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Lettre d'Expression médicale n°412

Hebdomadaire francophone de santé
29 août 2005

Victimes, mais de qui ?

Docteur Françoise Dencuff

C’est une interview du Dr Xavier Emmanuelli qui a servi de déclencheur à cette réflexion.
Dans le QDM du 27/07/2005, il revient sur l’évolution des cellules médico-psychologiques qu’il avait mises en place à la suite de l’attentat du RER Saint-Michel le 27/07/95.
Son regard sur la récupération des debriefing est sévère. Alors pour y voir plus clair il paraît nécessaire de revenir sur la notion de victime.

Retrouver la confiance:
Pour retrouver la confiance rien de tel qu’une bonne définition et c’est la justice qu’il nous faut interroger.
Pour l’Ecole Nationale de la Magistrature :
De forte connotation sacrificielle, le mot victime est d'un emploi rare avant la fin du XVème siècle. A l'époque contemporaine, la plupart des encyclopédies et dictionnaires réservent l'expression aux personnes ayant subi un grave dommage corporel, souvent mortel. Par abus de langage, le sens commun a banalisé le concept à l'ensemble des personnes subissant un préjudice (par extension, un dommage), soit une atteinte portée aux droits, aux intérêts, au bien-être de quelqu'un…C'est donc le critère légal de l'infraction qui institue en victime la personne atteinte dans son corps, son honneur ou ses biens.
Pour l’ONU :, " ...on entend par victimes [de la criminalité] des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d'actes ou d'omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir... ; on entend par victimes [d'abus de pouvoir] des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi des préjudices, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d'actes ou d'omissions qui ne constituent pas encore une violation de la législation pénale nationale, mais qui représentent des violations des normes internationalement reconnues en matière de droits de l'homme... ". Résolution 40/34 du 11 décembre 1985 de l'Assemblée Générale des Nations Unies portant Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir.
Cette définition pourtant très large exclut notamment les violences psychologiques (comme le harcèlement conjugal, familial ou professionnel).
En résumé, la victime est déclarée telle lorsqu’elle est atteinte dans ses droits les plus élémentaires.
Vous me pardonnerez, j’espère, le fastidieux de ces définitions. Qu’est ce donc alors qui a fait réagir le patron du Samu Social ?
C’est peut-être dans la définition de la Société Française de Victimologie qu’il nous faut rechercher l’origine d’un « léger » agacement :
Une victime est un individu qui reconnaît avoir été atteint dans son intégrité personnelle par un agent causal externe ayant entraîné un dommage évident, identifié comme tel par la majorité du corps social ". C'est le sujet victimisé qui domine, peu importe l'origine de sa victimisation.

Restaurer la conscience

Si nous prenons le temps de nous pencher sur cette dernière définition, il est donc reconnu que le sentiment d’être victime nous rend victime ! Je vous assure que chaque déclaration d’impôts fait de moi une victime de l’Etat.
Qu’est ce donc que le sentiment d’être victime ? Pourrait-on dire que nous sommes victimes de la vie puisque nous mourrons ? Victime du moment d’égarement amoureux qui a fait de nous des condamnés à mort ?
Vous pensez que j’exagère…relisez donc l’arrêt Perruche ou les innombrables arrêts des cours de justice américaines qui indemnisent les enfants de l’inconscience parentale.
Trop de lois tue la Loi.
Victimisation, un mot hideux. Hideux dans sa forme et son sens. Car dans ce mot se cache toute l’aberration de la banalisation qui d’un état (victime) fait un statut ! La victime existe socialement au travers de sa victimisation.
Notre société engendre un sentiment d’insécurité qui crée cette victimisation et en fait un moyen de reconnaissance trop souvent médiatisé. La personne n’est plus sujet, elle devient Victime et par là objet de compassion. Tout lui est permis puisqu’elle se dit victime et donc pouvant exiger réparation.
Comment alors réussir à « entrer en résilience » si quelque soit l’atteinte, ce qui compte c’est être victime pour en recueillir les fruits ? Comment tourner la page, construire un futur, pardonner ?
Malheureusement la victimisation atteint ceux et celles qui confondent trop souvent atteinte (physique, morale ou psychologique) avec frustration.
Peut-on dire d’un deuil qu’il fait du survivant une victime ? Est-on victime dans un divorce ?
Il y a confusion entre le ressenti légitime (colère, chagrin, peur) et la récupération de ces émotions amenant à la victimisation.
Un tantinet révoltant de mettre dans le même panier un enfant blessé dans un attentat et un autre mécontent de la qualité de ses cheveux.
Plus grave encore cette notion de victimisation s’étend maintenant à la famille, aux proches des victimes directes. Au risque de choquer j’ai trouvé scandaleux le départ d’un avion « psy » pour Charm El Cheikh. Il n’y avait pas de victimes françaises mais il fallait soutenir les survivants. A ce compte là tous mes frères (et sœurs) humains nés avant ou pendant la dernière guerre doivent être complètement barges.
Aujourd'hui, le lien social s'est tellement délité, qu'on est dans l'obligation de faire intervenir des professionnels, ou des semi professionnels. Mais de plus en plus souvent, ce rôle est confié à des intervenants sans expérience. On ne peut pas devenir un débriefeur en quelques jours, sans métier, sans culture. Le psychisme, ce n'est pas du secourisme ! dixit Xavier Emmanuelli.

