POESIE
Dr.Jacques Blais
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12- DEUIL

Tôt épuisées, les réponses ne venaient plus,
Les questions sortaient comme s'il en avait plu,
Très vite exténué, le repos n'arrivait pas,
Et tout comme la paix, ne franchissait le pas.
Les jours se bousculaient ou progressaient un peu,
Chaque heure oubliant l'autre aussitôt qu'elle le peut.
De larmes on refaisait, sitôt vidées, le plein,
Ne sachant plus trop parfois qui pleure et qui plaint.

La froideur et les glaces résistent encore trop,
Le redoux et ses traces viennent au petit trot,
Mais rien plus ne s'efface, en le rayant d'un trait.
Rien de doux n'a sa place en ce pis que l'on traie,
Ce qu'il en sourd agace tant, ou alors très.
Chaque instant coriace serait, si l'on triait,
Une bouffée d'angoisse qui souvent dit tu,
Gorgée de mort en chasse, que l'on traque et tue

C'est là souvent que la conscience joue ses tours,
quand on ne sait plus si la présence fait tort,
En étant là trop forte ou en venant trop tard,
Quand on ne voit plus que les boulets qu'on tire,
Quand on ne peut choisir entre hurler et se taire,
La présence est le poids et l'absence la tare,
Mais c'est bien la raison qui bascule et se tord,
Déversant bien des questions que les sanglots turent.

(Recueil " Soupirs " 1983) 

 

 

13- COULEURS D'AVEUGLE

Pour lui, la fraîcheur était bleue,
L'odeur aussi, qu'il connaît mieux,
Celle que l'on sent quand il pleut,
Parce qu'on lui disait toujours
Qu'elle était bleue au petit jour,
La mer, qui sur le sable accourt.





   
Il pensait la patience verte,
Et gardait l'oreille en alerte,
Quand la nature murmure, ouverte.
On lui vantait à démesure
La pousse lente et pourtant sûre
Du pré fourni et sans blessure.





    
Pour lui, la splendeur restait brune,
Comme une silhouette aux yeux prune
Qui se détachait sur la lune.
Persiste un souvenir qui luit,
Sa mère s'approchant de lui,
Pour le consoler dans sa nuit.




  
Il imaginait l'arc-en-ciel
Quand il pensait très fort à elle,
Quand il goûtait à l'irréel,
Car ses yeux ne lui parlaient plus.
Il devinait s'il avait plu,
Mais pleurait d'avoir trop déplu.





   
Pour lui, le bonheur était mauve,
On le poursuit mais il se sauve,
Quand il dévore, il devient fauve,
Il ressentait aveuglément
Que ses yeux mauves, tendrement
Voyaient pour lui, pour deux amants.




(Recueil " Soupirs " 1983)







    

Pour lui, la douceur était rose,
Et le parfum qu'elle dépose,
Là-bas, sous les fenêtres closes ,
Car on lui racontait souvent
Comment la rose dans le vent
Paresse au jardin du Couvent.





Il supposait la douleur rousse,
Quand le corps meurtri la repousse,
Comme au coin des lèvres la mousse.
On lui rappelait quelquefois
Comment sa grand-mère autrefois
Ne s'était plainte qu'une fois.





   
Pour lui, la paix se faisait blonde,
Quand les chagrins au charme fondent
Quand un seul être crée un monde.
Car s'il lui fallait du soleil,
Ces longs cheveux brillaient pareil,
Leur ombre attendait qu'il s'asseye.




  
Il gardait les couleurs des songes
Qui sur ses pleurs passaient l'éponge,
Et calmaient la mort qui le ronge.
Elle savait lire ses douleurs
Pouvait traduire ses douleurs,
Qui devenaient alors les leurs.





Pour lui, la mort semblait si pâle
Comme un azur, pour lieu d'escale,
Comme une mer qui reste étale,
Parce qu'on lui disait toujours
Qu'il fallait y aller un jour,
Au pâle ciel, parfois si lourd.



C'est une rencontre, bien davantage qu'une confrontation, quand le médecin croise la route d'un non voyant, d'un mal-entendant, d'une personne dont il doit déchiffrer les perceptions, décrypter les expressions, ou décoder les accès sensoriels différents. Un apprentissage, et un enrichissement, tant ce que transmettent ces verbalisations autres, ces images reconstruites, sont langage, peinture, mouvement, couleurs, qui représentent autant de partages d'une nature à découvrir.

14- LA VIEILLE

A toi la vieille, seule et désespérée,
Qui ne vis plus que triste et apeurée,
Réfugiée autour de tes médicaments
Qui te servent de dernier amant,
Je voudrais dire la vie qui court,
Le temps où il te faisait la cour,
Cet homme rude et taciturne.
Il n'est que restes au fond d'une urne,
Mais paraît devenu, depuis,
Lueur d'étoile que tu suis…

Et toi la vieille, qui vis au quotidien
D'absence, de regrets, de rien,
Te cramponnant à quelques jours,
Espérant la visite d'un plus sourd,
Lisant les notices de tes drogues
Pour les commenter d'un ton rogue,
Tu vis si peu qu'autant tu meurs,
Et pourtant tu n'as qu'une peur,
Malgré cette existence sans élan,
C'est de quitter un jour ce néant.

A toi la vieille, que la vie ne contente,
Dont rien ne peuple la vaine attente,
Enumérant tes divers tourments,
Douleurs, brûlures, éternuements,
Je voudrais dire cette autre vieille
Qui regarde jouer le soleil
Avec les couleurs d'une azalée
Ou l'ombre d'un if sur une allée.
Ta vie, d'avance, s'est mise à mort,
Et c'est malchance, et c'est grand tort….

