29 octobre 2018
Les esprits s'échauffent, les producteurs de sensationnel applaudissent et les marchands de nouveauté ouvrent de façon pavlovienne leur tiroir caisse. La coqueluche (1) des promoteurs de la pratique médicale de demain a pour nom la télémédecine. Soigner à distance, telle est l'ambition. Ne plus avoir à se déplacer, ne plus attendre : tout, tout de suite, sans effort. Le rêve en ces temps où les médecins de chair et d'os vieillissent et sont de moins en moins nombreux dans de nombreux secteurs urbains et ruraux.
Avons-nous oublié que la rencontre avec un soignant nécessite tout un processus social ? Contact téléphonique avec le cabinet pour exposer rapidement son attente, négociation de la réponse apportée pour fixer les modalités de la rencontre au cabinet ou à domicile. Ce cérémonial n'est pas neutre ; le «j'ai appelé le docteur - ou son patronyme plus souvent» est la formule traditionnelle des familles. Le code de l'entrée en soins médicaux.
Pensez-vous que seule l'image d'écran tronquée du médecin que vous n'avez jamais rencontré auparavant peut vous suffire pour établir un contact humain vrai avec lui/elle ? Tenons-nous pour quantités négligeables le contact de la poignée de main et de l'examen clinique ? Les informations véhiculées par les odeurs émises ou perçues, l'expression corporelle des gens en face à face n'ont vraiment aucun rôle dans l'établissement d'une relation authentique ?
Simples détails diront certains. Ont-ils compris que les émotions (2) sont indissociables de toute intervention à visée thérapeutique ? Et que la froide analyse des symptômes se voulant scientifiquement objective est une voie sans issue.
Comment peut bien fonctionner dans sa tête le médecin pratiquant la télémédecine quand il ne partage aucune histoire commune avec le patient, aucune connaissance concrète de sa personne ? Il est obligé de se conformer à une méthode d'investigation standard, n'étant pas très éloignée dans son principe de la check list du pilote d'avion. Ou des classiques et réputés pédagogiques arbres de décision. Les pratiquants de cet exercice sont contraints , pour ne pas s'égarer dans l'inconnu, de se fier totalement aux algoritmes (3) des enseignements qu'ils ont reçu de leurs maîtres. Comme un pilote, là encore, ne peut que naviguer aux instruments au milieu des nuages. Il n'est pas évident de faire comprendre à des non médecins quelle est la différence entre une rencontre médicale directe et une séance de télémédecine. Le résultat apparent est le même : la production d'un diagnostic et la prescription d'un traitement. Subordonnés aux écrans numériques que nous sommes devenus, un parallèle simple peut nous éclairer.
Chacun sait ce qu'est la téléréalité, cette mise en scène par des gens de spectacle de situations tirées de la vraie vie des vrais gens. La téléréalité a l'apparence de la réalité, juste rendue plus spectaculaire pour être plus attrayante. Mais, comme la pipe de Magritte, elle n'est pas la réalité (4).
Alors, nous les malades présents ou futurs, juste un petit peu plus informés de ce qui est en cause, avons-nous envie de confier les yeux fermés notre vie ou celle de nos proches à cette forme d'exercice à distance de la médecine (5) ?
Est-il superflu ou indécent de demander aux potentiels bénéficiaires directs d'un tel système ce qu'ils en pensent ?
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Os Court :
« La téléréalité est à la vie réelle ce que la poupée gonflable est à l'amour : un simulacre inventé par des marchands à l'usage des esseulés.»
Philippe Bouvard
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