Renforcer la compétence:
Nous pourrions continuer à citer de multiples exemples des abus d’un système qui fait du principe de précaution la ligne de vie de tout un chacun. Comme la victimisation s’est banalisée une profession est en plein essor : les débriefeurs
Un debriefing…
« Entretien qui suit immédiatement une action concertée, ou une mission complétée, au cours duquel les exécutants rendent compte succinctement du déroulement de celle-ci pour en faire le bilan. Quasi-synonyme : compte rendu. » (Grand dictionnaire terminologique du Québec, sous "débreffage".)
Au sens technique, il s’agit d’une revue méticuleuse, à des fins d’enseignement, du déroulement d’une initiative - volontaire (p. ex., un vol spatial), ou imposée par les circonstances (p. ex., une prise d’otages) -, en vue d’évaluer l’impact des aléas sur les personnes impliquées, ainsi que l’adéquation ou l’inadéquation des techniques, des doctrines et des ressources mises en œuvre en la circonstance.
Le debriefing serait donc une évaluation des impacts et éventuellement pourrait permettre des corrections. Ce n’est donc en aucun cas une forme de psychothérapie.
Dans la suite de l’article X. Emmanuelli propose d’évaluer les cellules médico-psychologiques et leurs résultats. C’est là que le bât blesse car s’il est facile s’évaluer les résultats d’un debriefing de vol spatial avec toutes ses données, il parait beaucoup plus aléatoire de juger de l’efficacité de quelques minutes passées avec des personnes ayant subi un accident.
C’est toute l’ambiguïté entre les termes soutien, accompagnement et debriefing. Dans le cadre qui nous occupe il ne s’agit pas d’un « compte rendu » mais d’un soutien. Une main tendue dans un moment particulièrement douloureux. Pas de psychothérapie, juste un instant d’humanité.
Si ce sujet m’est apparu particulièrement important, c’est que la même confusion existe dans l’accompagnement des patients. Dans les services d’oncologie ou de soins palliatifs, le psy n’et pas là pour permettre au patient d’entamer un travail « sur lui ». Notre rôle est seulement de lui ouvrir une fenêtre dans sa souffrance pour qu’il ou elle puisse récupérer l’énergie de continuer à vivre le mieux possible. Nous n’imaginerions pas, lorsque nous prenons quelques instants pour laisser pleurer un fils ou une fille qui vient de perdre son parent, faire du debriefing. Il n’y a rien à tirer comme résultat, rien à évaluer. Nous sommes simplement présents face à la douleur de l’autre.
Le risque de psychologiser ces instants, est alors de fixer la souffrance et de victimiser la personne. Dans notre quête de sens à tout prix, nous risquons de faire d’une émotion normale, l’expression d’un sentiment refoulé ou d’un vécu mal digéré…
Encore une fois sachons raison garder pour que le soutien aux victimes reste une action d’humanité…pas d’humanitaire.

l'os court : « La vérité n’est jamais amusante ; sans cela tout le monde la dirait. » Wolinski


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Lettre d'Expression médicale n°413

Hebdomadaire francophone de santé
5 septembre 2005

Le temps

Docteur François-Marie Michaut

Je n’ai pas le temps, avons-nous coutume de dire en guise d’excuse imparable quand nous ne voulons pas faire quelque chose. Avoir le temps, quelle curieuse façon de parler. Comme si l’être humain, soignant ou soigné pour rester dans notre domaine, s’adjugeait la pleine propriété du temps qui passe. Cette notion ne mérite-t-elle pas qu’on y consacre quelques bribes de ce fameux temps. Même si, selon l’adage anglosaxon, cela ne le transforme pas en argent sonnant et trébuchant.