(Recueil "Spires" 1989)






 
 

Le médecin, au long de son exercice, apprend en permanence la vieillesse, il entrevoit la sienne, veille sur celle de ses patients et contemple celle de ses proches, il étudie, observe, et s'approprie sa propre future mort et ses années avancées. Et les anciens constituent aussi un paysage de personnages familiers, fournis, renouvelés, de toutes sortes.
Il en est de merveilleux, lumineux, doux, rêveurs et souriants, qui vivent le nez à la fenêtre, et l'esprit en attente, constamment prêts à recueillir et accueillir, découvrir et partager, qui ont des vies à raconter et des existences à combler. Qui savent les légendes et les découvertes, et qui narrent les trains à vapeur, les fers à repasser en acier chauffés sur la cuisinière de fonte, les guerres, la cueillette des fruits et la pousse des herbages, qui gardent dans les yeux la couleur des blés au soir couchant et celle des yeux d'un proche trop tôt disparu… Ils attendent le docteur avec un thé bien fort et parfumé, un bouquet du jardin " pour votre petite épouse, cela lui fera plaisir, même si je ne la connais pas, mais je l'imagine, elle vous va bien ", et un sourire de gourmandise, comme pour passer un bon moment prolongé, quand le praticien a spécialement décalé sa visite au soir pour laisser du temps à la vieille personne. Même si, malgré ses efforts et son eau de cologne, elle sent un peu l'urine, la pauvre, le pire étant qu'elle s'en rend compte….
Il en est d'acariâtres et de grincheux, la vie leur pèse, et paradoxalement elle court trop vite et erre trop lentement, elle n'est que poids sur leur corps si léger, diaphane, et finalement le médecin, à les côtoyer des années ou des semestres au moins, perçoit que les seuls instants où leurs rides deviennent soleil autour des yeux, leurs lèvres découvrent les quelques dents qui persistent à se défendre, leurs mains de serres se transforment en outils à caresses d'autrefois, sont ceux où il passe les voir. Ces vieux êtres s'accrochent en jérémiades et en plaintes, qui sont alors les uniques expressions que leur subsistent pour dire restez encore un peu j'aime bien quand vous êtes là petit docteur… Même à 58 ans le docteur reste un gamin, il les attendrit et les agace parce qu'il prétend savoir ce qui est bien pour eux…
Celle-ci, je la trouvais régulièrement endormie devant un match de foot-ball en noir et blanc sur sa télé, elle n'avait aucune idée de l'heure tant pour elle je venais tard le soir pour lui laisser du temps, et elle détaillait interminablement ses petits malheurs, comptait ses comprimés et recensait ses boîtes vides. Et puis son défunt homme avait maintenant droit à la photo sur le buffet, après qu'elle l'eût copieusement exécré durant leurs quarante et quelques années de vie commune, finalement il avait été correct, presque aimable cet individu, même si, comme elle disait il ne lui avait pas donné d'enfant, mais en réalité à qui la responsabilité, partagée ? Lorsqu'elle sentait que j'étais sur le point de la quitter, elle inventait vite un nouveau symptôme, un malaise menaçant, que je désamorçais aussitôt en lui faisant commenter les clichés bistrés de son mariage, et leur unique déplacement à Dieppe entre les guerres… Je vais avouer une chose : je l'ai toujours bien aimée, cette vieille, malgré et bien au delà de tous ces éléments lassants, elle avait fini, comme tant d'autres, par appartenir à mon existence….

 

15- LA FAIM

Il avait de toutes petites mains,
Ouvrait de très grand yeux,
Dans une peau toute ridée,
Il voulait de l'eau, parlait de pain,
Il n'était pas vraiment vieux,
Mais paraissait presque vidé,
Des cheveux décolorés, des crins,
Un teint jaune et des yeux bilieux,
Il ne sortait plus de mes idées…




   


   
Elles écartaient leurs bras décharnés,
Montrant leurs côtes saillantes,
Et leurs ventres boursouflés,
Elles luttaient encore, acharnées,
Avec leurs forces vaillantes,
Et leurs ardeurs essoufflées,
Mais leurs espoirs désincarnés
Rendent leurs robes baillantes,
En leur donnant l'air époustouflé.





  
  
  
Il avait de toutes petites mains,
Des mains de petit vieux,
Aux doigts comme bridés,
Pourtant ce n'était qu'un gamin
Avec du soleil dans les yeux,
Et un petit air décidé,
Sous la peau de parchemin.
Sous un dernier regard des cieux,
On l'a derrière le champ guidé,
Quand il est mort le lendemain,
C'est là qu'il serait le mieux,
Il y pousse quelques orchidées…
.







    


   
  
Elle tendait ses doigts tout maigres,
en ouvrant toute grande la bouche,
Dans un visage si fatigué,
Elle sentait la sueur et l'aigre,
Autour des yeux collaient des mouches,
Elle paraissait mal irriguée,
Se ternissait sa peau de nègre,
Ses pieds épais étaient des souches,
Elle me regardait, intriguée…





      
  
  
Dieu que la survie est triste,
Quand la faim dévore le regard,
A travers des yeux de prière,
Dieu que la vie insiste,
Quand elle prend un tel retard,
Au point de rester en arrière,
Dieu qu'elle est longue la liste,
Encore une vie qui repart
Rejoindre d'autres au cimetière…

 

Le médecin a son propre parcours, personnel ou professionnel, parfois les deux associés. L'Afrique du métier a pu être surtout lèpre, chirurgie de brousse, accouchements acrobatiques et souvenirs extraordinaires et exaltants, et celle de la découverte cette vision-ci, l'Ethiopie si attachante mais où, quand l'avion canadien de ravitaillement n'a pas atterri, personne ne mange pendant plusieurs jours ….

(Recueil " Tirs " 1986)

 
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