14 janvier 2019
Feuillets de Systémique Médicale (3)
Se débattre, c'est s'agiter dans tous les sens pour sortir d'une situation périlleuse. Débattre, c'est frapper fort. La syllabe initiale dé en indique l'intensité - et pas du tout comme j'avais tendance à le croire - un éloignement de la violence des gestes quand est dépassé le seul usage de la parole (1). Face à la nébuleuse, trop vite baptisée par son apparence sur les images de gilets jaunes en guise d'uniforme, les observateurs se, et nous, trompent en parlant de mouvement. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas capables d'écouter leur véritable langage. Pas celui des mots, des injonctions, des gesticulations en vue de manipuler les images pour frapper les imaginations. Ils sont tous plus contradictoires et imperméables à toute analyse causale les uns que les autres.
Pour un systémicien , c'est la façon de faire, la stratégie si vous voulez, qui est la plus parlante. Impossible de passer à côté : l'objectif partagé est qu'il faut bloquer. Traduit par un mot d'ordre, on entendrait quelque chose comme : STOP (2), on ne marche plus (3) dans un système qui écrase nos vies (4). Ceci n'est audible que si l'on fait l'effort de ne pas succomber à la tentation de se plonger dans le dédale des analyses factuelles de chaque catégorie de savoir. Les experts spécialisés patinent. On se sent « gilet jaune » parce que, comme les autres à côté dont on ignore tout, on est contre et que pour sauvegarder ce squelette d'identité : « on ne lâchera rien » est-il répété en boucle.
C'est à un délicat exercice de lecture en creux de ce qu'il est tellement important de se sentir dépouillé qu'il faut se livrer. En évitant autant que possible, par la rigueur de la pensée et l'expression bien calibrée, le risque de tomber dans des interprétations délirantes. Notre boîte à outil n'est pas complètement vide, je demande au lecteur l'autorisation d'en faire usage, aussi artisanaux soient ces instruments (5). Il est remarquable que ce qui se manifeste avec force en France sous cette forme existe dans de nombreux pays du monde avec le rejet des systèmes politiques traditionnels, des élites en général. Ou en fonçant dans des aventures extrémistes aux conséquences pour le moins inquiétantes. C'est la civilisation elle-même dont nous faisons partie qui est mise en question. Elle a pris sa source en Occident, poussée depuis deux millénaires par le dynamisme de l'expansion du christianisme . Elle s'y est fortifiée au fil des siècles en exploitant les sciences et les techniques. Dans une histoire cahotique et sanglante, avant d'aller conquérir et dominer la terre entière.
Magnifique réussite que cette culture venue de notre Occident dans l'histoire de l'espèce humaine. Tant d'autres, sur tous les continents, ont disparu sans crier gare. Hélas, tous les voyants sont au rouge. Nous ne pouvons plus ignorer, en 2019, que notre façon de nous comporter - bien au delà des destructions directement causées par nos activités - est en train de tuer la fragile planète sans qui nous ne pouvons plus vivre. Juste une ou deux générations en continuant ainsi, disent nos experts, et Homo Sapiens,comme ses frères animaux et végétaux, ne pourra plus vivre. Conscience écologique diront certains. Conscience systémique me semble plus exact, car cela dépasse de loin notre environnement matériel. Lutter contre la pollution ou sauver la biodiversité, ce n'est pas suffisant. Notre façon de penser notre monde connait une mutation sans précédent. Il n'est plus possible de nous imaginer comme le centre immobile tout puissant du vaste univers immuable à notre échelle.
Comment en sommes-nous parvenus à nous condamner nous-mêmes à disparaitre ? La question n'a rien de philosophique, elle est devenue une urgence vitale. Urgence absolue diraient nos réanimateurs. La masse de nos connaissances est telle - la technologie nous en assure la facilité d'accès - que nous avons un gros travail d'investigation à faire pour parvenir à comprendre comment et pourquoi nous en sommes arrivés là. Bien entendu, les sciences ont leur secteur d'investigation à faire valoir. Mais elles n'ont pas le monopole de la connaissance. Tout notre acquis culturel, avec une attention toute particulière à ce qui est jugé comme secondaire, insignifiant, démodé ou dépassé, est à passer au scanner des esprits les plus indépendants.
