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ETHIOPIE

Les perches du lac rose

Jacques Blais


 
 
Un petit historique bref, étymologique, permet de réaliser que le nom de l'Ethiopie vient du grec Aethiops qui signifiait  « face brûlée » autrement dit l'appellation de l'Afrique située sous l'Egypte. Une dénomination retrouvée dans la période où l'Ethiopie était nommée Abyssinie, décrite ensuite comme s'étendant, à travers l'Erythrée, la Somalie, jusqu'en Nubie.
On perçoit, à travers ces termes et ces origines, une participation biblique inhabituelle pour un pays africain, et cet élément religieux sera retrouvé largement dans les visites de ce lieu assez fascinant, issu de mélanges d'origines variées. C'est aussi un carrefour de commerces, de populations, d'ethnies, qui a été de ce fait constamment lié à un mouvement de peuples et des sursauts de l'histoire. Le fait de toucher la Mer Rouge au Nord, d'approcher des grands ports comme Djibouti, intéressait et les échanges marchands et les stratégies guerrières.
Les Italiens, sous Mussolini dès 1936, eurent une longue influence avec occupation du territoire, dont subsistent ça et là des reliquats de vocabulaire, d'installations, de commerces. En 1930 le Négus, le célèbre Haïlé Sélassié, devait régner longtemps, dans un régime tourmenté, violent. Il est mort en prison en 1975, probablement « un peu étouffé » par un oreiller opportun.
Un pays surprenant, difficile, étonnant, où fut découverte la fameuse Lucy, une ancêtre bien conservée, où Rimbaud séjourna, où  les vestiges historiques foisonnent, à la différence des habituelles contrées d'Afrique dépourvues de traces du passé, où un train  incroyable fut construit à l'extrême fin du XIX ème siècle, pour rejoindre la mer, et où les lacs prennent des teintes curieuses en  fonction des fonds minéraux, comme des pastels différents sur des aquarelles. Les coureurs de longues distances et les marathoniens ont, au fil des dernières décennies, attiré l'attention sur ces ressortissants, comme la figure emblématique de Gebreselassie, le coureur aux nombreux records.
En une dizaine de points remarquables, nous progresserons à travers des caractéristiques de cet état deux fois grand comme la France, pour une population équivalente à la moitié. En débutant par une notion encore très évidente il y a une quinzaine d'année, la grande difficulté d'accès et d'entrée dans le territoire.
 
 

   "Un voyage qui se fait désirer"

Il a été longtemps très difficile de parvenir à se rendre en Ethiopie. Les frontières ne s'ouvraient que par courtes périodes, entre deux conflits, deux guérillas, deux événements internes. Et il était nécessaire alors de guetter une opportunité pour profiter d'un départ de quelques touristes, auxquels se mêlaient alors fréquemment des photographes d'agences, passant plus inaperçus au sein d'un groupe hétéroclite de visiteurs. Souvent, les voyageurs étaient aussi chargés de livrer sur place des médicaments pour des dispensaires, tout ce que la « valise diplomatique » avait cessé de transporter en une période de confusion politique devant les agissements du pouvoir en place.
Un souvenir dans cet ordre. Pour nous rendre vers le Nord-Ouest, la région historique de Gondar, depuis la capitale Addis-Abeba, le transport s'est effectué à bord d'un DC3 de l'armée, un de ces appareils vétustes servant habituellement au port des troupes. Deux banquettes en longueur occupent le fuselage, les passagers sont alignés dans un équilibre précaire, sans ceintures de sécurité, dans un froid glacial car la carlingue fuit par de gros trous. Bien des occupants sont rapidement malades, et vomissent sur le sol, tandis que d'autres dévorent des sandwiches épicés qu'ils ont apportés. L'avion à hélices vole à très basse altitude, dans un vacarme terrible de moteurs surmenés, donnant l'impression de survoler les reliefs à vue, et le régime des engins faiblit, faiblit, jusqu'à inquiéter, avant de se relancer dans la descente une fois une colline franchie. Un voyage pour le moins pittoresque.
L'atterrissage s'effectue au milieu d'un vaste champ, et une fois descendus de l'appareil, il faut quelques minutes pour réaliser que nous sommes entièrement cernés par des centaines de militaires en armes, quelques chars sont en position également. En réalité, quand quelques informations filtrent, il s'avère que le gouverneur de la Province vient d'être assassiné, nous ne serons d'ailleurs pas autorisés à visiter une église assez exceptionnelle, une de ces églises cruciformes du XIIème siècle, celle de Lalibela, qui a de plus la particularité d'être en grande partie souterraine, ou plus précisément enterrée.
Des récits, durant le séjour, feront état souvent des conflits de pouvoirs locaux entre Russes et Cubains, les uns désireux de s'implanter comme dans toute l'Afrique sous couvert d'équipement et de matériel, les autres s'offrant comme des instructeurs de guérilla. On raconte que, lors d'accidents graves au détour des rares voies routières présentant une circulation, la population va d'abord regarder de quelle origine sont les blessés, soviétiques, cubains, éthiopiens, ou canadiens, avant de décider de leur porter ou non secours.
N'appelons pas tout à fait cette découverte un voyage « qui se mérite » selon l'expression habituelle, plaçons davantage cela sur une envie insistante d'aller découvrir ce pays vraiment intéressant.
 

