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Un
iceberg est le résultat de la fracture, à distance,
de la couche de glace au moment où elle atteint la verticale
de la falaise, après son parcours lent descendant la
vallée depuis le glacier d'origine, vers la mer. Cette
« mer de glace » glisse et se déplace, elle
atteint la côte où elle se brise, en autant d'énormes
blocs, les icebergs, que le bras de mer devenu fleuve va alors
charrier vers le large, à mesure qu'ils fondront très
lentement.
Et, que ce soit à bord d'un petit bateau menacé
sans cesse par le fond de cogner ces énormes blocs dont
chacun sait que 80 % du volume sont sous l'eau, pour seulement
une jolie tête décorative à l'extérieur,
ou depuis la berge, le spectacle de ce défilé
des icebergs est fascinant. Un défilé de mode,
tant ils varient en taille, en couleurs du blanc immaculé
au bleu sombre, en passant par toutes les nuances de verts et
de violets, un spectacle sonorisé car ces masses de glace
craquent, chantent dans les vents, se bousculent et se cognent,
et parfois en se heurtant se fracassent dans des gerbes et des
bruits considérables. Très contemplatif, j'avoue
pouvoir demeurer des heures à regarder ainsi passer ces
merveilles, certains adoptent des formes en ponts, en tours,
en bâtiments, en pics ou en rondeurs, avec des vallées
et des cassures, et des failles et des facettes, des bleus profonds
et des pâles, des verts aqueux et des céladon.
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Des vents piquants qui, vite, mordent,
Malgré les gants ou les mitaines,
Quelques toits masqués qu'un flou borde,
En des silhouettes bien lointaines
Alors ils assemblent leurs hordes,
Et ils se groupent par centaines,
Mais ces icebergs, au fond des fjords,
Gardent des formes incertaines.
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Le sonar des bateaux les guide entre les
blocs, et permet d'approcher au plus près ces mastodontes.
Embouteillages dans les entonnoirs des réunions de
courants et les zones de cassure des blocs de glace, et parfois
une fragmentation en multiples morceaux épars au fil
du courant, qui parsème de ces glaçons une eau
marine étrange.
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Les beautés du froid
Une gigantesque partie de cette beauté grandiose
se situe en amont des icebergs, sur l'inlandsis proprement
dit, lorsqu'on a la chance de survoler en hélicoptère
cette mer de glace. Les glaciers sont énormes, impressionnants,
et vus de très près ils offrent les détails
de leur structure. Comme dans tous ces phénomènes
naturels, la glissade, la compression, créent une
plicature dans la glace un peu meuble, de grandes ondulations
comparables à celle des dunes, des crêtes et
des failles, des lignes et des reliefs s'adaptant aux virages
du glacier, à la nécessité pour lui
de s'intercaler dans les vallées entre les montagnes.
Cela confère, avec la vision à différentes
distances, une approche globale de ce phénomène
géologique. Jusqu'au survol, en bout de glacier,
de sa cassure au niveau de la ligne de fracture, avec derrière
cet amas considérable des icebergs qui vont attendre
leur tour pour être évacués vers la
mer.
Et là-bas, à distance, les champs, les rares
villages, et loin en aval le port :
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Sur les champs verts, l'odeur des foins,
Sur les eaux le reflet des cieux,
Que le glacier recueille moins,
Ce qui lui donne un air soucieux.
Mais le soleil en a pris soin.
Et eux, qui sourient et vont mieux,
Ces icebergs, là-bas au loin,
Semblent avoir un air joyeux.
(« Humeurs arctiques », extrait du recueil
« Souffre-Rire » 1985)
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Il reste, pour l'homme, une ultime récompense, encore
une prestation qu'il est si plaisant de recevoir et d'observer
au moins une fois dans sa vie : l'aurore boréale.
Une manifestation grandiose de l'univers, qui donne alors,
pour le petit homme de rien du tout figé dans le
froid et la stupeur, l'impression d'offrir la quintessence
de la capacité des cieux et des astres à démontrer
leur force et leur grandeur.
Un froid absolument polaire à attendre le milieu
de la nuit, que la conjonction des éléments
permette que le spectacle commence. Sont nécessaires
une saison précise, où le contraste des températures
diurnes et nocturnes autorise un phénomène
de contraste aigu, une latitude, naturellement, où
la réfraction des rayons du soleil encore situé
en un point de la planète va procurer un rayonnement
particulier, avec des angles et des tangentes complexes,
une qualité d'atmosphère adaptée à
la vision. D'où la survenue aux deux pôles
du globe, et par exemple au Nord en ce Groenland ou au Canada,
en été de cet hémisphère, par
temps totalement dégagé, et dans la nuit.
Les rayons solaires en provenance d'un autre point du globe,
réfractés par le prisme de l'atmosphère,
et mobilisés par les effets de courants entre zones
de températures variées, semblent être
à l'origine du phénomène.
Les petits hommes malhabiles et gauches sont fort mal placés,
le cou levé en permanence, grelottant dans leurs
vêtements et couvertures, mais bientôt ils oublieront,
face à la beauté. La nuit noire, de manière
imperceptible, commence à relever sa robe, pour montrer
sa gaine moirée légèrement plus claire.
