POESIE
Dr.Jacques Blais
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16- FATIGUEE…

Fatiguée à écarter des murs de vent,
A émerger des grands trous d'air,
A chevaucher des vagues de mélancolie
A nager longtemps à contre-courant,
A souffler sur de gros nuages gris,
Et à tenter d'oublier ces doux yeux clairs

Fatiguée de reprendre encore son élan,
De se perdre en chemins secondaires,
De redonner à la colère un ton poli,
De sourire ou de faire semblant
En croyant même avoir bien ri,
Ou d'essayer d'être pour soi moins sévère.

Fatiguée de courir sur les pas du temps,
A attraper des illusions très passagères,
D'entendre son cœur reparler de gâchis,
Ouvrant sur le vide des volets ballants,
De rebâtir d'autres cabanons de torchis,
En craignant trop leur sécurité mensongère…

Fatiguée par tant de nuits de rang
Passées les bras croisés sur son calvaire,
Fermés sur le souvenir de nuits de folie,
Quand devant ce noir la peur vous prend :
Si aucun être ne vous disait plus jolie ?
Et si aucun arbre ne poussait au désert ?

Fatiguée à écouter couler son sang,
A éteindre des lueurs incendiaires,
A emplir des puits de tendresse taris,
Qu'un temps par trop sec a laissés bien sans,
A découvrir que l'on peut attendre la pluie
Pour apaiser ces yeux qui coulaient fort, hier…

Fatiguée…..




10 décembre 1983
(Recueil " Mires ")








                On se fatigue « à » agir, et on est
                Si fatiguée aussi « de » la vie 

 














 
       

17- TANT D'ANGOISSES

L'angoisse qui me tient les mains
A les paumes moites de sueur,
Et son bras, me serrant le cou,
Y applique un couteau de tueur.
Pourrai-je la perdre en chemin,
Entrevoir de loin quelque lueur,
Echapper au moins à ces coups
Que m'assène au matin la peur ?




L'angoisse qui retient au frein
Le moindre élan, la moindre ardeur,
Sculptant une gangue de boue,
Serre en un carcan lourd le cœur.
Pourquoi donc ce souffle qui tient
A des instants dont chacun meurt,
Comment ces poumons soudain fous
Usent-ils l'air qui les leurre ?
















L'angoisse qui me tient les reins
Les pétrit avec sa fureur,
Et ses doigts glacés sur mes joues
En aggravent fort la pâleur.
Saurai-je un jour ce que je crains,
Pourquoi ces membres de beurre,
La voix que la frayeur enroue,
Que ne libèrent que les pleurs ?




L'angoisse qui se tient au loin,
Précédée d'un rire moqueur,
Va sur chaque pas mettre un clou,
Ne lui laissant plus de longueur.
Pourrai-je un jour savoir, au moins,
S'il existe un monde de fleurs,
Et pourrai-je aller jusqu'au bout
D'un chemin menant au bonheur ?

    

Les angoissés, terme général pour tant d'êtres en proie à la peur, de l'avenir, de la mort, des autres, des évènements et des éléments, de la maladie, tant de personnes malmenées par leur vie, leur naissance, l'abandon, la solitude, les échecs ou les revers, ces patientes et patients venant par dizaines déverser leur effroi sous des apparences et des mots, sont le lot pluri quotidien de l'exercice médical. Aidez moi, écoutez moi, rassurez moi, aimez moi, donnez moi des raisons d'espérer et de vivre, disent-ils.

(Recueil " Mires " 1984)
 

18- LE POIDS D'UN HOMME

Quel est donc le poids d'un homme,
Gisant sans vie dans son grenier,
Tête en sang, la cervelle autour ?
D'un seul geste, que l'on nomme
Fatal, dans un souffle, dernier,
Mettant une fin à ses jours,
D'un plancher dur, quelques pommes,
Qu'il a transformés en charnier,
Faisant de sa vie la somme,
Quelques bon moments qu'il a niés,
D'autres remis sous l'abat-jour,
Espoirs passés sous la gomme,
Il s'est trouvé trop prisonnier,
Comme enfermé à double tour.
Quand son désespoir l'assomme,
Il monte dans son pigeonnier,
Oubliant jusqu'à ses amours,
Et ses illusions tout comme.
Voyant des matins alignés,
Et tant d'angoisses au petit jour,
Il a baissé ses bras d'homme,
A la mort il s'est résigné,
Et s'il regrette son séjour
Et ses deux petits bonshommes,
Avant le tir il s'est signé
Pour aider au dernier parcours.
Quel est le poids de cet homme,
Eclaboussant jusqu'aux paniers
Le décor de son dernier jour ?

(Recueil " Souffre-Rire " 1985)






 

 

