La France sort, encore toute ankylosée, d'une consultation électorale pour renouveler ses élus locaux. Comme chacun, je suis frappé par la détérioration de l'image de l'action politique au service de la communauté que traduit l'abstention importante des électeurs.
Laissons de côté les flots d'explications à la courte semaine, et prenons les choses par le début.
Chaque mairie, depuis plus d'un siècle, annonce la couleur de ses ambitions en affichant sur son fronton le célèbre tiercé : Liberté Égalité Fraternité. Le moins que puisse constater un observateur contemporain, c'est que cet idéal grandiose et généreux ne correspond pas vraiment à la réalité quotidienne que nous vivons.
Liberté, qui ne la souhaite pour lui-même ? Qui ne la sent pas menacée, voir bafouée, par de multiples atteintes, aussi légales et réglementaires puissent-elles être ? Qui ne la sent pas atteinte par ceux qui l'entourent, aussi proches ou différents qu'ils puissent lui sembler ? Cet idéal, malgré des progrès évidents par rapport à d'autres temps et à d'autres lieux du vaste monde, ne peut demeurer, sans fin possible, que ce qu'il est : un idéal irréalisable. Pour ne pas dire un mirage. Ou, mieux encore, une promesse électorale impossible à tenir. Une de plus, une de trop.
Alors, qu'est-ce qui pourrait bien rendre les hommes moins prisonniers des systèmes sociaux dont ils font partie ? Moins vulnérables aux embrigadements de toute sortes, plus que jamais à l'oeuvre dans les relations humaines telles qu'elles sont ?
Le constat n'est pas nouveau, il a été fait au siècle des Lumières par tous les grands esprits. Il porte un nom, celui-là même qui a animé Voltaire, Diderot et les encyclopédistes : la connaissance. Faire marcher au mieux ce que nous avons de plus humain et de plus personnel en nous : notre cerveau.
Tout faire pour que connaître, comme son nom le dit, soit une deuxième naissance, celle de l'esprit. Naître avec, ce n'est pas rien. Ce n'est pas une promesse de félicité descendue du ciel, c'est un effort de toute une vie à encourager pour que la société toute entière, tout autant que la personne concernée, puisse en bénéficier.
Alors, oui, Manon Roland, guillotinée en 1793, avait raison. Il ne serait pas mal de retenir la connaissance en lieu et place de la liberté au nom de qui tant de crimes dans le Monde ont été commis.
Égalité. Le qualificatif mathématique, raide comme la justice, eut sa nécessité quand la monarchie s'effondra. Les progrès de la science nous apprirent deux choses. D'une part , malgré les apparences et les croyances antiques, les êtres humains sont strictement semblables d'un bout à l'autre de la planète : nous sommes tous des homo sapiens sapiens dotés du même cerveau. Mais, et ceci n'est pas contradictoire, que chacun de nous est un être génétiquement absolument unique, à la fois biologiquement et culturellement. Inégalité devant tous les aléas de la vie, c'est le pain quotidien de ceux qui soignent les autres.
C'est peut-être alors la notion de justice, de justesse, qui doit devenir prioritaire.
À l'impossible égalité, pourquoi ne pas substituer l'équité ? Les enfants eux-mêmes ont un sentiment aigu de ce qui est juste (équitable) et de ce qui ne l'est pas. Il est toujours là chez les adultes, si on veut bien les écouter.
L'équité est un genre difficile ? Certainement, mais il donne à chacun une raison de faire valoir ce qu'il estime être ses droits.
La fraternité est une proximité dangereuse. Nos ancêtres Caen et Abel ont bien marqué nos débuts. Les faux frères courent les rues et les luttes fratricides remplissent les colonnes des journaux ! La famille, les médecins le constatent aussi chaque jour, n'est pas le havre de paix et d'entente que l'on voudrait nous laisser croire.
C'est toute une idéologie implicite, de plus en plus discutée, qui est sous tendue par la fameuse notion de fraternité. La remplacer par la solidarité est tentant. Mais de quoi, et pour quelle raison objective, dois-je me sentir solidaire (in solidum = en tout) de gens que je ne connais pas obligatoirement ?
Je n'ai pas la réponse.
Comme tous les autres, sans exception, répondre de ce que je fais, ou ne fais pas, aux autres, me semble donner une direction générale beaucoup plus concrète à mes façons de me comporter avec les autres.
Voilà pourquoi, il peut être parlé, à la place de l'ambigüe fraternité, de responsabilité. Tout simplement, là encore qui que l'on soit dans le concert social, petit, moyen ou grand, la capacité et l'obligation de répondre de ses actes.
Connaissance, équité, responsabilité, dûment affichés, cela ne vaudrait-il pas, juste en trois mots, un certain nombre de programmes attrape électeurs et autres absconces feuilles de route ?
Mais, chut, restons les pieds sur terre, on est en France, pays hautement conservateur : il est bien des icônes intouchables chez nous. Jusqu'au jour où, sans prévenir les veilleurs d'opinion, les esprits se réveillent.
Cliché J.C.D.