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 N° 561
 
 
 
    11 août 2008
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Argent-content

Photo de l'auteur Jacques Grieu lui écrire


L’argent n’a pas d’odeur, ne fait pas le bonheur.
Voilà deux grands préceptes que vertueusement,
Dès qu’on parle d’argent, on vous récite en chœur.
C’est une Vérité, un dogme, un enseignement.
Celui qui le conteste est un mauvais coucheur
Et je dirai même pire : un vénal mécréant.

Je suis un triste sire : je ne suis pas d’accord !
Je m’élève, je proteste : les deux proverbes ont tort.
Vous souriez, vous aussi ? Ne voulez pas me croire ?
Je vais donc ci-dessous, et sans échappatoire,
Vous en donner la preuve. Par neuf ou par milliards.
Celle dont mon expérience, dans la vie, m’a fait part.

Pas d’odeur ? C’est vite dit : c’est question de dosage !
Pour les cents et les mille, les petits marchandages,
Je veux bien, rien ne sent. Tout juste quelques grincheux,
Veulent faire croire que leurs nez, spécialement chatouilleux,
Détecteraient subtilement quelques infimes ondes,
Que leurs belles âmes intègres affirment nauséabondes.
Mais l’odeur est discrète ; beaucoup de bruit pour rien.
Là où les vrais parfums explosent bel et bien,
C’est quand on parle millions. Là, c’est tout autre chose :
L’argent sent l’orchidée, la fortune et la rose !
On s’en grise, on en rêve. Et l’on joue au loto,
Espérant s’enivrer de richesses très bientôt.
Elles n’auraient pas d’odeurs, ces trop belles diablesses ?
Mais, c’est Dior, c’est Guerlain ! C’est Rochat, c’est Hermès !

Et si dans notre élan, nous sautons aux milliards,
Là, l’odeur est si forte, odeur de combinard
Qu’elle vous prend à la gorge, qu’elle devient corrompue.
En dollars, en euros, c’est de l’argent qui pue.
Odeurs de trafics d’armes, de drogue, de contrebande
De commissions occultes, de vols et de prébendes.
Un argent inodore est donc une fausse idée,
Inventée par des pauvres justement obsédés :
Les forçats du crédit, les trimeurs des bilans,
Victimes des « revolvings », des emprunts et des plans.
Ils méprisent la richesse, mais c’est par désespoir,
Quand trop inaccessible, ils cherchent un exutoire.
Et puis, parler d’argent, bien souvent n’est qu’une aide,
Une aide à oublier qu’à la richesse n’accède
Qu’une minorité faible de bûcheurs, de chanceux
De frondeurs, d’héritiers, d’aigrefins, de verbeux.
L’argent n’est pas pour ceux qui suent sans bénéfice.
Ils croient « qu’ils le méritent » ; alors ils le maudissent.

Voilà qui nous amène à l’autre affirmation :
Le bonheur et l’argent, cette ancienne équation !
Pourquoi vouloir cacher qu’il permet presque tout ?
Le « presque » est important, restrictif, peu ou prou.
Mais la confusion vient (qui est question de temps)
Que gagner de l’argent et dépenser l’argent,
Sont deux occupations qui sont incompatibles.
En gagner, s’en servir, ensemble est impossible.
A chaque individu, il faudrait bien deux vies,
Pour en trouver le temps, assouvir les envies.
D’ailleurs, s’il en est un dont l’argent fait la joie,
Vous voyez bien qui c’est : le fisc se l’octroie !
D’où nombre de dictons, fort bien faits, qu’on entend :
« Il faut être plus avare de son temps que d’argent »
« L’argent n’achète pas tout ; mais si on n’en a pas,
Comment achète-t-on  ? L’argent demeure appât »
« L’argent est bien plus noble si on parle d’ ambition »
Dire  fric n’est de bon goût, que si dans un salon 
« L’antique nerf de la guerre, on dit que c’est l’argent
C’en est aussi les os, et la chair, et le sang. »
« Un pauvre millionnaire n’est qu’un riche milliardaire
Qui, payant ses impôts, devient déficitaire »
« Il vaut bien mieux toucher de l’argent que du bois,
Car pour le mauvais sort, c’est l’argent qui fait loi »

