21 octobre 2019
Comme le firent bien plus tard les procès staliniens, la justice médiévale avait érigé les aveux du présumé auteur d'un crime ou d'un délit comme la preuve absolue de sa culpabilité. Pour y parvenir, la torture dite de la question (1) était usuelle.
L'école nous a appris comment, à Athènes, cinq siècles avant notre ère, un bonhomme pas très beau a trouvé le moyen d'obliger ses jeunes élèves à sortir un instant de leurs certitudes toutes faites. Socrate ne faisait rien d'autre, en marchant, que de poser des questions pour «accoucher» des esprits (2) à partir des réponses juvéniles.
L'invasion des techniques, de plus en plus complexes, l'explosion de nos connaisssances, nous on contraint à trouver des moyens de limiter le plus possible nos risques d'oubli. Des «check lists» des aviateurs aux mémoires numériques les plus gigantesques de nos machines numériques, la liste est longue. On ne peut plus s'en passer.
Pour se simplifier la vie, les autorités enseignantes ont inventé depuis longtemps de demander à leurs étudiants de répondre à une question bien définie portant sur le contenu de leurs cours. Les désormais classiques questions à choix multiple QCM inventées dans les années 1960 pour pouvoir être corrigées par une machine (3) font partie de notre paysage.
Ce sont peut-être les journalistes , en particulier dans la presse féminine, qui ont le plus largement popularisé la notion de questionnaire(4) pour inciter leurs lecteurs à se tester eux-mêmes. Simplifier, parfois jusqu'à la caricature, une situation complexe au moyen de mots au sens aussi univoque que possible, cela vous donne à peu de frais l'impression que vous êtes intelligent et instruit.
Cette mode, car ce n'était qu'une mode éditoriale, a contaminé de multiples activités jusqu'à donner l'illusion de pouvoir ainsi totalement maitriser la complexité de la réalité. L'invention des échelles de notation numérique en a encore été un perfectionnement. Quand vous êtes hospitalisé , votre infirmière ne vous demande plus de décrire votre douleur, y compris avec des onomatopées grimaçantes, mais de lui donner une note chiffrée. Dont le niveau indique la médication qui vous sera administrée automatiquement.
Que cette mécanisation des observations médicales facilite l'abord technique des situations cliniques, en permette l'utilisation dans des exploitations statistiques indispensables à des travaux scientifiques, personne ne peut le nier. Mais le risque que disparaisse la dimension humaine de cet épisode si marquant de l'existence et du patient (5) et de la personne dont le métier est de la soigner est un danger bien réel.
Alors, une fois encore, ne cessons pas d'user de notre droit et de notre devoir de questionner tout ce que nous faisons. Nos longues et laborieuses années d'études n'auraient-elles pas développé en nous un effet pervers ? Celui de la soumission au savoir de ceux qui font autorité. Cela entrainant l'imitation de leurs manière de penser et d'être.
Oser mettre en question nos certitudes est la seule façon, n'en déplaise aux chantres de l'Intelligence Artificielle bonne à tout faire, de ne pas penser bêtement.
|