche pour 40 lits à l'étage, un manque criant de personnel, et simple autre exemple, pour une patiente dont le côté droit a été incisé, blessé, et reste douloureux, aucun moyen ne permettra de brancher son téléphone de chambre sur sa gauche, personne n'y a jamais pensé, de même que cet unique fauteuil, à partager entre visiteurs et patiente, sera occupé par le matériel à y déposer. Et des éléments obsolètes de règlements jamais réévalués, discutés, réfléchis : ainsi infliger une matinée à jeun aux patients pour pratiquer des examens qui ne le nécessitent absolument pas, comme un contrôle des plaquettes sanguines, de la coagulation, ou une radiographie banale. Mais c'est écrit, depuis 38 ans, sur le protocole, et personne ne songera à soumettre à une réflexion d'absurdes règles implicites.
La disette en formation du personnel, de tous les personnels sans exception, entretien, hôtellerie, aides-soignantes, infirmières, médecins hospitaliers juniors, seniors tout autant pour le relationnel, la communication, la parole, le regard, le respect, l'humanisme, cette carence en forme de famine est énorme, évidente, extrême. En étant optimiste, il suffirait peut-être d'un seul poste de médecin coordinateur par service, dont la tâche serait de voir, d'évaluer, d'observer, d'enseigner, de susciter, pour que tout se mettre progressivement à changer. Mais ne rêvons pas, il manque des milliers de soignants de toutes compétences.
L'autre point d'impact est, depuis toujours, ce fameux niveau de compétence décisionnelle. La carence en formation, et le carcan administratif, de responsabilité, d'administration, fait que, pour probablement 8 tâches sur 10, depuis le remplissage d'un bordereau jusqu'à celui d'un plateau, la prescription d'un traitement ou celle d'examens complémentaires, la capacité de réponse à des questions parfaitement légitimes et indispensables émanant des patients, ou du personnel soignant, la décision adaptée sur n'importe quel sujet, votre interlocuteur dans un établissement hospitalier ne présentera pas la compétence voulue et souhaitable.
Mais reconnaissons le, il ne reste plus qu'une personne sur six environ pour assener encore des interrogations qui vous laissent pantois, du genre "Y veut encore de la soupe, ou bien ça va, parce que moi faut que je range !" en regardant ses pieds, ou l'émission sur l'écran de télé au dessus de la tête de votre voisin. Pour la plupart, les gens sont aimables, attentifs, gentils.
Un service hospitalier est fascinant, parce que tellement semblable à l'humanité entière, absolument autant d'imbus prétentieux que de minables égarés, de héros de l'ombre que de nullités vaniteuses, d'êtres humains délicieux et de représentants navrants de la petitesse et du malheur.

l'os court : « Le silence devient un péché lorsqu'il prend la place qui revient à la protestation ; et, d'un homme, il fait alors un lâche. » Abraham Lincoln
Consulter un autre numéro de la LEM 

Lettre d'Expression médicale n°383

Hebdomadaire francophone de santé
31 janvier 2005

La parade du pouvoir
Docteur Jacques Blais

Poursuivons sous un angle d’approche différent notre dernière LEM 382 “ Conscience hospitalière et compétence décisionnelle” du 24 janvier qui mettait en évidence, sous l'oeil de l'observateur médecin inclus soudain dans le "clan" des usagers, les carences criantes en matière de formation adaptée, et les anomalies évidentes du niveau de compétence décisionnelle. Nous allons entrer dans ce nouveau sujet par deux biais, celui de la statistique et celui du constat "in situ", de nouveau, du professionnel de santé confronté aux réalités du terrain des receveurs de soins.

Retrouver la confiance:
S'agit-il d'une crise de confiance ? Non, plutôt d'une évolution liée à l'adaptation des usagers aux possibilités techniques, logistiques, et stratégiques, des différentes offres de soins du monde hospitalier. La Caisse d'Assurance Maladie elle-même pointe une évolution qui mène de plus en plus de patients nécessitant des soins ambulatoires à faire appel aux structures du privé pour être traitée. 21 % de croissance statistique en deux ans, entre 1999 et 2001. C'est un premier constat, et il ne serait pas très surprenant de voir se développer cette pratique pour d'autres soins ambulatoires, non chirurgicaux.
Un constat, tout anecdotique qu'il soit, complète cette réflexion. Une personne âgée, 87 ans, tombe la nuit dans son appartement et se brise celui de ses cols de fémur qui est encore intact. Transportée par les pompiers au Centre Hospitalier Intercommunal, elle s'entend dire par le chirurgien orthopédique qui la reçoit qu'il n'y a plus de place disponible pour elle dans le service, et il la fait transférer dans une clinique privée de la ville voisine où, affirme-t-il "ils auront très probablement une chambre pour la recevoir".
Le lendemain, est-ce une vraie surprise, le même chirurgien, qui dispose d'un pied dans le public et d'une main dans le privé, pratique lui-même l'intervention nécessaire dans l'établissement où il a fait transférer la patiente. Même sans aucun mauvais esprit, on aura bien réalisé que les honoraires de l'intervention iront en grande partie dans sa poche dans le privé, quand dans le public son salaire n'aurait pas varié d'un euro. Prise de conscience banale d'une sorte de décalage, de malaise, d'utilisation d'un pouvoir.

