4 novembre 2019
La faillite et les résultats décevants des grands plans de dépistage des principaux cancers (prostate , sein, colon, ajoutons celui de la thyroide lequel a très vite abouti à une catastrophe de santé publique et un surdiagnostic massif (1)sont la conséquence directe d'une idéologie égalitaire de masse en santé, mais qui se heurte à une réalité brute, à savoir que les humains ne sont pas égaux justement devant la maladie. L'idéal n'est pas toujours rejoint par le réel, le monde de la santé décille et comprend un peu tard son erreur (2), et les malades n'ont que les yeux pour pleurer, surtout lorsqu'ils reçoivent l'information d'un diagnostic vraisemblablement inutile (surdiagnostic) après avoir été soumis au dépistage et non avant, ce qui leur aurait fait prendre souvent une décision diamétralement opposée (3).
Le dépistage du cancer du sein est emblématique à ce propos, soutendu par un puissant lobby et victime de son statut d'organe externe, facilement accessible, et tellement valorisant pour le corps médical quand il peut se féliciter d'un diagnostic de micro-cancer, de bas grade, ou in situ, surtout chez des femmes âgées pour lesquelles on a une quasi-certitude de diagnostic non seulement inutile mais aussi dangereux, la radiothérapie pour un sein gauche par exemple, majorant le risque coronarien de 50%
Entre temps on ne parvient toujours pas à savoir pourquoi certaines femmes injustement sont frappées de cancer grave, rapidement évolutif et de ce fait raté par le dépistage, le taux de ces cancers graves restant désespérément au même taux malgré un dépistage intensif. Et pourquoi on détecte préférentiellement avec le dépistage une foule de petites lésions non létales, à croissance lente, ce qui ne fait en aucun cas diminuer le réservoir des tumeurs plus grosses et agressives. On ne connait toujours pas l'histoire naturelle du cancer qui produit des cancers intrinsèquement à caractéristiques moléculaires péjoratives, et à l'inverse des lésions lentes, dont la détection est inutile voire délétère, les effets indésirables des traitements l'emportant sur le bénéfice dudit dépistage (4).
Et là on atteint réellement ce qu'on voulait éviter, une inéquité, entre des femmes dépistées et non dépistées, dont les taux de survie sont identiques, mais les premières subissant dans leur chair les avanies de la surdétection et des surtraitements.
Comme il est difficile de faire un mea culpa, d'admettre une erreur, de stopper ces rituels sociaux macabres bien ancrés depuis des décennies faits de dépistages annuels, biennaux ou triennaux, après des campagnes coercitives, incitatives, apeurantes, appuyées par des messages sociaux, médiatiques et médicaux assénés à longueur de "campagnes" avec des mantras bien rodés même si complètement idiotisants. Que peut-on faire à présent devant l'évidence lorsqu'on est institut national, autorité sanitaire, pour revenir en arrière sans perdre la face ?
On va donc tout doucement rétropédaler en proposant des dépistages "individualisés", ciblant de nouveau des personnes dites à risque mais saines et ne se plaignant de rien, pour lesquelles toute la difficulté est bien de déterminer le risque (à partir de quand, de combien, jusqu'où) (5). Pour le dépistage du cancer du sein individualisé, mis à l'étude dans MyPebs (un essai clinique européen) (6)
, les critères de risque sont fixés de telle sorte que bien des femmes seront à risque ( 7)
, ce qui permettra de relancer la machine d'un dépistage à la participation moribonde, inopérant et internationalement contesté. Le dépistage du cancer du sein est mort, vive le dépistage.
En tous cas une chose doit être prise en compte. L'égalité en santé est un beau concept sur le papier, qu'il nous faut vite oublier au regard d'une réalité: les humains ne sont pas faits sur le même moule.
Être tous égaux, ce n'est pas être tous semblables.
« Il est faux que l'égalité soit une loi de la nature. La nature n'a rien fait d'égal. Sa loi souveraine est la subordination et la dépendance. »
Vauvenargues (moraliste et aphoriste, 1715-1747)
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