« Avec la maladie dont vous êtes atteint, vous avez trois mois à vivre». Qui d'entre nous n' a jamais craint de recevoir en pleine figure ce type de prédiction médicale ? Bien entendu, les propos doctoraux peuvent être moins brutaux, en invoquant (fort justement) des variabilités individuelles dont la médecine connait l'existence, mais non la ou les causes. Il est habituel, dans ce type de situation, de faire appel aux statistiques. « Au bout de cinq ans, avec le traitement que je vous propose, 85% des malades sont encore en vie ». Le médecin a ainsi le sentiment confortable de répondre de façon scientifique à son devoir d'information du malade. Du côté du patient, c'est infiniment moins confortable. Vais-je être, moi, dans le lot fatal des 15%, ou dans celui majoritaire des sursitaires ? Que chaque option soit dominante ou non, probable ou pas, cela ne me dit rien, et ne peut rien me dire, sur la seule chose qui m'importe vraiment au premier chef : qu'est-ce qui va m'arriver. Ma petite peau, parlons franc, c'est quand même ce qui me touche au plus près.
Si l'évolution de chaque maladie est, depuis fort longtemps, soigneusement répertoriée par les médecins sous le terme de «formes cliniques» ( plus précisément de formes évolutives d'une pathologie), la science médicale ne sait toujours pas pourquoi et comment il existe une telle variabilité selon chaque personne.
Les études épidémiologiques, tout comme la pharmacologie et la thérapeutique, nos indispensables outils de travail, doivent faire face à des réalités aussi polymorphes qu'imprévisibles. Imprévisibles (cf la faiblesse du pronostic médical quand il est appliqué à une seule personne), cela nous dérange beaucoup. Les lois de la physique, notre colonne vertébrale intellectuelle depuis trois siècles, sont fondées sur le seul déterminisme. Nous avons appris que tout ce qui arrive, sans aucune exception, dépend du mécanisme de cause à effet. Curieux univers de la certitude qui se heurte aux imprévus constituant le quotidien observé par les soutiers de la médecine. Chaque malade est un cas unique est une lapalissade.
Pour faire cadrer le déterminisme, véritable dogme scientifique soutenant le darwinisme, avec les variations des observations vécues, il a fallu inventer un système d'adaptation. Il fait appel à la notion de hasard. Ce qui est une façon habile de dire que nous ne comprenons pas pourquoi telle chose survient ou... ne survient pas. La chance, souvent la malchance, hélas, en cas de maladie, dit exactement la même chose. Être né sous une bonne ou une mauvaise étoile dit le proverbe.
À défaut d'explication de ces ratés de la causalité classique, l'indétermination de la réalité de demain (comme la prédiction de la météo, la balbutiante médecine prédictive (1) ou... la prévision des pandémies) se prête à de brillants modèles mathématiques. C'est le règne des statistiques, qui contamine toutes les sciences dites humaines.
La physique elle-même en fait le plus grand usage, sous le nom de physique statistique. La médecine, confrontée avec sa méthode d'essais en double aveugle (2) à des observations de résultats thérapeutiques obtenus avec des molécules dénuées d'effet pharmacologique connu, se heurte à un mur. Le baptiser effet placebo (du latin je plairai) ne retire rien à son mystère : chez des patients statistiquement comparables à défaut d'être semblables, les mêmes causes n'entrainent pas les mêmes effets thérapeutiques. Paradoxe quelque peu gênant, vous ne trouvez pas ?
Puissent la magie des chiffres et la fascination des algorithmes et des courbes ne pas nous fermer totalement les yeux sur tout ce qui nous reste encore à étudier et à connaître pour soigner encore mieux toutes nos maladies.
Si nous pouvions avoir conscience que l'abus, par toutes les disciplines scientifiques, y compris les plus «moles», de la notion de hasard maquillé en calculs statistiques, est un frein évident à une telle clairvoyance, un pas important serait franchi.
Notes :
(1)Sur la médecine prédictive, et ses limites, bref aperçu
(2)Dans l'expérimentation en double aveugle, le patient comme le médecin ne savent pas s'il est administré un médicament supposé efficace ou un leurre sans activité thérapeutique. Il est donc impossible, même si c'est souvent dit dans les milieux médicaux, à un praticien de prescrire un placebo. Un autre nom devrait être inventé pour désigner cette stratégie thérapeutique à visée diagnostique relevant du «simple aveugle». NDA
« Les statistiques, c'est comme le bikini : ça donne des idées mais ça cache l'essentiel.»