Vous voyez : ça foisonne. Comment ne pas admettre,
Que depuis qu’il existe, l’argent est notre maître ?
Son dédain est fréquent ? Chez ceux qui n’en ont pas !
S’il ne fait le bonheur, alors bon débarras !
Regardez, écoutez ! Et entendez comme moi
Le cri du portefeuille, le soir au fond des bois …
Cette sensibilité, dès qu’on parle richesse,
S’entoure d’un secret bien plus grand qu’à confesse.
Elle trouve son paroxysme dès qu’on parle d’impôts,
Dans notre doux pays, le pire de tous les maux.
Que pense tout bon Français déclarant ses revenus ?
Où vais-je pouvoir frauder ? Il traque l’ambigu.
 La pensée, s’il vous plaît : exemptée, Inspecteur ?
(« Ceux qui vivent de l’impôt ; et puis ceux qui en meurent »)
Elle n’est pas dans l’assiette ? Alors profitons-en !
Ah, bon, c’est à l’étude ? Pensons vite ! C’est urgent !
L’impôt sur l’infortune me guette et m’exaspère.
Mon chien ? Personne à charge, j’espère ?
Minorations en hausse, majorations en baisse :
La page des déductions elle seule m’intéresse.
Si la baisse de la hausse annonce rarement du bon,
La hausse de la baisse est toujours du bidon.
Comme tout bon contribuable, au moment de régler
Je vois que je n’ai plus les moyens de payer.
Donc de pouvoir m’offrir l’argent que j’ai gagné
Conclusion évidente : le fraudeur, résigné,
N’est qu’un homme obstiné : un payeur trop aigri,
Sauvegardant pour lui-même un peu d’argent conquis.
Les impôts sont utiles, je ne veux m’y soustraire.
J’ai juste peur que l’Etat n’ait pas la bonne manière …
… Pour … bien les dépenser ; je saurais mieux le faire.
Et pour le lui prouver, je serais volontaire.
Oui, il faut être fier de payer des impôts !
Mais plus fier, je serais, si c’est moitié du lot !
Pourquoi faut-il qu’en France, on pressure les fourmis
En plaignant les cigales ? Les premières sont honnies,
Les secondes encensées, assistées et bénies.
Prenant l’argent des unes, les autres les injurient …

Hier, dans un dîner de gens dits cultivés
On a « parlé peinture ». Et je fus abreuvé
De cotes et de records, de millions, de relevés.
Jamais talents, beauté, ne furent même soulevés.
Ce sont là vils détails pour naïfs demeurés.
Plus c‘est cher, plus c’est beau. Bon marché : ignoré.
Bien pauvres laissent leurs auteurs, les rimes les plus riches
Le génie est rarement celui dont on s’entiche.
L’argent fascine le monde : normal, il mène à tout !
Même les peines d’argent se transmettent entre époux,
Et persistent souvent entre générations,
Car si la plaie d’argent n’est pas mortelle, au fond,
Jamais sa cicatrice ne s’efface complètement.
«  Premièrement, y’a l’argent, dit un sage éminent
En deuxième y’a l’argent. Et troisièmement, l’argent »
C’est peut-être le moment d’avoir un dégrèvement ?

Donc tout, l’argent fait tout. L’amour, la gloire, le nom
Pouvoir, confort, santé, l’exotisme, le renom,
Les rires et les larmes, celles d’autrui et les nôtres.
Tout vous dis-je, il fait tout. Tout, mais, … pas grand-chose d’autre !


Tous droits réservés.


NDLR : Pour une fois, et afin de ne pas détruire la construction de ce poème, cette LEM ne comporte pas nos trois intertitres coutumiers.
Nous laissons à chaque lecteur le loisir de placer où il veut, et s’il le désire, ces trois invitations que vous connaissez bien, et qui s’appliquent parfaitement au fameux argent. Alors, revoyons-les une fois encore, si vous le voulez bien.


retrouver la confiance

restaurer la conscience

renforcer la compétence


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :<< L’argent ne fait pas le bonheur de celui qui n’en n’a pas. >>
Boris Vian


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