Commençons par balayer devant notre porte. Dans n'importe quelle discipline scientifique, il existe une profonde différence entre deux niveaux de connaissance.
D'une part il y a ce que les enseignants cherchent à transmettre à leurs élèves. Peu importent l'âge et le niveau d'études de ceux-ci, ce qui doit être transmis, c'est l'état acquis, à un moment historique donné (donc déjà dans le passé) par une discipline donnée. Il est défini par l'opinion dominante de ceux qui en sont les experts reconnus par la majorité de leurs pairs. Les médecins et les juristes disent volontiers : dans l'état actuel de la science.
L'obtention des diplômes est directement dépendante de la capacité des candidats à se fondre dans ce moule intellectuel. Les carabins en font la dure et longue expérience. Il est bien difficile, et probablement fort risqué, d'imaginer qu'il puisse en être autrement. La bonne vieille imitation, si chère à René Girard, en constitue le moteur indispensable.
À côté de ce corpus solidement organisé, même s'il est en perpétuelle discussion ( la méthode scientifique en fait une obligation) , chaque discipline poursuit son évolution interne. C'est ce qu'on nomme la recherche. Au lieu d'une apparence rassurante de stabilité des connaissances, règne dans ces avant gardes du savoir le doute, la contestation des acquis, la discussion et des querelles parfois violentes. Le savoir, devenu de plus en plus incompréhensible pour les non initiés, prend une autre valeur. Il n'est plus solidement assis pour toujours, il est en construction constante, avec toute la fragilité que cela comporte.
Mais, sans cette science en mouvement, fort bien illustrée par Philippe Guillemant dans son livre La route du temps, toute science est condamnée à périr.
Dans la vraie vie de tous les jours, me direz-vous, il n'y a pas que la science. Les domaines de la connaissance humaine acquise au fil de l'histoire humaine sont multiples. Comment ne pas remercier tous nos devanciers du fabuleux héritage de leurs efforts et de leurs travaux pour comprendre le monde, le cosmos et les humains.
Le respect de la laïcité, que notre culture nationale met judicieusement au premier plan en ce moment, ne doit pas empêcher de considérer que les savoirs accumulés par les religions sont de véritables connaissances qu'il est important de comprendre, en les traduisant en des termes accessibles à notre « modernité ». La question de l'apprentissage non confessionnel des messages véhiculés par les grandes religions est d'une brulante actualité. Ce religieux que nous avions naguère tendance à considérer comme faisant partie d'un passé révolu nous explose à la figure, et nous n'en savons plus grand chose. Pas loin d'un siècle à l'avance, Malraux l'avait prophétisé, notre avenir passe par là.
Il n'y a pas sur la planète que nos trois religions cousines, dites monothéistes. Les autres continents ont tous développé des traditions religieuses que les anthropologues, à la suite des missionnaires et des explorateurs, ont répertorié et étudié en détail depuis des dizaines d'années. Et là, surprise. Même si les expressions sont différentes, même si les rites et les cultures divergent, tous les hommes racontent la même chose. Notre monde est issu d'une création par des principes divins. Toutes les traditions, finalement, se résument à une seule Tradition.
Il me semble que dès qu'on parle de religion (le mot lui-même met mal à l'aise tant ce qui divise semble plus fort que ce qui relie), deux réalités bien différentes sont mélangées.
- Le plus voyant demeure les institutions, personnifiées par leur clergé, que chaque confession se donne afin de regrouper le plus grand nombre possible de fidèles. Une connaissance de ce qu'il faut croire pour le plus grand nombre est alors diffusée, le catéchisme ici, la Torah là, le Coran partout.
-Toute religion cultive aussi, mais pour un tout petit nombre, un autre niveau de connaissance. Il est généralement désigné sous le nom de mystique. La parenté avec le terme de mystère est flagrante. Ce qui est mystérieux est obligatoirement caché, et donc dangereux pour qui n'est pas préparé à le rencontrer. Des choses ne doivent pas être dites, elles doivent demeurer réservées aux seuls initiés qui s'engagent eux-mêmes à en conserver le secret. C'est le principe de toutes les sociétés secrètes dont les historiens et les anthropologues nous ont appris l'existence.
Cela n'a peut-être pas été assez repéré, mais les grands représentants de ces savoirs cachés, sans en apparence se concerter entre eux, ont pris la décision au XXème siècle de révéler à des scientifiques ce dont ils étaient dépositaires. Marcel Griaule avec les Dogons du Mali, Carlos Castaneda avec le sorcier mexicain Don Juan Maltus ou les livres du medecine man sioux Archie Fire Lam Deer, l'ancien cascadeur de Hollywood. Pour mémoire, il faut citer ici les travaux remarquables sur les Mayas du toxicologue américano suédois Carl Johan Calleman.
« Sous les pavés, la plage » affirmaient poétiquement les étudiants de mai 1968. Pour le cerveau humain, et quoi que fassent pour vitrifier à tout jamais leurs croyances, sous le sceau du blasphème, tous les fondamentalistes de la planète, sous le savoir - y compris le leur - il y a toujours un autre savoir.
Alors, fouillons sans crainte ce qui se cache sous ce que montrent les religions et toutes les traditions du monde. Le savoir rationaliste occidental tonitruant peut, paradoxalement, et sans se renier lui-même, y trouver des solutions imprévisibles aux impasses mortelles qu'il connait. La survie de la terre est dans la balance des possibilités à court terme.
Le temps des guerres de religion, malgré les terribles soubresauts sanglants qui en marquent la clôture, est déjà du passé. L'avenir, c'est un tout autre combat. Il est, lui, première entièrement neuve dans l'histoire de l'humanité, sans violence : c'est la guerre pour le savoir sans frontières.
( Cliché Jipé )
« Le beaucoup savoir apporte l'occasion de plus douter. »