Ne vous arrive-t-il pas de tomber en arrêt sur un mot, comme un chien de chasse devant un gibier ? Aucune raison consciente, aucun impératif pratique immédiat en vue : quelque chose semble s'imposer de lui-même. Deux options sont possibles. Soit rejeter sans ménagement l'importun, soit se risquer intellectuellement à prendre la piste inattendue qui s'ouvre ainsi.
Débattre m'est un jour apparu sans crier gare. Il y a de la bataille, comme de la battue ou du battage là dedans. De la force et même de la violence. Surgissent vite quelques cousins de la même famille comme combattre, rebattre, rabattre ou, pour notre grand plaisir ébattre (1).
Se souvient-on que de 1789 à 1944 exista un Journal des débats où publièrent, notamment, Honoré de Balzac, Victor Hugo où Eugène Sue ? Naissance avec la Révolution, disparition à la Libération pour accusation de collusion avec la France de Vichy.
Débattre, c'est parler ensemble d'un sujet bien précis. Ce peut être scientifique, dans des revues ou des congrès, au café, dans une salle de réunion, ce peut être parlementaire, c'est aussi judiciaire au cours des procès. La pratique est donc encore bien vivace depuis celui, plus que bimillénaire, des places publiques des cités de l'antiquité gréco-romaine. Les récents débats télévisés des élections américaines et françaises laissent sceptiques les observateurs attentifs. Chacun n'est là que pour faire valoir la supériorité des projets qu'il personnalise. D'échanges, il n'y en a pas, si ce n'est pour combattre l'autre en face en le déstabilisant aux yeux de l'opinion des spectateurs électeurs. Jamais d'issue dans ce style de débat, chacun reste sur ses positions : le seul vainqueur est issu des urnes.
Discuter à perte de vue, comme le faisaient jadis les scholastiques des universités médiévales n'est plus de notre époque, se voulant pratique et efficace dans l'action. Rendement économique oblige. Il y a belle lurette que les médecins n'invoquent plus pour se les opposer les écrits d'Aristote, de Maïmonide ou d'Hippocrate !
Débattre mérite un autre sort en 2017. Pour beaucoup la vie est un combat, alors on se bat avec tout et avec (presque) tout le monde, y compris contre soi-même. La Terre ne cesse de connaitre des guerres et des affrontements : la violence se porte très bien. Les menaces terrifiantes d'armes de destruction massive, nucléaire, chimique ou bactériologique s'entrecroisent entre nos nations pas du tout unies.
Accepter de s'asseoir ensemble en accordant à l'autre la dignité d'interlocuteur quelles que soient les divergences est le principe fondateur de toute diplomatie. Souvenons-nous quelle langue fut utilisée longtemps : le français du 17ème siècle aux années 1920. Les mots, leur musique, leur richesse ont donc toute leur importance pour que les points de vue puissent s'exprimer au mieux. Nous avons la chance d'avoir cet héritage remarquable
Parce que débattre, le verbe nous le dit tout net, c'est sortir de la destruction que comporte toute bataille. Comme jamais, partout, pour tous et sur tous les sujets (2) la culture du débat mérite d'être promue. Peu importe qu'elle conduise à un accord, à un compromis ou à une fin de non recevoir. Ce ne sont que des réalités d'un instant, aussi fluctuantes dans le temps que l'est notre monde vivant. Naissance, vie, mort se renouvelant en des cycles permanents : la biologie ne nous dit rien d'autre.
Ces considérations sur un simple verbe semblent un peu absconses au lecteur ? Alors, pour la détente, un tout petit conseil pour éviter la noyade. Ne pas se débattre.
Notes:
(1) Se détendre en gesticulant, en courant, etc. ; folâtrer, jouer . affirme le dictionnaire Larousse. On n'oublie pas pour autant les ébats amoureux.
(2) C'est, hélas, l'attitude que refusent avec tant de violence tous les intégrismes. Les religieux de tous les temps, nous le savons bien, n'étant pas les moins meurtriers.
Os Court :
« Il vaut mieux débattre d'une question sans la régler que la régler sans en avoir débattu. »
Joseph Joubert (1754-1824)
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