POESIE
Dr.Jacques Blais
retour sommaire                                     La santé est notre affaire à tous
VERSION POUR IMPRIMER   Page précédente
8- MADAME

Vous étiez tout au fond, Madame,
Là où se jouent les drames,
Quand la vie n'a plus guère de sens,
Mais la mort bien trop d'importance,
Et votre cri, sur une gamme,
Pleure, geint, et bientôt se pâme,
Mais un soleil mettra sa danse
Au rythme de votre espérance.





  

Vous étiez en hiver, Madame,
Là où l'air est infâme,
Qui transporte un fond de nuisance,
Quand l'être humain n'est qu'impuissance,
Qu'il ne trouve plus de sésame
Pour créer de nouveau programmes,
Mais la chaleur d'une présence
Donnera à l'air consistance.






  
Vous étiez au plus bas, Madame,
Là où meurent les âmes,
Au fond d'un puits qui noie l'enfance
Sous des torrents de peine intense
A travers lesquels souffre et rame
L'espoir que quelque part acclame
La voix de rire et d'insouciance
D'un enfant aux yeux de mouvance.





  

Vous étiez là et lasse, Madame,
Là où, hélas, les larmes
Trahissent soudain la confiance,
En fondant avec la méfiance,
Quand un dernier maintien désarme
La raideur qu'il ôtait au charme,
Et vos mots ont trouvé l'aisance
Qui met la paix sur la souffrance…

(Recueil " Souscrire " 1986)








  

Vous étiez en enfer, Madame,
Là où la vie est flamme,
Quand elle a brûlé toute chance
Et détruit d'ultimes défenses,
Qu'elle hurle, rugit et réclame
Envers un avenir de blâme,
Mais qu'un feu aux remous immenses
Apporte à vos joues sa cadence.







Vous étiez aux cent coups, Madame,
là où plongent les lames,
Déchiquetant votre innocence,
Et vous marquant de leur puissance,
Quand un tragique sort déclame
Les actes qui font votre trame.
Mais quelques strophes aux vers plus denses
Peindront vos nuits d'autres nuances.






  
Vous étiez sans personne, Madame,
Là où s'éplorent les femmes,
Au corps presque sans résistance,
Dans un monde sans consistance,
Vous menant des abois au brame,
Alors que votre amour proclame
Le manque et la terrible absence
Gardant votre cœur à distance.


 
       

 

9- LE CRI MUET DES EGARES, LE SOIR…

Unis par hasard dans le même soir,
Démunis, hagards, dans le même noir,
Ils ne se sont ni vus ni rencontrés,
Habitants de la même contrée
Celle des perdus, des désespérés,
Que le mauvais sort avait repéré.





  

Tu n'avais pas quatorze ans, mais peur, Une existence qui, déjà, meurt,
Avec un teint trop blanc, pâli,
Celui des espoirs trop tôt salis,
Et tu m'as dit que tu vomissais,
Tu sentais cette peur qui s'immisçait.
  




  
Une mère disparue, évadée,
La laissant, elle et son cadet,
Avec un père si dépassé,
Buveur, abattu, lassé,
Il ne restait pour elle qu'une vie
Dont elle avait si peu envie.




  

Qu'il est dur de vivre isolée,
Dans une adolescence désolée,
Quand on se trouve abandonnée,
Lâchée dans une randonnée,
Dans une vie où, dans le tourment,
Il ne sert plus de crier Maman…



  


Un père envolé, recherché en vain,
Ne laissant qu'un effluve de vin,
Derrière son minable sillage,
Qui tenait plutôt du gaspillage,
Mais parti, il lâche ce jeune homme,
Dans un avenir qu'il lui gomme.



  

Un creux, un trou, une fosse énorme,
Comme une erreur, un vice de forme,
A cet âge vacillant, incertain,
Où l'on ne sait ce que le matin
Va être capable de proposer,
S'il vaut de vivre, s'il faut oser.



  

Ils étaient deux, deux qui s'égarent,
Deux trains venus à la même gare,
Des égarés du soir couchant,
Venant pleurer et se mouchant,
Abominablement blessés,
Seuls, meurtris, et délaissés….










Menés tous deux par tant de crainte,
Lassés de taire la même plainte,
Ils sont arrivés pour crier,
Pour demander, pour me prier,
D'éteindre cette folle angoisse
Cette peur qui colle et poisse.


  




Treize ans et demi, et belle,
Avec cet air fragile et frêle,
Petite et à la fois si sûre,
Perdue et cependant si mûre,
Tu rejetais comme tu le pouvais
Ce monde dans lequel tu te trouvais.




  
De tes renvois qui n'avaient de cesse,
Le traitement eut été la tendresse,
De tes rejets qui n'avaient de nom,
Ta mère t'eut guérie en disant ton prénom,
De tes espoirs qui ne voyaient de fin,
Savoir t'aimer eut apaisé la faim…





  
Dix sept ans, et toute sa frayeur,
Vide ou parti, ou bien ailleurs,
Tu t'estimais médiocre ou nul,
Seul au monde, ou dans ta bulle,
Tu t'écroulais, te liquéfiais,
Ne voyant plus à quoi te fier…



  



Tu avais perdu ton air rieur,
Tout hurlait dans ton intérieur,
Plus rien ne venait dans ce vide,
Comme un désert, une terre aride,
Tu ne savais que faire, où aller,
La peur en toi s'était installée.