Retrouver la confiance:
On a beaucoup parlé dans la presse de notre cousin Ötzi , congelé depuis plusieurs milliers d’années dans ses Alpes natales. La curiosité de nos chercheurs peut s’en donner à coeur joie sur un souvenir qui nous ramène 5000 ans avant notre ère, en un temps dit “préhistorique”. Nous sommes frappés par la modernité de ses vêtements, de ses bagages où ne manque même pas ce que nous appellerions une trousse de secourisme. Déjà, bien avant que nous n’ayons la trace d’écrits, nous possédions un nombre non négligeable de techniques indispensables pour mieux vivre et ... survivre. bien étrange confiance en nous, animaux si mal armés, si vulnérables en vérité.

Restaurer la conscience

Car, ce n’est pas une des découvertes les moins surprenantes du déchiffrage du génome humain. Notre pauvreté étonnante. Ainsi, nous possédons cinq fois moins de paires de bases que le modeste Protopteus aethiopium, petit poisson tropical d’eau douce. Il n’y aurait donc pas de relation entre la complexité d’un génome et la complexité de l’individu ( Michel Serres, L’Incandescent, 2003 ). Pour rester dans les chiffres, notre univers aurait environ 14 milliards d’années. Le vivant aurait pris naissance il y a 4 milliards d’années. Les traces les plus anciennes de nos origines humaines, avec Toumaï, n’aurait qu’un bien modeste 7 millions d’années. Pourtant, les composants élémentaires de nos cellules organiques, formées de molécules, d’atomes dont les éléments proviennent de notre alimentation. Qui, à travers le monde animal et végétal a emprunté ses éléments au monde minéral où nous vivons. “ Rien ne se créée, rien ne se perd, tout se transforme”, avons-nous bien conscience de ce ballet immémorial de nos pièces constitutives ?

Renforcer la compétence:
Ce temps, dont nous oublions l’ampleur, en n’en observant qu’une couche bien mince, celle dont notre mémoire a gardé le souvenir, nous avons pourtant réussi à l’épargner. Fantastique compétence humaine. Nos techniques, dont nous fustigeons si volontiers, y compris ici, les débordements et les perversions, combien de vies humaines ont-elles permis d’éviter par rapport à ce qu’eût été une sélection “naturelle” ? Impossible à évaluer, mais indispensable à garder clairement en mémoire. Si nous n’avions pas su nous munir de tous ces moyens artificiels, nous aurions eu le sort de toutes les autres espèces de vivants. Notre évolution, nous aurions dû la payer d’une gigantesque mortalité, dont seuls les meilleurs, les mieux adaptés au milieu, auraient survécu au fil de piles impressionnantes de générations.
Alors, si un un jour notre suffisance prend outrageusement le dessus, souvenons-nous de l’échelle du temps. Pour chacun de nous, pas plus de décennies pour le résultat final. Mais aussi, même si nous ne le percevons pas, les traces sont en nous de ces 7 millions d’hominisation, et ces 4 milliards d’années dont date l’ADN qui nous constitue. Et enfin les 14 milliards d’âge pour chacun de nos atomes. Merci, Michel Serres de ce beau voyage dans le temps, notre temps.

l'os court : « Notre temps est précieux, perdons plutôt le vôtre. » Boris Vian


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Lettre d'Expression médicale n°414

Hebdomadaire francophone de santé
12 septembre 2005

Dévoilement !

Docteur Françoise Dencuff

Quelques échanges percutants sur notre liste de discussion m'ont donné envie d'élargir le débat autour des « affaires » démontrant que le mensonge et l'hypocrisie ne sont pas toujours vainqueurs. Le temps du dévoilement arrive toujours car celui qui ment, se ment d'abord à lui-même qu'il soit un État, une entreprise ou un humain. Et il me semble que le « monde de la santé » n'échappe pas à cette règle.