Il aurait pu figurer ici plusieurs poèmes évoquant un suicide, tant cet acte représente, pour le médecin, une hantise, une douleur effroyable, un tourment durable. Hormis celui-ci, telle jeune femme belle comme une gravure, au destin enviable, à l'intelligence si vive, usant de ses capacités de médecin en devenir pour décider de cesser de vivre, d'une manière si élaborée… Ou cette jeune fille riche et adulée rattrapée par la drogue…
Le choix de la méthode ne doit jamais rien au hasard. Entre ceux qui désirent projeter à la face du monde leurs corps éparpillés par un train, ceux qui veulent graver à jamais chez les témoins leurs faces violettes sur un nœud coulant et leurs membres de pantin ballant, ceux qui écrasent au bas des étages une carcasse disloquée, il reste, comme cet homme, les partisans d'un spectacle insoutenable de cervelle éclaboussant des murs. Effroyable. Quand d'autres opteront pour le silence des médicaments dans une chambre endormie, le gaz et ses risques pour les autres. Ou ce qui sera nommé le jeu du foulard….
Tous disent, terriblement, tragiquement, violemment, épouvantablement, définitivement, quelque chose de terrifiant à l'entourage, aux témoins, aux proches, à ceux qui les aiment, ou à leurs soignants. Et le soignant parfois est secoué, bousculé, meurtri à un point inconcevable…
Quelquefois le soignant, pour en avoir parlé, sait comme ici que l'homme souhaite se tuer. Pourtant il accepte, ce désespéré, de se faire hospitaliser. Il vit un drame familial, une accumulation inconcevable de soucis, de troubles conjugaux, avec dix, vingt facteurs divers surajoutés, le genre d'existence du pire roman noir. Le médecin, inquiet, appelle l'hôpital le dimanche en recommandant encore une fois une vigilance extrême, gardez ce patient, il est très déterminé à accomplir ce geste définitif. Pourtant l'homme sort le lundi, ne cherchons aucun coupable et n'accusons jamais… Dès qu'il est de retour, il saisit sa carabine, il a déjà tout pensé, imaginé, prévu. Un de ses gamins, intrigués et soucieux, le surprend à son arrivée de l'école, mais la gachette est appuyée…
La mot gâchis vient d'éclabousser, cela ne s'invente pas, gâcher le plâtre en un mortier qui projette des gouttes et que l'on taloche sur les murs. L'homme tapisse ses murs de bouillie, d'horreur et de cortex, sous les yeux du fils. Gachette vient de la gache d'une serrure, qui libère ou enferme, lequel des deux pour cet homme, sa famille ?
Le médecin, après être venu constater le décès dans son épouvante, bourrelé d'un dernier remords vain, reprend aussitôt après sa consultation. Défile l'humanité. Cette femme inquiète de l'avenir de sa grande fille qui, l'an prochain, va la quitter pour un internat de Grandes Ecoles, à laquelle le praticien, tellement bouleversé encore, est sur le point de raconter une autre vision de la vie, mais au prix d'un contrôle surhumain de lui-même, oui on peut dire cela, il s'abstient et l'écoute longuement. Puis des souffrants divers, des malades, ou ce quinquagénaire masquant sous des calembours perpétuels sa détresse de solitaire classé amuseur par ses copains, des migrants, des pauvres, des imbus d'eux-mêmes, des gentils et des tristes, des lugubres et des fièvreux. L'humanité.
Rentré à son domicile, très tard, le médecin ressent un immense, douloureux, dramatique besoin de parler, de vider son désespoir et sa peine. Mais à cette heure son épouse et ses très grands enfants sont tous fixés à l'étage, sur la mezzanine, devant une émission de télé, et sur un vague " bonsoir " à la cantonade, le praticien va dîner seul dans la cuisine. De nouveau un simple constat de la vie, sans la moindre recherche de responsabilités, chacun suit un chemin qui lui est propre, et après tout aurait-il été sain, serein, d'évoquer ce malheur ici et maintenant ?
C'est finalement à sa page de papier et à son stylo que le médecin parlera, confiera son oppressante journée, ce besoin irrépressible de dire, d'écrire, de soulager son être à lui, dont le rôle accepté, la mission consentie et appréciée, est de se rendre utile auprès des êtres en détresse et en besoin qui ont mis en lui leur confiance.
L'histoire ne dira pas s'il est parvenu à dormir quelque peu…..

 
19.CHIMIOTHERAPIE

Ces matins où la mort a figure d'amie,
Quand la vie vous crache au visage et vous renie,
Ces jours où le soleil semble bien avoir omis
De passer chez vous, ou alors vous a honni,
Ces soirs où s'éteint un espoir, toujours remis,
Qui d'heure en heure passant, s'est trouvé banni.

Ces matins lugubres, que l'on dira glauques,
Dont on ne croit pas pouvoir entamer le bloc,
Ces jours à la voix désespérement rauque,
Criant la peur, et déchirant tout en loques,
Ces soirs gardant autour de vous les barreaux que
Le mal vous plante, avec l'air de qui se moque…

Ces matins aux cercles noirs, là, sur la cible,
Dont vous êtes le cœur rouge et si sensible
Ces jours où la bonne santé, impassible,
Des autres, fait un mal incompréhensible,
Ces soirs où survivre paraît impossible,
Dans la noirceur opaque de la nuit nuisible…

Ces matins de guérison, que promet l'azur,
Simplement additionné de quelques piqûres,
Ces jours de pâmoison, l'estomac en rupture,
Et cette blancheur de nausées qui transfigure,
Ces soirs d'oraison, repoussant la sépulture,
Où l'on joue l'ignorant du mal qui tant torture.

Ces matins, aurores où sévit la thérapie,
Volant à la paix ses heures, comme une pie,
Ces jours d'horreur où l'on ne sait ce qu'on expie,
Pour un bien que l'on trouvera plutôt bien pis,
Ces soirs, oh rares, où parfois survient le répit,
Si semblable aux couleurs paisibles d'un tapis.

Ces matins où l'intime a figure d'ennemie,
Avec ses trop bons soins qui semblent vilénies,
Ces jours où l'aimée n'a plus visage d'amie,
Avec tous ces mensonges et ce mal qu'elle nie,
Ces soirs où l'amour qui n'a pu être commis
Trahit ce corps qui n'atteindra la décennie…

(Recueil " Soupirs " 1983)


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