  
Tu luttais seul dans ta tourmente,
Quand les visages alentour mentent,
Quand les images partout effraient.
Tout est pourri, plus rien n'est frais,
De tes appels, de tes cris sourds,
Le traitement était l'amour…




(Recueil " Souscrire " 1986)


 


Quel monde terrible à affronter, pour ces jeunes égarés sans aucun lieu où se rendre, il ne restait à cette heure tardive qu'un cabinet médical de généraliste, pour y trouver la chaleur, la lumière, le répit, et une oreille pour y déverser la terreur et l'angoisse, la violence et la détresse, pour y maudire la vie et le sort, y parler tout simplement et tenter d'élaborer un avenir. Ils se sont trouvés là tous deux, le même soir, à l'écart l'un de l'autre, sans mêler leurs histoires, mais en déversant leurs existences comme à la décharge on vide ses ordures. La jeune fille était-elle enceinte ? Le jeune homme allait-il vers le néant, la drogue, la fuite, les deux gagneraient-ils un havre où reposer sinon dormir, échoueraient-ils sur une berge ou dans la rue, et de quelles couleurs se peindraient-ils dans leurs vies, de quelles douleurs se plaindraient-ils dans leurs refuges, enfin qui donc leurs cris dérangeraient-ils un jour ?

 

10- SCLEROSE

Son pas était d'incertitude,
Dans un avenir d'hésitation,
Qui composait ses attitudes
Entre la crainte et les attentions.


  
Ses jours sont emplis d'inquiétude,
Semant sa vie de perturbation,
Qu'on est mal dans la solitude,
Où l'on vit mal ses sensations !


  
Ses mois se font d'une habitude,
Après l'espoir, la régression,
Elle a perdu de l'amplitude,
Peut-être n'est-ce qu'une impression ?


  
Ces ans lui semblent interludes,
Avec leur marche d'obstination
Son pas d'hier était prélude
A des élans de condamnation.






  
Où est le temps où tous ses gestes
S'avéraient simples et pleins d'aisance,
Où est l'époque où, souple et leste,
Elle s'essayait à la danse ?


  
Où sont ces soirs où, vive et preste,
Elle saisissait toute chance ?
A présent, pour mettre une veste,
Elle doit s'y prendre à l'avance…


  
Où est l'avenir qui lui reste,
Le mieux atteint lui paraît rance,
Quand les reliquats que l'on teste
S'activent et souffrent en cadence ?


  
Où est la crainte, où est la peste,
Quand la sclérose est la nuisance ?
Quand l'espérance est indigeste,
Le ciel avoue son impuissance…

 

 

De nombreux enfants, une grande quantité de femmes aussi, il est statistiquement montré qu'elles consultent davantage, tant chez un médecin homme qu'auprès d'une femme praticienne, et une différence fondamentale rejoint notre souci perpétuel d'expression, là où les hommes décrivent, expliquent, et narrent selon un mode qui leur semble rationnel, les femmes expriment, disent, montrent, ou pleurent selon une habitude qui leur est émotionnelle. Mais tous peuvent taire autant, masquer, retenir, et n'autoriser que leur non verbal à illustrer pour eux, traduire, trahir…

(Recueil " Rebondir " 1988)


 
 

11- PEDIATRIE

Nous avons tous un enfant dans la tête,
Pas toujours celui dont on tient la main,
Mais celui qui, sur l'instant, nous fait fête,
Et qui tiendra jusqu'au lendemain.
Il demeure, en une embuscade secrète,
Dans un recoin qu'affectionnent les gamins,
Comme un projet, une idée toute prête,
Qui trouvera bien seule son chemin.
Parfois, c'est celui que l'on regrette,
Quand l'inconscient repasse un examen,
C'en est un que d'autres fois rejettent
Un remords, deux souvenirs ou bien maints…




  






Reste à certains un enfant dans la tête,
Qui ne risque plus de s'agiter demain,
Ou de rire en courant sur les crêtes,
En se retournant pour agiter la main…
Que les histoires d'enfants sont parfois bêtes,
Quand elles s'interrompent en chemin,
Le corps poursuit, mais le cœur s'arrête,
L'enfant est trop présent mais on le cache en vain,
Ou il est si absent, pour une stérile quête,
Deux cas si lourds pour un résultat commun.
A le lâcher un jour, la vie n'est jamais prête,
Et c'est alors notre cœur que serre sa main…






 

 

 

 






Nous avons tous un enfant dans le cœur,
Dont le rêve ébouriffe les cheveux,
Un enfant qui, pourtant, fait peur,
Lorsqu'il n'est pas celui que l 'on veut,
Un projet qui parfois fait pleur,
Quand il n'aboutit qu'à rendre envieux,
En regardant ceux qui ont les leurs,
Alors que les années nous voient vieux,
A deviner en vain l'aspect ou la couleur,
Pour l'enfant du rêve, des cheveux,
Des yeux, ou du teint, dont la pâleur
Se contente d'évoquer quelque neveu.











Reste à tous les autres un enfant dans le cœur,
Qu'il soit l'un des siens, que l'on surprend au jeu,
Celui que l'on était, et que tait la pudeur,
Ou ceux dont l'avenir est un bel enjeu
Que nos âmes naïves défendent avec ardeur,
Qu'il en soit un que l'on soigne, si courageux,
Dont le regard aigu, noyé dans la chaleur,
Regarde au bout des jours, qui lui semblent cireux,
A mesure que la mort en grisonne les heures,
Qu'il soit celui à naître, et qui rend si heureux,
Ou celui qui persiste en un coin de nos mœurs,
Dont l'inconscient, s'il en parle reste ombrageux…

Recueil ( " Mires " 1984)    
VERSION POUR IMPRIMER(sans images) S U I T E