Nos amis chercheurs scientifiques nous ont appris qu'une recherche digne de ce nom ne peut pas exister sans que l'on ne parte d'une hypothèse clairement formulée. Peu importe si la suite du travail conduit à la valider ou à l'invalider, la méthode savante est non négociable (6).
Voici donc une hypothèse sur notre civilisation occidentale vacillante pour ouvrir le débat. Qui, à ma connaissance ou hors de cercles confidentiels, n'a encore jamais pu être abordé sans détour.
Nous avons poussé à fond une idée de la réalité ne prenant en compte que la partie de notre intelligence qui a le talent de faire des choses de plus en plus extraordinaires.
Comme si notre cerveau n'utilisait qu'un hémisphère : celui qui agit sur la matière ! Nous ne voulons pas prendre conscience que l'anatomie et la physiologie nous démontrent que nous ne sommes pas de simples machines à faire, qu'il y a un hémisphère qui sait et que c'est lui qui donne, ou non, l'ordre de faire à celui dont c'est la fonction. Bien d'autres traditions véhiculent le même message qui n'a plus rien de « secret » si on veut bien les écouter (7).
Pour le dire en d'autres termes, notre civilisation a pour règle jamais formulée que n'existe que ce qui est matériel et que tout obéit au déterminisme des seules lois scientifiques.
Un catéchisme scientifique (8) qui nous conduit à la disparition de l'Homo Sapiens, donc à la fin de l'évolution des espèces par incapacité d'adaptation; la pilule est amère. Le vieux thème de la fin du monde, sans intervention de quelque force supérieure que ce soit, revient sur le devant de la scène de l'histoire universelle.
Et si le STOP fétiche des gilets jaunes était une émergence dans la réalité de notre inconscient collectif national issu de ses racines les plus profondes, il mériterait toute notre reconnaissance. L'après, si nous parvenons à freiner notre activisme par instinct de survie, c'est à nous de trouver les ressources pour le modeler. Pas dans tous les sens (9) mais dans le respect d'un système d'ensemble enfin cohérent et incluant toutes nos connaissances.
Un futur harmonieux : lourde responsabilité pour Homo Sapiens qui ne peut compter que sur lui-même.
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Notes :
(1) Les armées de l'antiquité, nous raconte en détail l'Iliade, ne commençaient les batailles qu'en se mettant face à face et en s'insultant sans modération avant de s'entretuer.
(2) Le stop écrit en majuscules, comme dans les messages virtuels, indique qu'il s'agit d'un cri.
(3) Message sans ambiguité à destination de la force politique dirigeante baptisée : La République en marche. ( LRM)
(4) Cf La maladie de la valeur, concept développé par Max Dorra dès 2010 . lien
(5) F.M.Michaut , Causalité linéaire, circulaire ou « hélicoïdale » LEM 1081 20 août 2018 , lien
(6) Clin d'oeil à l'usage d'expressions dont le seul mérite est d'être à la mode du jour dans certains cercles.
(7) Dominique Aubier, La face cachée du cerveau, volume 1 et 2, (MLL éditions) 1989. Présentation sur Exmed
(8) Le terme catéchisme est choisi, car une certaine conception traditiionnelle de la science, aujourd'hui dépassée, se comporte comme une religion avec ses croyances.
(9) Le culte de l'adoption de mesures matérielles, « pratiques », pour mettre fin aux problèmes mis en débat n'est qu'une très brève illusion d'optique.
Os Court :
« Chaque civilisation a les ordures qu'elle mérite. »
Georges Duhamel ( 1884-1966, écrivain, médecin)
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