Puis elle découvre sa peau, une tranche de chair,
comme une jambe juste offerte quelques secondes, avant de
se mettre à laisser flotter, progressivement, ses
jupons de tulle, comme une ondulation, une danse extraordinaire.
Et la nuit provoque, bouscule, bascule, comme si elle ouvrait
ses rideaux dont les plis bougeraient sous les yeux des
humains incrédules, ébahis.
L'impression est fascinante, étonnante, extraordinaire,
de cette nuit qui s'entrouvre, se déchire et se dévoile
à peine, puis ces voiles et ces tulles qui ondulent,
avant de terminer en une coloration brève, fugitive,
rose et verte d'arabesques sublimes et si rapidement éteintes.
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La nuit s'est avancée
Et s'est mise à danser,
Soulevant la moire
De ses dessous noirs
Et elle a obligé
Tous les regards figés
Des hommes émerveillés
A bien la surveiller,
Car elle ondulait tant
Sur un rythme haletant
Que les plis du manteau,
Des voiles de bateau,
Devaient, se soulevant,
S'ennivrer de grand vent,
Et en montrant ses hanches,
Ses longues jambes blanches,
La nuit marquait un pas
Qui ne s'arrêtait pas.
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La nuit
s'en est allée
Bercer d'autres vallées
Et elle a rassemblé
Ses grands panneaux tremblés
Et ses jupons froissés,
Les hommes, aux mains poissées,
Par un fond de rosée
N'avaient même pas osé
Laisser baisser leurs yeux
Abandonner les dieux
Qui leur avaient fait signe,
En traçant quelques lignes
A travers cette encre
Que la nuit échancre
D'éclat et d'audace;
Ils regardent en face
Les derniers cerceaux
Valser en sursauts.
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(Deux
strophes tirées de « Aurore boréale
», un extrait du recueil « Spires »
1988) |
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La vie est souvent si étonnante,
qui place la poésie dans un désert de glace,
auquel on attribue avec des airs de grâce une manière
d'être qui sait si bien placer l'homme au cœur
d'un phénomène d'allure cosmique, quand quelques
heures auparavant il pouvait s'asseoir dans un environnement
d'ambiance comique.
A l'issue d'un voyage, il n'est pas rare qu'un contraste
complet s'installe entre les réactions ou les comptes-rendus
des interrogateurs et des participants. Il serait aisé
d'imaginer, par exemple, que nombre de personnes ayant séjourné
en un tel lieu que le Groenland résument par quelque
réplique sèche : « il n'y a rien à
voir ». Quand, à l'inverse, une autre manière
de réflechir au double sens de trouver une réflexion
et de produire un reflet sera celle du dégagement
d'une intense poésie, d'une part, et du sentiment
d'avoir vu à l'œuvre la marche du monde. L'eau
est la source de toute vie, la découverte très
récente de glace sur Mars passe pour un événement
fracassant dans le monde scientifique, et contempler ainsi
la naissance à partir de cette couche formidable
de glace des icebergs qui joueront ensuite tous les rôles,
depuis les plus néfastes dans les tragédies
et les naufrages, jusqu'aux modifications consécutives
au réchauffement de la planète, est une découverte
du mouvement de la terre.
Qui sait ensuite devenir spectacle son et lumière,
formes et volumes, empli de poésie et de cette grâce
évoquée. Une autre réflexion est celle
issue d'une activité professionnelle si particulière
que celle apportant, à longueur de vie, les soins
aux autres, une écoute et une perspective thérapeutique.
Entendre, parfois, des confrères face à un
individu porteur d'autres origines, d'autre culture, d'autres
croyances, ou religions, ethnies, modes de vie, résumer
leur rencontre, leur « visite à un étranger
» pourrait-on dire, en affirmant « je n'y entends
rien, je ne parviens pas à comprendre » est
du même ordre que ce « il n'y a rien à
y voir » concluant brutalement le séjour dans
un lieu étrange. Le « non verbal » est
le même. Là où il gît dans la
gestuelle, les mimiques, les attitudes, intonations, mouvements,
comportements, chez un être, il siège pour
un pays dans ses couleurs, ses images, ses bruits, ses paysages,
tout ce que le lieu, le site, saura dire et offrir que les
mots, les guides, les livres, les gens, ne murmureront pas.
Et quand la poésie ajoute sa musique, le monde devient
beau.
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Le ciel et la mer
Une ultime vision est celle
qui surgit après le décollage, de nuit, pour
le retour. Parvenu à une altitude intermédiaire,
le passager regarde en bas vers la mer survolée,
puis en haut vers le ciel approché. Et la vision
est identique. Les pointillés blancs des icebergs
dans le bleu marine de l'océan, d'un côté,
et les pastilles blanches des étoiles dans la voûte
presque noire du ciel, amènent l'espace d'un instant,
l'image fabuleuse de ne plus savoir si les yeux contemplent
le firmament antique, ou l'Atlantique, si le regard est
terrestre ou céleste, et surtout apportent ce doute
exquis de l'âme, pour décider quoi choisir.
Jacques Blais
Tous droits réservés.
© François-Marie Michaut 1997-2004
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