Cet impératif latin, avec toute la concision vocale du son é terminal, fut la devise de Baruk Spinozza. Le personnage, beaucoup moins bien connu des médecins que son prédecesseur René Descartes, a la réputation d'un philosophe à la pensée particulièrement ardue, si ce n'est franchement sulfureuse.
« Caute » peut se comprendre comme « Fais attention », nous rappelant l'avertissement anglais en cas de danger : caution. Faire gaffe nous recommande notre penseur.
Au premier regard, rien qui puisse prendre à contre-pied un soignant. L'attention portée à ceux qui rencontrent la maladie, l'accident, la mise au monde des enfants ou le handicap sous toutes ses formes est une obligation professionnelle majeure. Sans elle, aucune injonction comportementale comme le fondamental « d'abord ne pas nuire » n'est envisageable.
Faut-il alors considérer cette consigne de vie comme une sorte d'ancêtre de notre caoutchouteux, et contemporain, principe de précaution ? Ce serait, à mon avis, rester à la surface de notre investigation.
La vie courte ( 1632-1677) du philosophe flamand, et, pour vivre, polisseur de lentilles, a été un roman. Il est né à Amsterdam d'une famille juive expulsée avec tous les Séfarades de son portugal originaire par Isabelle la Catholique en 1492. Ses écrits, bien que rédigés par prudence en latin, ont conduit à son exclusion de la synagogue de sa famille quand il n'avait que 24 ans. Bento pour sa famille, Baruch pour sa communauté israélite, devint alors Benoit ou Benedictus. Quatre prénoms pour un seul homme !
Ce ne fut pas, pourtant, un bouclier efficace, et son oeuvre, avec en tête la fameuse « Éthique » fut mise à l'index par les autorités chrétiennes du moment. L'homme, manoeuvrant habilement, n'a été ni inquiété, ni réduit au silence. S'il est mort à 45 ans, c'est de maladie, probablement d'une silicose secondaire à son métier de polisseur de verre.
Spinoza a laissé une oeuvre écrite, sans trop se soucier de savoir s'il était suivi par ses contemporains. Pendant plus de trois siècles, il est resté largement méconnu. La pensée cartésienne, du moins ce que les esprits ont pu en comprendre, est demeurée la seule vraiment prise au sérieux par les esprits scientifiques. Descartes est devenu le pape incontesté du rationalisme dont se réclame la science.
Cependant, grace au miracle de l'écrit livresque, une pensée peut demeurer en dormance pendant des siècles puis soudain surgir à nouveau de l'oubli et s'imposer magistralement parce que nos esprits ressentent sa nécessité. Au sens philosophique, ce qui ne peut pas ne pas être.
C'est curieusement un grand maître de la neurobiologie qui nous ouvre cette voie, la seule selon lui, qui puisse permettre à sa discipline de sortir de ses impasses. Il se nomme Antonio R.Damasio, dirige le département de neurologie de l'Université de l'Iowa (USA) et a écrit plusieurs livres.
En 1995 : « L'erreur de Descartes. La raison des émotions », puis en 2003 (Odile Jacob) « Spinoza avait raison. Joie et tristesse, le cerveau des émotions ».
Les apports scientifiques les plus récents se révèlent d'une grande pertinence, et il est certain que chaque médecin ne peut que prêter la plus grande attention à un éclairage totalement nouveau de notre façon habituelle de concevoir notre fonctionnement mental. Plus que jamais la question de l'indépendance d'esprit des médecins est de toute première importance.
À mes yeux - et il n'y a aucune raison que je sois le seul - le « Caute » mérite d'être et de demeurer un grand principe pour ceux qui veulent penser librement.