xxxIl est des mots qui ont mauvaise presse. Élite, en fait partie dans un pays qui prône - dans ses discours - l’égalité et la démocratie. Et pourtant, comment donner une direction cohérente à toutes nos institutions si nous ne choisissons pas les plus aptes d’entre nous ? Le soufre de l’accusation d’élitisme ( mot apparu vers 1950 ) n’est pas loin : << système favorisant l’élite au détriment des autres membres d’une collectivité. >> (1)
xxLes élèves qui obtiennent les meilleures notes au baccalauréat à la fin de leurs études secondaires sont admis en France dans des classes préparatoires confiées aux meilleurs professeurs agrégés. Ils préparent ainsi les concours très sélectifs des grandes écoles de commerce, d’ingénieurs, scientifiques ou littéraire. Une fois admis dans ces établissements prestigieux publics ou privés, ils ont droit à un discours stéréotypé. << Messieurs et mesdames, en entrant dans cette école,vous devenez à vie un membre de l’élite de la nation >>.
A vingt ans, tout semble déjà joué. Comment ne pas développer alors une image grandiose de son aptitude personnelle, au chant de telles sirènes ?
Il est compréhensible que la France de Napoléon, confrontée à de terribles guerres, ait cherché à se doter d’écoles destinées à fournir à la nation les meilleurs officiers possible. Car, auparavant et avant la révolution, il était juste nécessaire et suffisant de faire partie de la noblesse pour accéder à un commandement.
xxxPouvons-nous encore, deux siècles plus tard, accepter que la sélection durant la seule phase des études - en elle-même parfaitement normale - constitue la seule condition pour accéder aux plus hautes fonctions ?
xxxLa question est soigneusement étouffée par les heureux bénéficiaires de ce qui ressemble furieusement à une nouvelle noblesse n’osant pas se montrer comme telle. Que le mérite personnel, les valeurs du pacte républicain, comme on dit volontiers, aient remplacé le privilège de la naissance ne change pas fondamentalement la donne pour le public. Il y a ceux qui sont en haut de l’échelle d’un côté et la multitude des autres stagne à vie en bas.
Ce qui n’est pas tolérable, c’est qu’une fois acquise cette admission dans les rangs de l’élite patentée, dûment hiérarchisée par le classement de sortie de l’école d’origine, elle est devenue irrévocable à vie. Nos cousins animaux nous ont habitué depuis longtemps au phénomène de dominance et de soumission dans leurs groupes. Mais, chez eux, dès qu’un individu se révèle le plus fort, il remet dans le rang des soumis l’ancien dominant. En athlétisme, les médailles et les titres ne cessent de changer de main au gré des performances et du temps.
Nous avons vraiment du mal à prendre conscience du prix que nous payons à ce mécanisme de promotion à sens unique (2). Immobilisme absolu d’une élite dont les membres à vie fonctionnent à peu près exclusivement entre eux face à une société dans laquelle les fonctions et les positions deviennent de plus en plus fluctuantes et provisoires.
xxxEn quoi tout cela peut-il concerner notre monde de la santé ? A mes yeux de deux façons.
- D’une part, le modèle élitiste à la française a été adopté par les universités et hôpitaux universitaires. Le concours d’admission en deuxième année de médecine est un filtre dans la plus pure tradition académique, rejetant impitoyablement les sujets les moins malléables aux disciplines imposées. Et, en fin d’études, on recommence avec un examen national classant pour accéder à l’internat le plus prestigieux possible. A signaler également, et ce n’est pas neutre du tout, que tout ce qui concerne la gestion et l’administration des professions de santé et des hôpitaux est entre les seules mains des élites patentées, ne permettant aucun mode de penser différent de celui des grands corps de l’État et des grands groupes industrialo-financiers.
- D’autre part, vivre dans un pays aussi riche et si plein de capacités individuelles non exploitées parce qu’y règne sans partage une telle oligarchie immuable est une source de souffrances pour tout le monde.
Que nous en ayons clairement conscience, ou que nous ayons la perception mal définissable et si souvent dite que : << dans ce pays, rien ne peut changer >>, voilà qui nous empêche de penser que nous sommes de vrais citoyens à part entière et non de passifs sujets d’une machinerie qui nous dépasse. Vous avez dit que les Français avaient une consommation très importante de psychotropes, donc de tranquillisants et d’antidépresseurs ? Sommes-nous certains que c’est un pur hasard, ou lié à un goût national immodéré pour la dégustation de petites pilules ? En quelque sorte, incurables gaulois que nous sommes, juste pour embêter les gestionnaires de l’assurance-maladie.
(1) Dictionnaire Hachette 2006
(2) Ezra Suleiman, Schizophrénies françaises, Grasset, 2008
NDLR : Cette lettre illustre l’article 4 de notre
CHARTE D'HIPPOCRATE . Lien
- 4°) Je résisterai aux pressions extérieures qui me détourneraient de ma fonction, et je resterai avec objectivité du côté de la personne malade.
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