Comme jadis des sergents recruteurs parcouraient les campagnes pour, en les enivrant, amener des jeunes gens à signer un engagement volontaire afin de porter les armes, des personnages sont à la recherche d’oiseaux rares pour des postes de responsables. Ce sont, dit-on, des chasseurs de tête. Voilà qui n’est pas sans quelques résonances imaginaires avec les fameux chasseurs de prime de nos westerns.
Ces chercheurs de talents sont au service des plus grandes entreprises mondiales, et se font payer au prix fort leurs trouvailles. Quand l’objectif se traduit en profits accrus, on ne trouve pas d’inconvénients à une telle pratique. Pour des postes de travail de grande importance, le simple fait d’avoir accumulé de prestigieux diplômes universitaires ou de sortir de telle grande école dans les premiers rangs ne semble pas, finalement, inspirer une confiance absolue à ceux qui ont besoin de professionnels de tout premier ordre. Les méthodes de recrutement, aussi sophistiquées soient-elles, guère plus. Les entreprises veulent certes des hommes compétents, c’est le minimum, mais elles veulent surtout des hommes de confiance, des hommes à qui elles peuvent faire confiance pour atteindre leurs objectifs.
Comme si le fait de soigner le mieux possible, tant techniquement qu’humainement, et, accessoirement, économiquement, les hommes était une activité de deuxième importance, nous ne connaissons pas de chasseurs de têtes médicales dans nos sociétés. Comme si nous n’avions pas pris conscience que la meilleure santé possible d’une population est le meilleur gage de la réussite de notre vie tant professionnelle que personnelle et sociale.
Tous nos systèmes de recrutement et de sélection dans les professions de santé sont inadaptés à cette réalité. Nous sommes les héritiers d’une longue tradition fondée sur les seules performances scolaires, telles qu’elles se traduisent par des notes, des classements et des diplômes à vie. Comme nous avons aussi été bercés par les refrains d’une recherche d’égalité bien teintée d’idéologie levogyre, nos critères de choix se sont deshumanisés. De peur de favoritisme, de subjectivité des examinateurs, et sous couvert de cultiver la transparence et l’équité absolue, on a choisi de n’utiliser que des matières permettant d’établir des échelles chiffrées, avec des méthodes de correction rapides et faciles pour sélectionner ceux qui sont admis à poursuivre leurs études. Les matières scientifiques de type physique, chimie, et toutes celles utilisant des outils mathématiques sont demeurées les seules prise en compte. Bien entendu, ce pseudo-égalitarisme sur le papier a été contourné, et on a vu surgir de très discutables officines privées dite de préparation à la médecine. Contre des sommes considérables, nos jeunes sont simplement dressés comme des robots à obtenir les meilleures notes au concours de sélection. Il faut que cela soit connu de tout le monde : pour devenir médecin, non seulement il est indispensable d’avoir effectué, et à un bon niveau, des études secondaires scientifiques, mais il faut, en plus, avoir l’argent nécessaire pour suivre ces fameux cours privés parallèles à l’enseignement en Faculté. C’est contraire à toute justice, et ne pas mettre fin à ce genre de pratique élitiste est indigne et de l’Université et de toute notre société démocratique.
La double capacité financière et intellectuelle à subir ce bachotage intensif est-elle un gage sérieux de détection des meilleurs praticiens de demain ?
Il est évident que non. Ce sont des hommes, et non des robots ou des esclaves, dont a besoin pour bien soigner les hommes que nous sommes.
Ce ne peuvent être que des hommes qui choisissent chez nos jeunes les plus aptes à devenir des soignants de qualité. Aucun système, aucune procédure automatique, aussi perfectionnés soient-ils, n’est capable de le faire. Comment y parvenir n’est pas de notre domaine de compétence. Cela suppose des moyens, c’est évident. Cela suppose aussi que la collectivité se donne les moyens de détecter, et d’aider à mettre à la disposition de tous leur compétence, sans s’enfermer dans des questions statutaires, des gens qui peuvent assurer cette recherche de têtes médicales. Un nouveau métier, en quelque sorte, s’impose avec la désertification médicale qui avance chaque jour.
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