Retrouver la confiance:
Pas facile par les temps qui courent de retrouver la confiance...et pourtant !
En 1999 je me suis amusée à écrire des chroniques quotidiennes en suivant les étapes du Tour de France. Souvenez-vous, le retour glorieux de Mr Lance Armstrong. Quelque peu avertie des traitements nécessaires à la guérison de son cancer des testicules, je regardais ses performances en souriant. Androgènes, cortisone à gogo... bref le cocktail détonnant habituel aux tricheurs. Mais l'humain ayant besoin de rêver qu'il est tout puissant et les médias de faire pleurer dans les chaumières, notre héros vainqueur de la mort et du Tourmalet paradait sur les podiums. Les soupçons traversaient bien l'esprit de quelques uns (ou unes) mais nous étions mauvais coucheurs, nous refusions la beauté des gestes ... bref nous avions mauvais esprits et étions paranoïaques. Sept Tours de France plus tard....Lance est épinglé sur des analyses de 99.
En soi cette mésaventure serait anecdotique si elle ne reflétait l'état du monde. Oui, vous avez bien lu...l'état du monde. La surinformation cousine bien connue de la désinformation est reine. Nous voulons tout savoir, tout comprendre, tout analyser mais nous n'avons aucun moyen de vérifier la pertinence et l'honnêteté des sources.
Qui dit information dit pouvoir. Il est bien connu que lorsque quelqu'un possède le pouvoir, il n'a pas envie de le lâcher. Alors nous avons inventé des contre pouvoirs : médias, organisme de contrôle,... malheureusement tous à la solde du financier institutionnel ou privé.
Combien de petits porteurs anonymes, « jouant » à la bourse et rêvant de toucher un jack pot beaucoup moins aléatoire que le loto pour améliorer leurs retraites ?
Alors quand on prend le temps de regarder qui sont les propriétaires du journal l'Equipe, par exemple, et que l'on sait qu'ils sont intimement liés à la Société du Tour de France...
C'est à se demander d'ailleurs ce qui a motivé ce subit accès de pudibonderie...
Serai-je soupçonneuse à tort lorsque j'apprends que Lance avait signé un contrat avec son assureur qui lui versait des « allocations » à chaque victoire, allocations doublées d'année en année. Il aurait du toucher 5 millions de dollars à la fin de ce dernier tour. Mais comme il a menti sur l'origine de ses performances exceptionnelles, pas de gros sous sauf pour les avocats qui vont régler les comptes.
Et voilà comment tourne notre monde jusqu'au moment où l'excès de toute puissance se prend les pieds dans ses propres aberrations.

Restaurer la conscience

Quel rapport me direz-vous avec la santé. Ben il a bien fallu un toubib pour « charger » Lance. Plus fort encore, croyez-vous vraiment que les différents contre-pouvoirs mis en place pour réglementer les prescriptions échappent au monde de la finance ? Nous sommes un nombre certain à plaisanter en grinçant sur les exploits de Big Pharma. Soyons tous honnêtes, savants ou pas, nous avons tendance à espérer que le dernier sera le premier. J'entends le dernier des AINS (1) sera enfin le remède miracle. Malheureusement je crains qu'il n'y ait que dans les Évangiles que cela puisse marcher.
Car dans notre monde de mal-dits les premiers s'entendent pour rester les premiers en écrasant les derniers des fois qu'ils essaieraient de relever la tête. Vous savez très bien que l'affaire Vioxx, comme l'affaire Lance, comme l'affaire de la collusion entre les opérateurs portables se régleront bien loin des caméras.
Nous aurons, pauvres de nous, une grande scène du I, histoire de nous calmer et bien vite les sportifs trouveront avec l'aide de chercheurs appartenant aux grands labos pharmaceutiques, de médecins illusionnistes spécialisés de nouveaux produits encore plus difficile à détecter...quoique depuis 99 on savait mais que les contrôles ne sont devenus obligatoires qu'en 2001...Faut croire que ça commençait à déranger.
J'entends déjà les protestations du genre : encore une qui croit au complot mondial ! Mais non je crois simplement à la malhonnêteté humaine. Pas besoin de grandes sociétés secrètes pour alimenter la soif de pouvoir et d'argent du genre humain.
Ayant au moins la conscience de notre propre faiblesse. Nous ne pouvons pas tout connaître, tout vérifier. Nous faisons confiance à nos pairs lorsqu'ils nous invitent (obligatoirement) à de bonnes pratiques. Et après nous pleurons, nous cherchons un coupable, un bouc émissaire oublieux que nous sommes de la théorie mimétique de Girard.
Le dévoilement arrive toujours lorsque le secret n'a plus intérêt à être gardé. Les grands scoops journalistiques ne sont pas autre chose qu'une info qui n'a déjà plus d'intérêt pour personne.