    Des vestiges historiques

La région de Gondar, au Nord-Ouest de l'Ethiopie, révèle plusieurs vestiges de l'empire Aksoum, sous forme de châteaux du XVIIème siècle, et puis ces églises plus anciennes. Un ensemble étonnant pour l'Afrique habituelle en général, mais toute la corne nordique de ce continent a infiniment plus été en contact avec des civilisations porteuses de structures architecturales, de traditions religieuses, d'un patrimoine riche.

Une de ces traditions, en ces lieux, concerne l'histoire de Salomon et de la Reine de Saba, dans les sources religieuses très anciennes, et la religion copte d'origine a laissé de nombreuses traces en Ethiopie, avec une influence durable, et une représentation persistante, au milieu d'autres courants, dont l'Islam modérément introduit.

Plusieurs monastères de forme souvent circulaire, naturellement construits souvent avec les matériaux locaux, comme le bois, surprennent les visiteurs. Avides comme souvent de comparaisons, les observateurs seront tentés de rapprocher ces établissements de culte des monastères roumains, dont les galeries extérieures présentent aussi des peintures religieuses de type copte, mélange de scènes colorées aux représentations rehaussées de dorures, et de modèles comparables aux icônes et illustrations de ces modes.
Et il est aisé d'imaginer quelque peu comme une surprise la découverte de sites de ce genre, en territoire africain par ailleurs classique dans une catégorie de culture et de structure mentale, et des genres de cultures végétales et d'échanges marchands.
 

   La région des Lacs

C'est également vers le Nord-Ouest que se trouve le grand Lac Tana, et les sources du Nil Bleu. On distingue classiquement au Nil deux origines, le bleu et le blanc constituant ses deux parties. Le Nil Bleu se constitue à partir de superbes chutes assez impressionnantes, étalées sur un éventail large, le fleuve se présentant à partir de ces cataractes majestueuses.

De manière habituelle, la plupart des grandes chutes de type « américain » voient, comme au Niagara ou à Iguasu, un arc de cercle d'érosion se produire sur le cours d'eau avec une spectaculaire dénivellation d'un fleuve poursuivant son cours, quand les chutes de type « africain » telles celle-ci du Nil Bleu ou celle du Zambèze surviennent comme une faille raide et droite, dont ensuite le cours d'eau né s'échappe pour suivre son propre trajet. Effet garanti impressionnant, joli à observer avec le recul.
Les lacs éthiopiens sont nombreux, surtout vers l'ouest, et certains, parfois très proches voire séparés uniquement par un mont d'allure innocente, changent complètement de couleur, parce que leur fond minéral est très différent, leur profondeur également. Entre la réfraction solaire et l'affleurement de dépôts ferrugineux ici, carboniques ou volcaniques là, deux lacs côte à côte paraîtront bleu-vert pour l'un et carrément rose pour l'autre.

