17 juin 2019
Les journalistes ne révèlent pas leurs sources. Leur déontologie l'impose. Je ne suis pas journaliste. C'est Christiane Kreitlow (1) qui a servi de déclencheur à cette LEM. À son avis de clinicienne, un livre, signalé par le quotidien Libération du 24 avril 2019 (2) mérite d'être connu des soignants qui peuvent être en contact avec toute pathologie psychique ou physique accompagnant une souffrance au travail. Il est signé (3) par Sylvaine Perragin, psychologue clinicienne, sous le titre « Le salaire de la peine».
Pour l'auteure, quelque chose de dramatique est en train de se mettre en place dans les esprits. Une véritable industrie se développe un peu partout dans le monde avec de discrètes officines. Tout faire pour que le bonheur au travail soit un objectif prioritaire des grandes sociétés. L'idée est facile à vendre, et se vend fort bien. Un collaborateur heureux au travail est celui qui obtiendra les meilleures performances professionnelles possibles. Pour le plus grand bénéfice de son entreprise.
On voit se profiler une nouvelle obligation professionnelle à atteindre par chacun : le bonheur au travail. Pas la non souffrance, pas le respect de chaque personne ou la reconnaisssance de la valeur individuelle, carrément le paradis au boulot. Veut-on nous faire prendre des vessies pour des lanternes ? Quand on les écoute, les mots disent exactement ce qu'ils disent. Le bonheur, c'est la bonne heure. Un temps bien limité, pas un état permanent comme nous l'aimerions tant. Heureux, bon sang, la petite aiguille de l'horloge ne nous lâche pas. Pour qui en douterait, son opposite, le malheur, n'est rien d'autre que la mauvaise heure qui nous tombe dessus.
Nous voici peu à peu endoctrinés par des armées de marchands de félicité sur ordonnance dans tous les domaines de notre existence. Marchands de bonheur se révélant, hélas pour nos rêves bien manipulés, des marchands d'illusion. Peu importe sous quelle étiquette ils se rangent : coach, formateur, gourou, spécialiste, expert, leur objectif est identique. Nous vendre - le plus cher possible - ce qu'ils prétendent savoir faire mieux que nous. Forme contemporaine des bateleurs, camelots des foires et des villages, la recette est inusable tant notre capacité de crédulité demeure inépuisable au fil des siècles.
Il faut aller au delà de ce qui se passe dans l'univers du travail. On nous promet le bonheur dans tous les compartiments de notre vie. Le rinçage à jet continu de nos neurones, si bien orchestré par nos médias qui en vivent, est une redoutable école à la soumission passive des esprits. Nous avions pourtant eu un tel plaisir dans nos tendres années à dire non ! (4). Hélas, nous avons perdu cette capacité d'opposition. La discipline scolaire y a peut-être contribué. Tant de gens n'imaginent même pas, sauf quand ils sont mus par la colère, que c'est une liberté humaine inaliénable.
Le rouleau compresseur des GAFA en train de lancer leur propre monnaie virtuelle (5), c'est à dire un cheval de Troie pour prendre le pouvoir sur notre argent à chacun, faut-il le laisser passivement dicter notre devenir ? Ces géants virtuels n'existent que parce que nous les laissons exister.
Le temps des manipulateurs dominant la planète est advenu. Bien difficile de faire comme si nous n'avions rien vu venir ni rien compris à ce qui se passait. Oui, l'être humain est un bien curieux animal dont le cerveau est doté de la capacité exclusive de parler de ce qu'il a compris, ou cru comprendre. Pas question de laisser cette fonction s'atrophier faute d'usage.
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