Renforcer la compétence:
Pour lutter contre ce genre d'abus de confiance...il faut être assez lucides pour ne pas espérer un monde parfait et assez fou pour le vouloir humain. Notre compétence de médecin, de soignant c'est de mettre aux services de nos patients le meilleur pour soulager. Pas pour nous soulager, frileux que nous devenus devant les aboiements médiatico-judiciaires. Car le vrai problème est bien dans l'ouverture de parapluie systématique. Chacun fait confiance à celui qui est le plus élevé dans la hiérarchie. Les infos sont découpées pour ne pas permettre une critique constructive. Finalement quand on est médecin il vaut mieux suivre les indications de nos instances pensantes au moins c'est le labo qui sera attaqué.
Depuis quand est-ce aux producteurs de certifier l'innocuité de leur produits ? Il me semble me souvenir que dans les « grands vérificateurs en chef des médicaments sauveurs du monde... », il y a aussi les représentants des labos. Les autres entreprises ne sont pas en reste puisque l'agence française de la qualité est une émanation du MEDEF et que les experts visiteurs sont tous soignants ou administratifs dans la santé.
Dans la grande hypocrisie ambiante nous devrions nous garder de tirer à boulets rouges sur le chiffon devant nos yeux. Et quand une affaire est déshabillée, regardez bien il ne reste que le squelette.
Enfin tout va bien, l'été fut rentable sur les bords de mer et l'augmentation des fournitures scolaires sera raisonnable. Et puis Zizou (2) est revenu, le grand Zizou, le beau Zizou...ne lui demandez surtout pas ce que les footeux (3) mettent dans leurs bouteilles...le foot ça rapporte encore trop...en gros sous et en paix sociale !

(1) Médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens ( NDLR)
(2) Le footballeur fétiche Zinédine Zidane ( NDLR )
(3) Les joueurs de football ou foot en jargon sportif ( NDLR )

l'os court : « Un secret a toujours la forme d'une oreille. » Jean Cocteau


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Lettre d'Expression médicale n°415
Hebdomadaire francophone de santé
19 septembre 2005

La violence en question

Docteur François-Marie Michaut

Une fois encore, ce sont nos échanges sur la liste de discussion Exmed-1 qui nous conduisent à nous interroger. Le thème était celui dit des incivilités dans le monde hospitalier. C’est une manière édulcorée, bien dans le vent de l’époque, de parler de ce qui est de la violence. De cette violence qui fait que parfois des médecins sont tués dans leur cabinets, ou des infirmières massacrées dans leur service. Notre propos n’est pas de dramatiser ce type de réalité, ni de porter quelque jugement de valeur que ce soit, mais simplement de tenter de comprendre un peu mieux la place de de la violence dans notre comportement humain.

Retrouver la confiance:
La violence se définit comme la force brutale exercée contre quelqu’un ( Larousse). En terme de droit, il est précisé : “ contrainte illégitime, physique ou morale”. La brutalité est synonyme jusqu’au 17ème siècle de bestialité, ou comportement animal ( Dauzat). Voilà qui précise les choses : la loi des hommes, le légitime, serait donc un rempart contre la bestialité dont ne s’est pas entièrement dégagée l’espèce humaine. Cependant, si la violence peut être pleine de bruit et de fureur, de sang, de larmes et d’explosifs, elle a aussi parfois un masque beaucoup plus subtil. Qui ne se souvient de l’effroyable “ opération nuit et brouillard “ des Nazis, qui a oublié les hôpitaux psychiatriques soviétiques, qui n’a jamais entendu parler des lavages de cerveau ? Qui enfin, surtout à Exmed, n’a jamais eu connaissance de la forme de violence perverse qu’on nomme le Harcèlement Moral ?

