France-Info, rompant avec sa routine décérébrante de fournisseur à jet continu de dépêches d'agences de presse, a eu l'excellente idée de consacrer, durant le mois d'août, une série d'émissions radiophoniques aux indiens Kogis.
C'est grâce aux travaux d'Éric Julien, géographe et alpiniste, que nous en savons un peu plus sur ce peuple de Colombie qui a su, jusqu'à ce jour, et sans succomber aux sirènes consuméristes, maintenir ses traditions les plus anciennes.
Comment ont-ils réussi à maintenir leur identité amérindienne dans un continent maintes fois mis en esclavage et pillé sans vergogne, au moins depuis les conquistadors ? Sans céder aux sirènes faciles du mythe du bon sauvage à la Jean-Jaques Rousseau, dynamisées par le sirop écologique à la sauce New-Age, cela mérite quelques instants de réflexion.
Le tropisme revendiqué de ce lieu d'expression pour les questions ayant un rapport avec la santé m'impose sa propre limite. Il se trouve qu'un des personnages les plus important du peuple Kogi (comme de beaucoup d'autre qualifiés par notre ignorance de «primitifs») est l'homme médecin. Certes, en bon guérisseur, il a pour fonction de soigner les malades et les blessés. Mais ce n'est que l'un de ses attributs. Le mamu, homme ou femme a bien d'autres rôles, dont celui d'accompagner, en enrichissant de ses connaissances propres de la nature, la collectivité toute entière. Il peut ainsi être architecte, astronome, philosophe, sorcier ou guide spirituel sans jamais disposer de pouvoir politique. Ce type d'individu est de la plus haute importance dans une société où chacun, enfants compris, doit déterminer, avec tous les débats nécessaires, ce que doit faire la collectivité, et pourquoi et comment elle doit le faire.
Ce qui m'a le plus frappé, c'est la façon dont sont formés les mamus. Leur éducation, très rigoureuse, commence avec la mère dès la fécondation et la gestation. Dès le sevrage, les apprentis, filles comme garçons, sont élevés seuls dans un endroit fermé à la lumière du jour, dont ils n'ont le droit de sortir que la nuit. Cette réclusion les empêche de voir de leurs yeux le milieu dans lequel ils vivent. Leur perception de la réalité extérieure est assurée par la longue formation assurée par les anciens, obligatoirement orale.
Cette claustration n'a rien d'anecdotique, elle peut durer dix-huit ans. La majorité légale chez nous ! À la surprise des observateurs étrangers, ces jeunes non seulement ne sont nullement dépaysés quand ils voient le soleil, la mer, les animaux ou les plantes, mais possèdent une extraordinaire connaissance de leur environnement et des acquis culturels de leur société.
Cultiver uniquement, et prioritairement, les facultés du cerveau et de l'apprentissage avant que les images du monde ne viennent distraire, parfois à vie, des encéphales qui n'ont pas achevé leur croissance physiologique, le principe ne manque pas d'intérêt et, peut-être de sagesse pour un monde lobotomisé par les images et les seules apparences de la réalité.
« Il y a tant de maisons, tant d'immeubles, tant de voitures, de routes et de bruits chez vous...
Qui peut encore entendre quelque chose ?»