22 avril 2019
Les images sur écran de l'embrasement de la charpente puis de la chute de la flèche de la cathédrale emblématique de l'identité de la France nous ont sonnés. Chacun, avec ses propres capacités de rationalisation et sa sensibilité, en ressent encore l'importance.
Tout semble se passer comme s'il fallait se précipiter pour, vite, vite, effacer cette rupture brutale avec ce que nous avons toujours connu. Les dons d'argent à grand spectacle pleuvent (1) avant même que les braises soient éteintes. Il faut absolument reconstruire, en urgence, ce qui a été perdu ? Avant même de définir clairement de quelle perte il s'agit ? Sans prendre le temps de comprendre la portée de ce que tout le monde nomme un désastre ? Et qui est peut-être, beaucoup de lecteurs risquent de tomber de leur chaise, une chance pour comprendre enfin que c'est notre humanité toute entière qui s'écrase parce qu'elle a pris une mauvaise direction. Une flèche, bon sang, comme dans un jeu de piste, ça indique bien la direction qu'on suit. Savoir lire le panneau indicateur.
Donner un traitement avant d'avoir établi un diagnostic autre que symptomatique, aucun médecin sérieux n'y songe.
Le diagnostic n'est pas dans l'analyse minutieuse de ce qui a conduit à la combustion des vénérables poutres, pas plus que dans l'action admirable des pompiers (2) dont le talent a fait que la cathédrale Notre-Dame elle-même est toujours debout.
C'est la flèche même, dominant de ses 93 mètres depuis le sol l'édifice, qui doit être interrogée. Inaugurée en 1859, comme un pur produit de l'époque Napoléon III, son architecte est Eugène Viollet-le-duc.
Reconstruire, ou restaurer, avec la plus grande ressemblance les édifices des batisseurs médiévaux alors très délabrés (3) de la France entière n'était pas son objectif. Ce qui avait pu pousser les constructeurs à bâtir des cathédrales ou des chateaux forts, l'énergie qui leur avait été indispensable, ne l'intéressait pas. Seule comptait à ses yeux la pure technique. Appelons en renfort le précieux dictionnaire Larousse : « Sa théorie veut que la «restitution» d'un édifice soit établie en fonction des principes architectoniques dont découlent ses formes : il est ainsi amené à interpréter des monuments selon une rationalité scientifique parfois peu accordée à l'invention créatrice des constructeurs médiévaux...»
Le grand mot est lancé, pardon du vilain jeu de mot, comme une flèche. La restitution, comme il se dit d'un objet volé, avec les seuls outils repérables par la connaissance scientifique. La réalité de 2019 vient de montrer que son projet d'aller ainsi au dessus de tout ce qui a été capital dans le passé vient de s'écraser au sol sous nos yeux incrédules. La fusée nous est retombée sur la tête.
Si cette façon de voir les choses n'est pas complétement idiote, elle doit être poursuivie soigneusement pour décider lucidement s'il faut poursuivre dans la même voie (autant que possible d'une seule voix) pour s'engager sans peur sur une voie d'une autre nature que celle du strictement matériel. Nous constatons que ce n'est pas celle de l'unique connaissance technoscientifique.
Il faut bien lui donner un nom, même si sa charge symbolique aux contours flous peut rendre méfiant chaque rationaliste dûment cathéchisé depuis l'école. Celle de l'Esprit, quelque qualificatif que chacun décide de lui accoler. Il n'y a pas d'autre remède pouvant éviter en retour (4) un embrasement incomparablement plus destructeur.
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