Restaurer la conscience

Qu’on le déplore ou non, la violence est notre quotidien à tous. Ne nous voilons pas la face, la réalité est là. Au lieu de la considérer comme le mal absolu qui empoisonne toutes les relations humaines, par exemple comme voulut le faire le Mahatma Gandhi, et avec les conséquences que l’on sait. Pour ne pas parler du message évangélique, demeuré quasiment lettre morte depuis deux mille ans. Depuis longtemps, les éthologistes nous le disent. A l’intérieur d’une même espèce, les relations obéissent à des règles immuables, fidèlement reprises sans changement de génération en génération. Il y a des dominants et des dominés, des reines et des ouvrières, chacun restant exactement à sa place toute sa vie. Le meurtre est inconnu, les combats de mâles n’étant que des simulacres.

Renforcer la compétence:
Le déchiffrement du génome humain, que l’on croyait le plus riche de tous les vivants, nous a amené une piste inattendue. Notre génome, celui qui contiendrait tous les programmes qui sont engrangés dans nos chromosomes depuis les débuts de l’humanité, se révèle particulièrement pauvre. L’étudiant que je fus jadis a été très surpris quand il apprit que nous n’avions aucune idée de la fonction des neuf dixièmes de notre encéphale.
L’idée s’impose que nous avons une caractéristique bien particulière : nous ne sommes pas terminés comme le sont les étoiles de mer ou les cactus du désert, parfaitement adaptés à leur biotope. Cette incomplétude biologique, qui fait de nous des animaux à la survie naturelle bien improbable, voilà qui ne constituerait-il pas un formidable moteur de notre action sur le monde, et sur les autres ? Étrange de relire ainsi l’histoire d’Adam et Eve, et de l’arbre de la connaissance. Si on veut bien faire cet effort, toutes nos institutions aussi nobles, douces et bien intentionnées soient-elles sont gouvernées par la violence. En avoir pleinement conscience ne peut qu’augmenter notre compétence à vivre le mieux possible notre courte vie d’homme bien incomplet.

l'os court : « L’ennui dans ce monde, c’est que les idiots sont sûrs d’eux, et les gens sensés, pleins de doute. » Bertrand Russel


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Lettre d'Expression médicale n°416
Hebdomadaire francophone de santé
3 octobre 2005

T2A ou comment ne soigner que les « biens portants »

Docteur Françoise Dencuff

Que celles ou ceux d’entre vous qui ne sont pas soignants me pardonnent d’aborder un sujet plutôt technique. Pourtant nous sommes tous intéressés par une petite révolution qui n’a pas fini de faire jaser…
Nous avons été abreuvés jusqu‘à plus soif par les médias à propos du choix du médecin traitant, du plan cancer, des plans bleu, blanc, rouge…mais le silence est d’or lorsqu’il s’agit de commenter la seule mesure importante pour tous les citoyens.
Alors Exmed fidèle à sa réputation de poil à gratter vous dit…tout ce que vous voudriez savoir sans avoir les moyens de le demander.

Retrouver la confiance:
Quand il s’agit de gros sous, les techno politico financiers sont d’une créativité incroyable. Dernière invention : la T2A. En langage clair : la tarification à l’activité. Pour être totalement honnête, nos inventeurs sont de simples plagiats puisque ce type de tarification existe dans d’autre pays.
But de l’opération : rembourser les actes de façon globale. Un exemple vaut mieux que tous les discours :
Lorsque vous étiez opérés d’une appendicite, chaque intervenant (anesthésiste, chirurgien, laboratoire, établissement hospitalier…) facturait et était rémunéré séparément. Maintenant, sur la base de « bonnes pratiques et de conférences de consensus » le remboursement se fera en une seule opération. Par conférences de consensus il faut comprendre des réunions de spécialistes évaluant, par consensus, qu’elle est la meilleure façon de traiter telle ou telle pathologie.
Un accouchement vaut, dans une clinique privée, 1431 € pour la maman et 201 € pour le bébé. Une intervention pour hernie abdominale vaut, dans le public, 631,74 €.Tous frais compris. Il me semble entendre quelques réactions au fond de la salle : où est le problème, au moins maintenant on y verra plus clair, normal avec le « trou de la sécu »…
L’idée est certes efficace, plus de transparence, moins d’abus. Après tout un accouchement ou une appendicite c’est tout le temps pareil.
Oui, mais…

