Il est des mots de notre langue qui, comme atteints de maladie, ont mal tourné. Ainsi en est-il de l’élégance. Qui ose actuellement parler de cette manière d’être et de vivre ? Notre guide sera ici Muriel Barbery. Cette romancière, née en 1969, nous a fait cadeau d’une véritable perle avec son livre « L’élégance du hérisson » ( Gallimard, 2007, 20 € ).
L’aspect superficiel, vestimentaire, esthétique ou même simplement cosmétique de notre franglais contemporain “ look “ - auquel on réduit volontiers l’élégance - ne doit pas nous arrêter. Qu’y a-t-il au delà de cette apparence qui nous saute aux yeux ? Voilà ce que nous fait peu à peu découvrir cet ouvrage, dans l’univers intîme d’un immeuble cossu d’un quartier bourgeois de Paris, à travers les yeux d’une petite fille surdouée et de ses proches.
Sous des descriptions d’une grande cocasserie, et d’une liberté de ton rafraîchissante, dans une langue parfaite, se déroule une splendide leçon de philosophie. Aux antipodes des accumulations académiques usuelles, c’est de vraie sagesse, de véritables valeurs de vie, qu’il s’agit. Rien à voir cependant avec les pesants livres dits initiatiques habituels : Paloma, Renée et Ikuro continuent de vivre en nous et de nous faire vivre. Un ouvrage que l’on termine avec regret, qui vous laisse l’impression que vous vous êtes enrichi sur le plan humain à sa lecture, qui vous a réconcilié avec une production littéraire cultivant hélas beaucoup la médiocrité et la facilité, tout cela ce n’est pas rien pour le lecteur !
Cultiver l’élégance dans ce qu’on fait chaque jour, savoir la reconnaître dans sa beauté, son harmonie naturelle et sa simplicité essentielle quand elle se révèle autour de nous : quel beau et bon programme. On est aux antipodes de l’économie, de la politique, des pouvoirs, de l’argent, on est sans honte un hérisson quand il le faut pour savoir ne pas hurler avec les loups quand l’élégance de quelque être humain que ce soit est bafouée. L’élégance d’un chirurgien qui opère magistralement, l’élégance d’une infirmière quand elle prend soin de son malade, l’élégance d’un patient qui subit dignement de terribles traitements ou sait que ses jours sont comptés, l’élégance d’un clinicien dans la finesse et la délicatesse de sa relation thérapeutique comme dans son examen clinique, ne les avez-vous jamais perçus ? Si nous savions les encourager comme ils le méritent, ces gens qui mettent en actes le respect qu’ils ont profondément pour l’autre, quel plus donnerions-nous à la qualité humaine - et donc d’intelligence émotionnelle - de nos soins, y compris les plus techniques. Mais, cherchez donc dans les cours donnés mécaniquement aux étudiants combien de fois est utilisé par leurs professeurs le mot élégance et vous serez fixés. L’élégance, y compris celle du hérisson, n’est, hélas, au programme de la formation ni des soignants, ni des formateurs de soignants, ni même des responsables politiques et administratifs des formateurs de soignants.
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