En deux dizaines d'années, la cinquième puissance planétaire est parvenue à une paradoxale situation de pénurie de médecins. Avec une formation universitaire et hospitalière de qualité, réputée dans le monde et toujours très prisée des jeunes générations, nous connaissons une sorte de disette des soins. Ce que les journalistes nomment, avec quelque emphase racoleuse, la désertification médicale. Chaque année, cependant un peu plus de diplômés sont certifiés, et chaque année de moins en moins de praticiens travaillent dans les cabinets médicaux des campagnes, des banlieues et même des villes comme Paris. Des médecins en exercice de plus en plus vieux et de plus en plus rares n'autorisent pas le moindre optimisme pour l'avenir.
Que s'est-il donc passé ? Voici quelques points de repère.
- Dans les années 1990, les économistes appelés au secours pour remédier à l'emballement des dépenses de l'assurance maladie obligatoire ont été formels. Pour juguler le déficit, il suffisait de diminuer l'offre de soins pour faire fondre la demande des patients. Ce fut l'âme du plan Juppé de 1995, instauration du MICA (1). Echec complet, et abandon du dispositif en quelques mois.
- Chaque année, les députés, sur on ne sait trop quels critères autres que comptables, votent l'ONDAM. Traduction : objectif national des dépenses d'assurance maladie. En fait un simple taux d'augmentation qui demeure sans effet sur le creusement du «trou» de la sécurité sociale.
- Tous les ans encore, nos parlementaires votent le nombre d'étudiants en médecine à admettre en 2ème année d'études. Numerus clausus longtemps maintenu, et dont l'élargissement timide aux besoins de la profession ne peut être suivi d'effet qu'au bout d'une bonne dizaine d'années. Prévoir ce qui sera dans dix ans n'est pas dans la culture des hommes politiques.
- Monopole quasi absolu (2) de l'enseignement médical exercé par les plus titrés de la seule fonction publique hospitalière. Nous sommes sous le régime de la médecine d'État.
- Persistance de la négation de l'importance humaine de la médecine individuelle en dehors de la sphère des hôpitaux publics.
- Négligence de toute recherche de grande envergure dans le domaine de la médecine générale, discipline laissée en jachère.
- Impossibilité de fait de toute promotion professionnelle pour les médecins non fonctionnaires.
Cet arrière-plan systémique, nos étudiants ont tout loisir de l'observer au cours de leurs longues études. Et d'en tirer, pour leur propre vie, une conclusion sans appel. Tout sauf ouvrir leur propre cabinet. L'image désespérante qui est renvoyée par un tel système deshumanisé est repoussante.
Les espoirs fournis par la technoscience (3) et ses algorithmes magiques sont tombés à l'eau.
L'avenir, car il ne peut pas ne pas en survenir un, est entre nos mains de citoyens. Faisons marcher nos cerveaux sans oublier d'écouter nos coeurs. Les solutions toutes faites venues d'un en haut auquel nous ne pouvons plus croire, tant leurs résultats sont destructeurs, c'est définitivement terminé.
Au travail.
Notes :
(1) Mécanisme d'Incitation à la Cessation d'Activité consistant à mettre en pré-retraite les médecins dès 57 ans, au lieu des 65 ans habituels.
(2) La seule exception à ce statut issu du Premier Empire est celui de l'Université Libre de Lille.
(3) Odile Marcel http://www.exmed.org/exmed/odmar.html
Os court :
« Nous sommes questions qui doivent demeurer questions.»
Patrick Levy
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