Restaurer la conscience

Car il y a un mais. Toute cette tarification tient compte d’une durée de séjour. Par exemple pour les hernies le remboursement s’effectuera pour deux jours d’hospitalisation quelles que soient les éventuelles complications. Plus grave encore alors que la lutte contre la douleur fait partie des priorités de santé, un accouchement avec péridurale est au même prix que l’accouchement avec respiration du « petit chien » ! Si vous avez une fin de grossesse un peu mouvementée et que vous deviez passer vos derniers jours alitées à la clinique ou à l’hôpital, seul l’accouchement sera facturé. Autrement dit on rase gratis. Tout bénéfice pour la sécu.
Ces exemples ne sont malheureusement pas les pires, moralement parlant. En effet si vous avez 50 ans et que vous deviez subir une intervention pour vous placer une prothèse de hanche, vous avez toutes les chances de cadrer parfaitement avec les protocoles officiels, mais si vous avez 95 ans ? La vraie question serait alors : doit-on opérer ou soigner lorsque la situation est plus compliquée et le risque d’un temps d’hospitalisation allongé ? Ce questionnement existe déjà puisque dans les hôpitaux la dotation globale ne permettait souvent pas, au quatrième trimestre, d’acheter les prothèses nécessaires.
Ou comment faire plus de la même chose.
Certes pour faire comme si, il est prévu des petites rallonges nommées EXH mais elles ne couvrent pas l’ensemble des dépenses de soins.
Les soignants et plus spécifiquement les médecins vont être contraints, par les établissements, de jouer aux gendarmes. Surtout ne pas dépasser les durées prévues sinon c’est la ruine. Il est clair qu’hôpitaux et cliniques vont devoir accumuler les hospitalisations courtes pour rester financièrement à flot. Vite, tout le monde à la maison, débrouillez vous pour continuer à vous faire soigner à domicile.
L’hospitalisation à domicile (HAD) est une excellente solution mais les structures qui sont censées la prendre en charge sont quasiment inexistantes.

Renforcer la compétence:
Quelles compétences pouvons-nous renforcer ? Que pouvons-nous devant de tels dictats ? Encore une fois les politiques et les institutionnels ont mis la charrue avant les bœufs.
Le problème ne réside pas dans le type de rémunération mais dans la capacité de notre pays à donner à tous ses citoyens la même qualité de soins.
Premièrement il n’existe pas assez de structures de soins à domicile capables de prendre en charge les suites d’un séjour en établissement. L’idée de l’HAD est non seulement séduisante mais efficace car il est depuis longtemps prouvé qu’un malade guérit plus vite dans son environnement familier. A plus forte raison si ce malade est âgé. Mais la mise en place de ce type d’hospitalisation est relativement lourde en matériels et en disponibilité. Il faut vous attendre à devenir vous-mêmes les soignants de vos anciens avec tous les problèmes de stress et d’épuisement que cela peut entraîner. Sans compter le manque de place criant dans les maisons de retraites ou pour accueillir les adultes handicapés.
Deuxièmement les montants de remboursements entre privé et public sont incroyablement différents. Prenons pour exemple la grande affaire du moment : les Soins Palliatifs et plus précisément ce que l’on appelle les lites dédiés (ou identifiés), c'est-à-dire des lits de SP à l’intérieur d’un service de médecine ou de chirurgie. Dans un hôpital public votre séjour sera remboursé 8404,23 € et 3698€ dans une clinique. Le tout pour une durée de 20 jours maximum. Vous avez intérêt à prendre rendez-vous avec Dieu le Père très longtemps à l’avance pour être surs de mourir au bon moment. Au passage, la différence entre public et privé ne repose pas sur des soins de qualités supérieures mais sur le fait que l’hôpital est rémunéré pour ses activités de recherche… ! Comme quoi les Téléthon, Généthon et autres Thontonneries sont une façon de vous faire payer deux fois !.
Alors il est temps, pour nous les soignants, d’informer nos patients. La perversité du système tient dans son opacité. Pratiquement aucun patient n’est au courant du coût de ses séjours hospitaliers. Aucune importance puisque nous sommes remboursés. Alors ayez le culot de demander maintenant combien vous avez coûté à la collectivité et vous pourrez savoir si vous avez été un « bon malade », sous entendu un de ceux qui ne dépasse pas la durée maximale d’hospitalisation, ou un mauvais qu’il faudra mettre à la porte pour que les établissements de soins ne fassent pas faillite et que nous n’ayons plus de lieux pour nous faire soigner.
Finalement nous sommes tous transformés en yaourt, à rembourser avant les dates de péremption sinon poubelle ! Car n’oubliez pas que nous avons tous, les soignants comme les autres, le risque de nous retrouver PATIENTS …trop PATIENTS !

