L'affaire baclofène

6 février 2012

Dr François-Marie Michaut
lui écrire

Tel un serpent de mer nous revient régulièrement l'annonce de la découverte d'un traitement miracle pour des maladies réputées rebelles. Depuis la déesse Panacée, fille d'Esculape le dieu d'Hippocrate et soeur d'Hygie , cela n'a pas cessé.
    Quand les pathologies en question sont causées par des comportements humains, ce qui a tendance à faire facilement traiter en coupables leurs victimes, la dimension émotive occupe facilement le premier plan. Ces gens qui causent eux-mêmes leur maladie par leur manière de vivre, voilà qui choque beaucoup de gens, qu'ils soient ou non des soignants. La maladie alcoolique, longtemps rangée dans la catégorie des vices, surtout dans sa version féminine, n'échappe pas à ce sort. Pour le plus grand malheur de ceux qui sont pris dans le piège mortel de la dépendance ou de l'addiction, si vous préférez.

Retrouver la confiance

Le combat a été long et rude pour que les esprits médicaux, demeurés figés par les réflexes hospitaliers de rejet de leur apprentissage initial, admettent que ces patients peuvent et doivent être soignés, comme tous les autres. Ayant participé à cette évolution des esprits depuis les années 1970, je peux en témoigner directement.
Le rapport traditionnel entre les malades alcooliques et les médecins, trop longtemps placé sous le signe de la défiance réciproque, finit quand même par évoluer. Au fil du temps et des efforts de connaissance effectués, un certain degré de confiance se fait heureusement sentir. Les médias ont appris à tenir leur rôle de vulgarisation. La science médicale a cherché à mieux comprendre les mécanismes de dépendance, et la recherche de traitements utiles est toujours d'actualité.
   Le docteur Olivier Ameisen, cardiologue de métier, non sans courage, livre au public sur son site son propre témoignage de patient ayant vécu le problème de l'intérieur.
Il nous raconte la rencontre qu'il a faite au cours d'un long cheminement thérapeutique avec le baclofène. Ce remède déjà ancien, utilisé uniquement comme décontracturant musculaire en neurologie et en rhumatologie, sans vouloir entrer dans les détails, fait partie de la famille chimique des azépines.

Restaurer la conscience

Olivier Ameisen a été frappé par une étude pharmacologique effectuée avec des rats rendus dépendants de la cocaïne. Ces animaux traités par le baclofène deviennent alors indifférents aux alcaloïdes du coca. C'est ainsi que, par extrapolation à sa propre alcoolodépendance, il s'est autoadministré le même médicament.
   Un petit retour en arrière montre que la recherche d'une molécule capable de guérir les malades alcooliques date du milieu du siècle dernier. Le plus ancien, destiné à prévenir le redoutable délirium tremens (20% de mortalité), a été tout simplement l'injection intraveineuse d'alcool éthylique. De la voie buccale à la voie veineuse, il n'y avait qu'un pas, le même qui a été franchi à l'envers avec les héronoïnomanes et la technique de substitution.
Puis,ce fut le règne des substances dites de dégoût, avec l'espéral, nom commercial du disulfirame. Espoir de l'utilisation de l'effet antabuse rapidement tombé à l'eau, sans mauvais jeu de mots. Personne ne peut obliger qui que ce soit à prendre un remède.
Pratiquement tous les psychotropes ont été utilisés, avec des fortunes très diverses, et des effets indésirables nombreux que chacun connait maintenant.
Un autre traitement pharmaceutique a eu son heure de gloire. Il a été inventé en 1965, et là encore autoexpérimenté, par un médecin otorhino nommé Daniel Champeau. Il consiste en une «cure» d'injections intraveineuses rapides de sulfate de magnésium à 15%, selon un calendrier précis, produisant un «effet chauffant» dans l'organisme.
   Il est remarquable que, malgré la grande fréquence de l'alcoolodépendance dans les différents pays ( de l'ordre d'un adulte sur dix sur toute la planète) et de l'impact sanitaire qui en résulte, ces différents outils thérapeutiques aient été aussi peu évalués. Le jugement moral ambiant sur ces femmes et ces hommes qui font eux-mêmes leur maladie n'y est certainement pas pour rien.

Renforcer la compétence

Olivier Ameisen, aussi généreuse puisse se vouloir sa croisade pour un remède qui lui a été salvateur, peut inciter à une vision purement mécaniciste, pour ne pas dire moléculaire, des pathologies addictives dans leur ensemble. La dimension psychologique et culturelle considérable de l'alcoolisme, aussi évidente aux yeux des observateurs qu'elle demeure d'une exceptionnelle complexité aux yeux des spécialistes, ne doit pas être passée à la trappe. Il est plus facile de courir à la poursuite d'une supposée molécule-miracle pour gommer la dépendance que de se colleter avec notre incompréhension de ce qu'il y a derrière cette pathologie. Pourquoi certains trouvent-ils comme seule solution, toujours très mauvaise, à leurs difficultés pour exister ce qu'il y a dans une bouteille ? La médecine est incapable de répondre à cette question.
Le docteur Ameisen a trouvé comme ressort personnel de nouvelle vie la promotion de ce baclofène que, malade et médecin donc juge et partie, il considère comme ayant joué le rôle majeur dans le décrochement de son addiction personnelle au point de parler de «guérison».
Sans être un pharmacologue confirmé, la seule utilisation d'une azépine, comme je l'ai mentionné plus haut, devrait mettre en alerte. Qui ne connait actuellement dans le public les benzodiazépines, leurs effets secondaires et leur risque de dépendance ?
   Ne risquons-nous pas, comme nous l'avons déjà fait dans le passé et continuons massivement de le faire en matière de toxicomanie et de tabacologie, de transformer une addiction en une autre, dans un jeu douteux de chaises musicales ?

                                      Photo Jean-Claude Deschamps

  

Os court : « Celui qui peint une cible sur la porte de son jardin peut être certain qu'on tirera dedans. »
Georg Christoph Lichtenberg
(1742-1799, philosophe, écrivain et physicien)
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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