Les habitants des lieux pêchent de succulentes perches dans ces eaux, qui parviennent à améliorer la nourriture maigre habituelle. Et des charrettes à cheval entrent dans les premiers mètres des berges pour ramasser aussi les sédiments susceptibles d'être utilisés comme engrais. Au bord d'une de ces grandes étendues d'eau, un vieillard émouvant, portant dans le berceau de ses bras un enfant manifestement terriblement malade et affaibli sollicite… notre aide?, notre attention seulement?, ou bien se contente-t-il de nous exposer une détresse dont il sait d'avance la vanité et surtout l'aboutissement. La mort est si naturelle, là où on ne mange pas, où la vie est trop difficile pour permettre la maladie, l'absence de soins.
La zone proche du lac Tana présente quelques étendues de boues volcaniques fumantes, avec des envols plaisants d'oiseaux lents et colorés qui développent leurs arabesques criardes et élégantes en bandes et en vols planés si agréables à regarder.
 



 

   Un univers d'affamés

Une sorte de rituel de comptage, ou d'habitude de placer partout des rythmes, peut-être finalement simplement une manière de minimiser les événements, admet qu'une tragique famine atteint l'Ethiopie en moyenne tous les 11 ans, depuis pratiquement tout le dernier siècle. A écouter les habitants, les personnes rencontrées à cette période de notre séjour, il apparaît très nettement, et pour se montrer précis dans l'horreur, que les jours où l'avion canadien de ravitaillement n'atterrit pas, on ne mange pas, sur place.
Une religieuse d'un dispensaire que nous profitions pour réapprovisionner en médicaments confirmait cette carence absolue, avec cette naïve absolution tendant à inventer des excuses derrière les difficultés d'acheminement, les troubles internes, les perturbations militaires, les conflits politiques permanents.

Ce qui est le plus perceptible, sous les propos peu à peu plus confiants et diserts des chauffeurs de Land-Rover par exemple, c'est la modification péjorative constante des conditions liées aux règlements de l'agriculture. Si les paysans sont obligés sous contrôle militaire d'envoyer leurs récoltes en les centralisant vers les directions régionales et les administrations agricoles, tous avouent ne jamais voir revenir en échange le fruit monétaire de leurs efforts et de leur travail. Ils tentent tous de garder une partie des récoltes, et sont rattrapés par la délation, l'espionnage policier et les contrôles, qui aggravent encore leur situation de misère.
Nous pourrons voir ainsi, lors d'un simple déplacement d'une ville à l'autre en Land-Rover, que le chauffeur parvient à acheter directement à un cultivateur un grand paquet de café qu'il emporte, tout réjoui, avec lui dans son véhicule. A l'entrée et à la sortie de chaque village, une barrière de contrôle policier vérifie les voitures. Lors d'un contrôle opéré dans le village suivant, les militaires vont droit au but, extirpant sans ménagement le chauffeur de notre véhicule, et trouvant sans peine sa dérisoire charge de café. Il avait manifestement été dénoncé par son propre vendeur, qui encaissait de ce fait et le prix de la transaction et le montant de la prime de délation pour fraude.

Certains villages du sud paraissent parfois, à les traverser, plus prospères, avec quelques étals de tubercules, de graines ou de légumes, quelques poulets. Mais c'est essentiellement sur la route majeure, menant vers Addis-Abeba, la grouillante capitale centrale du pays, que des camions, des chargements, des remorques, paraissent enfin transporter des denrées, de quoi pratiquer un commerce.
Addis-Abeba est une de ces énormes villes africaines de près de 2 millions d'habitants, répartis entre des banlieues misérables, un centre administratif fourni, des bâtiments officiels, de très nombreux marchés, des édifices en tous genres. Et une gare. Car c'est de là que part le fameux train franco-italien si particulier, qui a eu pour mission de joindre la capitale éthiopienne et Djibouti, au tout début du XXème siècle.
 
 
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