l'os court : «Ce n'est pas en tournant le dos aux choses qu'on leur fait face» Pierre Dac


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Lettre d'Expression médicale n°417
Hebdomadaire francophone de santé
10 octobre 2005

Un trou dans la Toile

Docteur François-Marie Michaut

Cet univers impalpable, sans tête, sans hiérarchie, sans limite géographique, ce monde de ce que nos amis québécois nommèrent avec bonheur la Toile, nous sommes un certain nombre à en avoir fait un élément de notre vie quotidienne. Et hop, avant, après ( en fait rarement pendant ) chaque brossage de dents, une toute petite manipulation, devenue automatique, nous branche sur internet sans le moindre effort. Pour le meilleur, comme pour le plus exécrable, à nous notre pain quotidien virtuel.

Retrouver la confiance:
Un jour pourtant, tôt ou tard, la fidèle ( jusque là ) machine à tête d’écran refuse de remplacer notre système neuronal ( à cela incompétent ) pour accéder au réseau des réseaux. Sueurs froides du pilote frustré, appuyant en vain comme un damné sur les touches de son clavier frappé de paralysie. Le spectacle serait du dernier comique s’il ne s’agissait pas de sa propre personne ! La mécanique qui était devenue une sorte de prolongement se soi-même, presque comme un bras ou une jambe, refuse tout service. Le contrat de confiance implicite entre l’homme et sa machine a subi le sort du vase de Soissons. “ Souviens-toi”, frère Internaute.

Restaurer la conscience

Laissons de côté les affres existentiels de celui qui a la responsabilité d’un site Internet, qu’il soit ou non commercial. Ce cas particulier ne concerne qu’une infime minorité, sans plus. Qu’ils se débrouillent tout seuls, ne trouvez-vous pas ? La question, en un mot tragique, devient alors : 3 Moi, exclus de la communauté internautique, comme si j’étais l’objet d’une condamnation infâmante, comment vais-je donc vivre ce coup du sort, et même y survivre ?”. Ne riez-pas, car certains de nos amis médecins ne tiennent pas un propos bien rassurant pour les malheureux débranchés. La toxicomanie à l’Internet, ou webaddiction en Latin moderne rôde. “ Vais-je faire un état de manque , va-t-il falloir m’hospitaliser d’urgence, gavé comme une oie grasse d’anxiolytiques et d’antidépresseurs pour éviter que je me jette à la mer, le cou lesté par mon ordinateur maudit ?”

Renforcer la compétence:
Et bien, les amis, désolé pour nos prophètes de malheur ( mais ont-ils la possibilité de vendre leurs propos s’ils ne le sont pas ?), votre serviteur a fort bien survécu. N’y voyez, je vous prie, aucun mérite personnel particulier. Juste une étrange alchimie. La communication virtuelle s’est révélée bien réelle. Au moyen, déjà préhistorique, du téléphone, Christine Bruzek, la webmécanicienne d’Exmed, a assuré la continuité du site et de ses deux listes. Nos rédacteurs ont illustré au mieux leur qualité de bénévoles. Françoise Dencuff, Philippe Deharvengt et Odette Taltavull ont fait en sorte qu’Exmed continue à faire entendre sa voix. Qu’il faudrait peut-être écrire plus justement sa voie. Tous les messages de sympathie des colistiers ont été très appréciés, dès que j’ai pu en prendre connaissance.
En termes de marine à voile, quand la tempête souffle trop fort, on met le bateau en fuite à sec de toile. Dieu merci, être à sec de Toile pendant deux semaines ne fut finalement pour moi qu’une tempête ... dans un verre d’eau. Et vogue la galère.

l'os court : « Peu de culture éloigne de la Toile, et beaucoup y ramène.» Michel Serres ( L’incandescent )