Restaurer la conscience
Une autre partie de cette prise de conscience. De nouveau anecdotique, et parfaitement authentique. Une patiente est en cure de chimiothérapie dans un établissement public, en ambulatoire. Dans ce service où sont, ce jour là, traitées 25 femmes, trois d'entre elles sont accompagnées par leur conjoint. On n'insistera jamais assez sur l'immense valeur du partage, de la communication intra-familiale, conjugale, de l'aide apportée par cette chance d'être accompagnée par un parent disponible et acceptant cette charge. Il se trouve que l'un de ces hommes accompagnants est de surcroît médecin, il a parlé depuis des semaines de tout ce protocole avec son épouse, en a détaillé les éléments, et il va mener à bien le suivi, moduler les traitements de l'immédiat, changer les pansements, pratiquer l'injection de produit de relance des défenses le lendemain, procéder à l'ablation des fils après la mise en place de la chambre implantable, en bref tenter au maximum de se montrer et mari on ne peut plus proche, et médecin.
MAIS. Mais cet angle de vue n'entre pas dans le protocole hospitalier, datant de Mathusalem, jamais évalué, jamais réfléchi, jamais discuté, qui doit rejeter à l'extérieur les corps étrangers au service. Et, nantie de son autorité jamais remise en cause non plus, enveloppée de sa blouse comme d'un étendard, bardée de son pouvoir de chef décideuse, d'un pas ferme la surveillante vient signifier à l'accompagnant-mari-médecin qu'il doit quitter le service, l'heure des visites ne commençant qu'à 13 heures.
Nous n'insisterons pas du tout sur cette anecdote. Sauf pour réfléchir au pouvoir et à la parade. Il y a deux sens à la parade, celui de parer, on pare des coups, on pare une plaie, et celui de parader, on se montre, on s'affirme, on se grandit. Ici, le seul sens admissible serait celui de parage, parage de la zone d'implantation de la perfusion dans la chambre sous la clavicule, et n'importe qui acceptera une sortie de quelques minutes comme prévention des affections nosocomiales.
Mais qui s'étonnerait, maintenant, que tant de cures de chimiothérapies commencent à s'effectuer en ambulatoire dans des cliniques ? Nous allons revenir sur cette dualité soins/commerce après un autre abord complémentaire.

Renforcer la compétence:
Un autre univers encore. Celui, commercial, d'un centre capillaire de fabrication des prothèses, autrement dit chevelures de remplacement, pour les patients traitées par chimiothérapies. Le personnel n'y est ni médecin, ni soignant, mais le personnel est merveilleusement bien formé, infiniment mieux que dans n'importe quel hôpital, à la douceur, à l'efficacité gentille, attentive, à la communication optimale, au maximum de précautions oratoires pour ne jamais faire mal, ne jamais blesser.
La gynécologue a lancé, jeté plutôt : "vos cheveux, eh bien portez une perruque !" La spécialiste des prothèses capillaires, elle, n'emploie jamais ce mot, blessant, elle dit chevelure d'appoint, elle regarde en face, elle écoute, elle parle avec une douceur absolue, répond à toutes les questions, suscite toutes les interrogations, elle aide, elle accompagne, elle prend un soin infini de sa cliente, mais oui, cliente, quand la gynéco est présumée s'occuper de sa patiente.
Une infirmière du service de chimiothérapie a balancé, craché peut-être, plutôt ? "le mieux, cela va être de vous tondre !" Tondre. La Libération, les poux à l'école, les Camps. Tondre. La spécialiste du centre capillaire, a susurré, murmuré, avec une quasi tendresse si gentille : "le jour où vous souhaitez, Madame, que l'on enlève vos cheveux, vous passez nous voir n'importe quand, d'accord ?" Et vous revenez quand vous voulez, pour égaliser votre chevelure, l'adapter, l'ajuster, c'est vous qui savez....

Ce texte dans son ensemble n'est pas une fable, un conte de fée, ou une histoire horrible. Il est évident, évident, que parmi les médecins, les soignants, les personnels, existent toutes les catégories de personnes, depuis les plus effroyablement opposées à leur profession de soignants, jusqu'aux plus merveilleusement attentives. Et y compris ceux et celles qui, ce jour là, ont raté leur train, ou dont la vieille mère a été malade, ou leur gamin s'est fait racketter, voler sa mobylette, ou bien ils divorcent, ils souffrent.
Mais notre propos ne se situe pas là. Plutôt dans une tout autre réflexion.
Pourquoi, dans le public, ces valeurs traditionnelles de soin, de dévouement, d'abnégation, de vocation, semblent-elles s'effacer de plus en plus derrière le pouvoir, la parade, l'autorité du décideur, du prescripteur, la machinerie administrative cassante ?
Pourquoi, dans les différents systèmes privés, cette apparence commerciale, parfaitement authentique, aboutit-elle finalement à un progrès, parce que vouloir attirer, garder, conquérir, une clientèle peut même si cela paraît paradoxal, développer des orientations vers une bien meilleure formation, une communication, une politique constructive, quand tant de pratiques du secteur public, peut-être usé, abusé, trompé, désabusé, ne mènent plus, face à la patientèle, qu'à des éclats d'autorité et de pouvoir d'un autre temps, une lassitude, un laisser-aller péjoratif ?
C'est effroyable à penser, mais le tréfonds de cette inconscience serait-il, dans le public "vous nous devez" respect, obéissance, observance, parce que nous avons la science, nous portons l'uniforme, et dans le privé "nous vous devons" les meilleurs soins, l'attention, le respect, et une forme de gratitude pour avoir choisi nos services ? Un constat permanent, le pouvoir de la blouse de parade est invraisemblablement important, alors que les mots qui soignent sont si fréquemment oubliés, inconnus, absents.Mais rassurez vous, il existe de parfaites infirmières, on en rencontre, et des médecins, très rares, qui savent parler.

l'os court : « Ce n’est pas parce qu’on a trempé un million de fois un bâton dans le marigot qu’il devient un crocodile. » Koffi Yangnamé