24 septembre 2018
Le Coup d'Oeil d'Exmed du 14 septembre évoquait l'idée simplement logique de se doter d'un cahier des charges pour assurer au mieux la formation des médecins de demain. Risque de dérapage vers de grands principes hors de toute réalité : souvenons-nous de la réforme des études médicales du professeur Robert Debré, ami personnel du général De Gaulle. Il fallait détrôner la médecine américaine triomphante en décrochant plus de prix Nobel qu'elle !
La bombe politique prestigieuse des CHU (1) fait pschit sous nos yeux. À souligner que, depuis 1958, l'institution en situation de monopole, a généré un effet secondaire remarquable. Le développement exponentiel de toutes les spécialités, de plus en plus techniques et hyperspécialisées. Chacun, bien humainement, cherchant à occuper un créneau nouveau où il puisse exceller comme hyper-expert.
Balkanisation des savoirs hospitaliers les plus spectaculaires ; le public adore les miracles de la médecine et écoute volontiers les sirènes de la pensée transhumaniste (2). Le prix de ce mouvement confondu avec les progrès de la médecine est celui de la disparition de la médecine générale comme discipline digne d'intérêt, malgré les efforts de quelques courageux et rares résistants que je salue. Comment alors s'étonner que les rangs des médecins de famille exerçant en cabinet privé (3) fondent comme neige au soleil ?
La situation de la médecine générale en France, pourtant plébiscitée comme aucune autre profession par le public (4), est-elle désespérée ? Ce n'est pas certain. À une condition. Comprendre ce qui constitue l'âme de la fonction du médecin indépendant.
Cela a été rigoureusement étudié en Grande-Bretagne, et formulé en 1957 par le psychiatre Michael Balint (5) dans une formule lumineuse. Exercer la médecine de famille, c'est construire et entretenir avec chacun de ses patients une compagnie d'investissement mutuel. On est là dans une dynamique qui n'a rien à voir avec l'actuel millefeuille de petits morceaux de spécialités dont on espère qu'un miracle se produira dans la tête du jeune praticien pour que cela produise en clientèle des soins de qualité ! Apprendre avec des gens qui le vivent eux-mêmes ce qu'est cette « compagnie d'investissement mutuel» ( CIM pour les gens pressés ?) , quelles en sont les exigences, les joies, les peines et les limites pour les sociétaires, de quelque côté du bureau de consultation se situent-ils et se confrontent-t-ils sans limitation dans la durée. C'est bien autre chose au niveau du sens que du dressage de super-techniciens pour dépanner des machines humaines passives en panne. Ce n'est soumis à aucun schéma économique, à aucune contrainte matérielle ou organisationnelle. Oui, il y a bien une ligne de fracture entre la conception de Debré et celle de Balint. La dynamique purement hospitalocentrée est à bout de souffle, et ce n'est la faute de personne. L'énergie portée par Balint faisant intervenir comme déterminantes des valeurs non matérielles a été négligée. Le désarroi profond vécu par nos professions comme par nos patients (6) nous contraint à le prendre, enfin, au sérieux.
Ne pas en tenir compte est condamner un peu plus notre société à une redoutable deshumanisation.
Le match Debré-Balint peut conduire à un KO, mais sûrement pas à un chaos. Alors on ouvre les paris ? Oui, les paris sur notre intelligence nationale, un pari pour que vivent les Compagnies d'investissement mutuel, un pari que nous comprenions que la technoscience (7) n'est pas une philosophie ultime mais un simple et admirable outil qui doit rester à sa place. Toute sa place, rien que sa place.
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Correction :
Dans la première rédaction de ce texte, j'ai fait une erreur sur la citation de Balint. Il ne s'agit pas de société mais de " compagnie d'investissement mutuel". Un compagnon, c'est plus chaleureux qu'un sociétaire. Puisse Balint ne pas se retourner dans sa tombe.
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Os Court :
« Ce qui épuise, bien d'avantage que toute maladie, c'est la désespérance. »
Max Dorra (6)
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