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La Lettre d'Expression Médicale
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 N° 595
 
 
 
    6 avril 2009
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Médecine raisonnée

FMMDocteur François-Marie Michaut lui écrire

xxxLe concept d’agriculture raisonnée nous est familier depuis quelques années en France. Il a été établi pour lutter contre les dégâts de pratiques dites intensives, utilisant systématiquement et au maximum de leur rendement immédiat toutes les techniques assurant une forte productivité des produits végétaux et animaux que nous mangeons.
La qualité des aliments, et pas seulement leur quantité ou leur meilleur coût de production, tout comme les dégradations de l’environnement occasionnés par l’agriculture, ont une relation directe avec notre santé, chacun en convient.

 

retrouver la confiance

xxxLe monde de la médecine semble, lui, poursuivre un cheminement bien différent. Tout semble se passer comme si nous étions dans une course permanente à un toujours plus de techniques de diagnostics, d’interventions chirurgicales, de traitements médicamenteux, de domaines encore inexploités de la santé, de stratégies de prévention des risques de la vie. On peut faire le reproche à notre société de vouloir tout, donc trop, médicaliser de la conception à la mort.
De là à inciter le public à faire une confiance aveugle aux promesses et aux prouesses d’une médecine toujours plus puissante, il n’y a qu’un pas. Tenter de manipuler ce rêve au profit de ses intérêts politiques immédiats, voilà comment il est possible d’expliquer une certaine évolution de la médecine.
De la médecine, encore plus de médecine, de la médecine à tout prix et pour tout et n’importe quoi, tel est le cri quasi général d’une société qui a peur de vieillir, de souffrir et de mourir.
On en est bien encore, et sans grand état d’âme, au stade de la médecine intensive, tout comme le fut orgueilleusement notre agriculture jusqu’à la fin du XXème siècle. Il faut porter au crédit des associations de consommateurs et aux partisans, parfois bruyants, du respect de l’écologie de la planète venant au secours de la communauté scientifique le tournant idéologique qui a permis ce changement.

restaurer la conscience

xxxDu côté de la médecine, la prise de conscience du public semble beaucoup plus lente. Si une chose est simplement possible pour notre santé, comme, par exemple, le dépistage des cancers de la prostate, nous estimons naturel qu’elle soit mise en oeuvre de façon généralisée. Et pourtant, nos urologues nous disent depuis longtemps que de multiples cancers de la prostate ne font jamais parler d’eux, et ne mettent pas en jeu la vie normale de leurs porteurs. Se savoir porteur d’un cancer est-il une étape de notre vie qui peut nous laisser de marbre ? Certainement pas, même si aucune étude scientifique n’en a encore établi le poids des conséquences.
De tous temps, les médecins ont eu le choix de mettre en oeuvre ou non des méthodes diagnostiques et thérapeutiques de leur époque. Parfois pour notre malheur, parfois aussi pour notre bonheur. Depuis des dizaines d’années, la notion de bilan systématique de santé ( le fameux check-up de nos patients ) a été utilisée sans beaucoup de réflexion. Du temps du siècle dernier la syphilis et la tuberculose décimaient les populations, et toutes les occasions de la vie étaient bonnes pour réaliser les tests sanguins et les examens radiologiques afin de dépister ces fléaux. La loi même en fit l’obligation aux patients comme aux médecins. Jusqu’au jour où l’on établit scientifiquement que le service rendu à la population n’était pas à la hauteur de ce qui était attendu, et que les effets indésirables, en particulier les radiations ionisantes des radios systématiques, y compris chez des femmes en début de grossesse devaient être pris en compte.
Et, de plus, sans véritablement qu’on sache bien pourquoi; la grande épidémie de tuberculose et de vérole a connu une régression considérable en France.

renforcer la compétence

x La médecine intensive, celle dans laquelle chaque médecin utilise systématiquement toutes les possibilités offertes par les techniques médicales, juste avec l’idée qu’ainsi son patient dispose des meilleures chances possibles de surmonter la maladie, n’est plus défendable. Du fait de la complexification constante des moyens disponibles, on ne plus faire tout ce qui est possible à tout le monde. Ce n’est pas uniquement, n’en déplaise à nos gestionnaires, une question de prix de revient.
Ce que nous faisons au cours de notre travail de soignant a des impacts que nous ne sommes pas capables de connaître à l’avance. Quelle sera la qualité de vie des personnes auxquelles la médecine prédictive aura annoncé la probabilité statistique de développer telle ou telle maladie mortelle ou invalidante ?
Plus que jamais, nous avons besoin d’une médecine raisonnée. Qui soit capable de toujours mettre en question ses routines et ses habitudes systématiques. Qui ait le souci constant de la personne en face, et qui, pour cela, puisse donc enfin disposer du temps indispensable à des prises de décisions faites sur mesure. Qui soit débarrassée de toutes les tâches de gestion ou d’administration qui dévorent son temps, son énergie et, par usure progressive, son amour du métier.
Le temps de la médecine de consommation, qui nous a valu tant de médiocrité et d’insatisfaction, tire à sa fin. C’est une conséquence inévitable des répercussions de la crise des échanges économiques mondiaux : la médecine bling-bling est condamnée. Oser une telle prophétie semblerait bien incongru si, de par le vaste monde, de multiples voix ne commençaient à se faire entendre pour nous montrer qu’au delà des grandes manifestations officielles, du genre sommet du G20, se sont les fondements d’un monde nouveau, et encore imprévisible même, et surtout, aux yeux de nos meilleurs experts du passé, donc dépassés. Un très intéressant numéro de la revue Courrier International en montre différents exemples (1).
Comme jamais, c’est d’une médecine durable et non plus de consommation à outrance aux promesses fallacieuses dont nous avons besoin, d’une médecine qui a enfin pris conscience qu’elle aussi doit respecter l’environnement de la planète toute entière comme de ses si fragiles habitants végétaux, animaux et ... humains.

(1) L’anticrise - Au delà du G20, un manuel de survie (et d’analyse )
Courrier International numéro spécial, n° 961 du 1er au 8 avril 2009.



NDLR : Cette lettre illustre l’article 1 de notre
CHARTE D'HIPPOCRATE
. Lien
-- 1°) Mon objectif prioritaire sera de rétablir et de préserver la santé physique et psychique des hommes sur le plan individuel et collectif .
Cet objectif prendra en compte le contexte de l’environnement professionnel tout en respectant celui du patient, et du vivant dans son ensemble.


Os court :<< Rien ne peut servir à tout, mais tout peut très bien ne servir à rien. >>
Pierre Dac


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